L’entrevue d’Erfurt avait montré les réticences du tsar. Aussi l’alliance avec Napoléon ne dura pas. Le mariage autrichien, le tort causé à l’économie russe par le Blocus continental, la résurrection de la Pologne, sont autant de motifs pour la rupture. La campagne de Russie sera le signal déclencheur d’une avalanche que l’Empereur ne pourra pas arrêter, avec son cortège de révoltes et de trahisons.
Le tsar Alexandre était vivement critiqué par la noblesse et le blocus gênait considérablement les intérêts des grands propriétaires en stoppant toutes les exportations vers l’Angleterre. Le mariage de Napoléon avec Marie-Louise, l’envoi de Bernadotte en Suède, l’annexion par la France des ports allemands de la Baltique étaient autant de menaces pour le Russie qui n’y trouvait pas son compte. La résurrection de la Pologne sous la forme du grand-duché de Varsovie fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Dès la fin de 1810, Alexandre avait rouvert ses ports aux neutres, donc indirectement aux Anglais. En juin 1812, la guerre éclatait de nouveau, avec aux côtés de la Russie, l’Angleterre et la Suède de Bernadotte qui trahit pour conserver son trône. La 6ème coalition est née, elle sera bientôt renforcée par la Prusse et l’Autriche.
Le désastre en Russie.
Lorsqu’il franchit le Niemen, le 24 juin 1812, Napoléon ne songea pas un seul instant à se rendre maître de Moscou. A la tête d’une armée de 500 000 hommes, c’est l’armée des vingt nations, il pensait écraser très rapidement un ennemi très inférieur en nombre. Elle ne comprenait que 200 000 Français, rattachés au centre du dispositif où Davout et Napoléon lui-même commandaient. Il voulait une campagne éclair et une victoire décisive qui obligeât l’adversaire à demander la paix. Mais les Russes pratiquèrent une tactique à laquelle il ne s’attendait pas : villes désertées et en feu, terre brûlée, Vilna, Vitebsk, Smolensk. Napoléon entra dans cette dernière, vide de sa population et de ravitaillement. Au lieu de faire une pause, pour se refaire des forces, il continua la poursuite alors qu’il pouvait aller frapper le coup mortel à Saint-Pétersbourg. Grave erreur ! C’est ainsi qu’il se retrouva sans l’avoir voulu, aux portes de l’ancienne capitale. La bataille a enfin lieu le 7 septembre à Borodino. Ce fut la plus meurtrière qu’eût jamais connu l’armée française : il en coûta 30 000 hommes à Napoléon pour forcer le passage de la Moskova. Malgré de lourdes pertes, l’armée russe n’était pas vaincue et Koutouzov lui réservait encore des surprises. La ville de Moscou fut incendiée sur l’ordre de son propre gouverneur.
Désormais, c’était un peuple tout entier qui voulait chasser l’envahisseur. Sous la pression populaire le tsar refusa la paix. Quant à l’armée de Napoléon elle commençait à s’affaiblir en raison des maladies, de la malnutrition et des nombreuses désertions. L’Empereur, au lieu de marcher sur Saint-Pétersbourg commit l’erreur de prendre le même chemin qu’à l’aller, et trop tard : le 19 octobre, il neigeait déjà. Ce fut une retraite sans ravitaillement, tout ayant été pillé, harcelée par les cosaques qui ne cessaient de monter des escarmouches. Koutouzov pensait encercler le reste de l’armée française sur les rives de la Bérézina, mais grâce aux pontonniers d’Eblé, la plus grande partie réussit à franchir le fleuve. Napoléon fut obligé de quitter ses troupes le 5 décembre pour rentrer rapidement à Paris, alerté par la rumeur d’un coup d’Etat du général Malet. C’est Murat et le Prince Eugène qui ramenèrent les soldats, terriblement éprouvés par l’hiver russe. Ils n’étaient plus que 25 000 à refranchir le Niemen le 16 décembre. Un vrai désastre ! La retraite de Russie fit dire à Talleyrand qui avait commencé à « manigancer », « c’est le commencement de la fin ».
La farce du général Malet.
Ce fut un épisode rocambolesque. Le général Malet, personnage assez médiocre, était en disponibilité depuis dix ans. Avec quelques complices, il tenta de prendre le pouvoir. Un jour d’octobre, muni d’un faux « sénatus consulte » qui annonçait la mort de l’Empereur, l’abrogation de l’Empire et qui le nommait commandant militaire de la place de Paris, il disposa d’hommes en arme, alla arrêter Savary, le ministre de l’Intérieur qui avait remplacé Fouché, et le Préfet Pasquier. Mais dans sa tournée pour arrêter les hautes personnalités, il butta sur le général Hulin qui ne tomba pas dans le panneau. Comme on lui résistait, Malet ouvrit le feu mais la garde de Hulin riposta et désarma l’escorte de l’insurgé. Malet était neutralisé. Mais il s’en était fallu de peu. La facilité avec laquelle il avait pu agir prouvait la fragilité de la monarchie impériale.
La campagne d’Allemagne.
La Prusse se retourna contre la France dès février 1813. Le tsar Alexandre pouvait se prétendre le champion d’une croisade contre le grand Empire. Napoléon savait qu’il devrait forcément s’engager vers l’Ouest et il espérait bien renouveler un nouvel Austerlitz. Il rassembla à la hâte 160 000 hommes et sans attendre lança une nouvelle offensive en Allemagne, et porta deux coups à ses adversaires : à Lutzen en mai il repousa russes et prussiens sur l’Elbe et les fit reculer par une nouvelle victoire à Bautzen deux semaines plus tard. Un armistice fut signé le 4 juin, l’Autriche jouant les bons offices, mais les conditions de la paix étaient telles que Napoléon refusa de s’y plier. La conférence de Prague échoua. L’Autriche rejoignit la coalition le 10 août 1813. C’était la septième ! L’Empereur avait déclaré à Metternich : « Que veut-on de moi, que je me déshonore ? Jamais. Vos souverains, nés sur le trône, peuvent se laisser battre vingt fois et rentrer dans leurs capitales. Moi, je ne le puis pas, parce que je ne suis qu’un soldat parvenu ! ». Dès le mois d’octobre, trois armées de la coalition convergent vers l’ouest : au nord, les troupes suédoises sous le commandement de Bernadotte, au centre Blücher commandant une armée russo-prussienne, au sud, Schwarzenberg dirigeait les forces autrichiennes. Napoléon affronta 320 000 coalisés à Leipzig du 16 au 19 octobre. Après avoir perdu 60 000 hommes, l’armée française fut obligée de refluer vers le Rhin.
La campagne de France et la 1ère abdication.
Au début de 1814, la France fut envahie. Face à 250 000 hommes, l’Empereur livre avec ses « Marie-Louise », l’une de ses plus belles campagnes : Champaubert, Montmirail, Château-Thierry, Vauchamps. Mais il ne put empêcher les coalisés de prendre Paris le 30 mars. Avec 60 000 hommes qu’il lui restait, il s’installa à Fontainebleau. Le 3 avril, à l’instigation de Talleyrand, il apprit que le Sénat avait voté sa déchéance. Le 4, il décida de rédiger un acte d’abdication en faveur de son fils. Mais Marmont l’abandonna. Désormais à la merci des coalisés, il fut obligé d’abdiquer sans conditions. Marie-Louise tenta en vain de le rejoindre. Découragé, il signa enfin le 11 avril le traité qui lui assurait la souveraineté sur l’île d’Elbe en échange de sa renonciation définitive à la France. Dans la nuit du 12 au 13 avril, il aurait tenté de s’empoisonner. Le 4 mai 1814 il débarqua à Portoferraio, capitale de l’île d’Elbe. Talleyrand avec l’aide d’une soixantaine de sénateurs avait formé un gouvernement provisoire dont il assumait la direction. Le traité de Paris fut signé le 30 mai 1814. La France retrouvait la plupart de ses colonies, mais ses frontières sur le Rhin et sur les Alpes étaient ramenées à celles de 1792. Le Sénat avait décrété que Louis XVIII serait « roi des Français » dès qu’il accepterait une constitution.