Quand vous lirez ces lignes demain matin, beaucoup
d’entre nous serons dans la neige, et pas mal d’autres toujours dans le froid.
Vous allez dire que j’ai l’humour tordu d’un potache tel un fluide glacial
glissé sur le siège du prof’. « Il fait un froid polaire et c’est ce
moment qu’il choisit pour nous parler du réchauffement
climatique ! ». C’est vrai qu’il y aurait des sujets d’actualités
beaucoup plus brûlants, mais je ne vais pas faire comme les chaines d’info en
continu qui parlent sans avoir rien à dire faute d’éléments avérés à présenter.
Non, c’est tout simplement que vient de s’ouvrir en Norvège, à Tromsø
exactement, la 7ème conférence internationale sur les frontières de
l’Arctique. Et il y a de la matière et de nombreuses questions à soulever pour
alimenter les débats.
Les
glaces polaires fondent de plus en plus.
C’est
que depuis
plusieurs mois, les mauvaises nouvelles s’accumulent en effet sur le front
polaire : La rétraction estivale record de la banquise a signé en août
dernier le premier épisode de nouvelles heures sombres pour la calotte polaire.
« La fonte s’est accélérée comme rarement et le phénomène a dépassé toutes
les prévisions », résument les experts du Laboratoire de glaciologie et de
géophysique de l’environnement. Début septembre, la débâcle avait rongé plus de
la moitié de la glace océanique (3,41 millions de km2), découvrant
un visage inconnu de l’Arctique. Au Groenland, les satellites ont même constaté
des températures positives sur l’immense glacier, une première.
Une étude
parue dans le magazine « Nature » après la première rétractation record en
2007, battue cette année de 70.000 km2, affirme que l’humanité n’a
sans doute encore jamais observé un tel phénomène et qu’il est d’autant plus
inquiétant que notre planète est aujourd’hui plus loin du soleil (pendant l’été
de l’hémisphère nord) qu’elle ne l’était il y a huit mille ans. Ce serait une dépression
d’une durée de treize jours, événement rarissime, qui serait responsable de
cette dislocation historique. Attisés par une dépression de 966 hectoPascal,
les vents auraient facilité l’action du soleil et de la houle en fractionnant
la glace, alimentant une « boucle de rétroaction » qui a amplifié la fonte de
la glace déjà affaiblie.
Et elles
fondent de plus en plus rapidement.
L’hypothèse
d’une accélération irréversible du mécanisme de fonte se renforce. Elle
s’appuie sur une théorie selon laquelle l’augmentation de la lumière
traversant la glace pouvait être responsable de l’amplification du phénomène.
Selon ses auteurs, chercheurs à l’Institut Alfred Wegener, pour la recherche
polaire et marine, en Allemagne, la fonte crée une dynamique inédite : « Après
la débâcle, une couche de glace nouvelle se forme, qui laisse passer 50 % de
plus d’énergie solaire que la glace ancienne ». Autrement dit, plus la
glace fond, plus l’océan arctique se réchauffe, plus il accélère la fonte, et
ainsi de suite.
En 2007,
lors de la dernière grande débâcle, les données recueillies par les satellites
démontraient déjà que la vitesse de fonte avait été sous-estimée et qu’après
s’être réduite de 40 % en trente ans, l’étendue de glace arctique pourrait
disparaître au moins trente ans plus tôt que prévu. Récemment, le professeur
Peter Wadhams de l’université de Cambridge a affirmé que l’effondrement en chaîne
des glaces polaires pourrait se produire dès 2015. Autrement dit demain.
Les
conséquences pourraient être dramatiques.
Elles seront
d’abord géophysiques. Lorsque la
banquise se retire en été, l’océan se réchauffe et fait fondre à son tour les
parties continentales entourant l’Arctique. Le permafrost, qui contient des
milliards de tonnes de gaz carbonique et de méthane, pourrait libérer 436
milliards de tonnes de carbone d’ici à 2100. Cette évaporation est une bombe climatique à retardement équivalant à
environ deux fois les émissions annuelles mondiales de dioxyde de carbone.
L’impact ne
sera pas seulement climatique : selon les experts du Giec, il est probable que les eaux de surface de
l’océan arctique deviennent corrosives pour les formes de carbonates de calcium
les moins stables avant 2100 . De plus, la formation d’une couche
superficielle d’eau claire plus légère que l’eau de mer salée pourrait
également contrarier le fonctionnement du Gulf Stream et modifier en
conséquence la circulation des courants atmosphériques. Même en migrant, la
faune marine n’échappera pas à ces bouleversements. L’action conjuguée du réchauffement et de l’acidification des eaux va
notamment provoquer la disparition d’espèces clefs du zooplancton, qui jouent
un rôle stratégique dans la chaîne alimentaire comme proie abondante de
poissons d’intérêt commercial. Sans parler des espèces menacées que sont
les phoques et les ours polaires.
Mais il y a
ceux qui se frottent les mains.
Le malheur
des uns fait le bonheur des autres. Les compagnies pétrolières lorgnent sur les
immenses réserves enfouies dans les sédiments marins (13 % des réserves
mondiales de pétrole, 30 % de celles de gaz), et les compagnies maritimes ont
tracé avec succès l’été dernier les premières routes de navigation commerciales
à travers les glaces disloquées et à terme, le passage pourrait concentrer 20 %
du trafic maritime international. Voilà des perspectives dont on ne peut pas
vraiment se réjouir.
On ne peut
certes pas ralentir un phénomène naturel dont les mécanismes échappent à la
dimension humaine. Au moins pourrions-nous avoir la sagesse de ne pas
contribuer à l’amplifier. La dernière conférence à Doha n’aura pas été, à cet
égard, la plus convaincante de la volonté des hommes de faire ce qu’il faudrait.
La fonte de
l’Arctique est une bombe à retardement. elle peut exploser avant la fin de la décennie !