Profil d’emploi.
Que faut-il comme capacités et qualités pour être un bon prof ? Les exigences de niveau d’étude actuelles devraient largement faire l’affaire sur le plan des connaissances à transmettre : avec bac + 5, les professeurs débutants devraient normalement être armés pour assumer leur mission de la maternelle à la fin du secondaire. Encore que ce que je perçois de la scolarité de mes petits-enfants me laissât dubitatif. c'est donc que les connaissances, si elles sont nécessaires, ne suffisent pas. Je n’aurai pas la prétention ici de faire l’inventaire de toutes les qualités qui définiraient l’enseignant parfait. Voici néanmoins, par une approche empirique, quelques certitudes tirées de mon expérience.
Il faut des connaissances solides de la matière enseignée.
La maîtrise des connaissances permet de dominer son enseignement et c’est capital. Cela va de soi. C’est pourtant loin d’être suffisant. Néanmoins, le prof doit être celui qui détient la « vérité » au milieu de ce ramassis souvent confus, disparate et surtout non vérifié, auquel doivent faire face les élèves face aux autres sources de la connaissance qui se sont multipliées. Aujourd’hui, le réseau internet propose la connaissance brute, sans filtre, mêlant la désinformation et l’information, et le monde enseignant doit faire avec. Mais il faut veiller à ce que les réseaux sociaux ne soient pas les vecteurs de l’obscurantisme et ce n’est pas une tâche facile. Il me semble que la maîtrise de la connaissance devrait toujours conférer l’autorité qui permette d’éveiller l’esprit critique nécessaire pour faire le tri.
Il faut aimer le métier.
Je l’ai dit en introduction. Celui qui n’est pas attiré par la fréquentation des jeunes n’a pas sa place dans un établissement scolaire. Les élèves sentent tout de suite si « ça le fait » ou pas, comme ils disent. Dès le premier contact en classe, c’est une relation qui se noue entre un collectif et une personne. Il n’est pas besoin de leur dire qu’on les aime. Ce sont les preuves plus que les paroles qui comptent. La manière de se comporter compte autant que les mots. Et j’ajouterai, c’est la capacité à créer une relation de complicité avec chacun et chacune des têtes présentes qui déterminera l’ambiance de toute l’année. Il faut parfois quelques jours pour qu’elle prenne corps, rarement plus. Si les élèves montrent du plaisir à venir en classe, c’est gagné. Le plaisir, ce vecteur fort de l’envie d’apprendre, et qui fait oublier l’effort !
Il faut montrer une maitrise de soi.
Dès les premiers instants, le prof est jugé sur son apparence et sur ce qu’il annonce. La parole doit être en accord avec l’image perçue qu’il projette. Pas de fausse note, donc. S’il donne l’impression de jouer un rôle, ça se verra rapidement à son détriment. Certains (plus souvent que certaines) s’emploieront à tester le personnage qu’ils ont en face d’eux. Face à la provocation, il ne faudra pas se tromper de réaction : entre humour et autorité, le mariage est souvent la bonne attitude. Il existe deux faiblesses à éviter : la réaction autoritaire disproportionnée et à l’inverse l’excès de bienveillance. Les deux ouvrent la porte à la multiplication des incidents. C’est pourquoi d’entrée de jeu, il est nécessaire d’énoncer des règles précises de fonctionnement de la classe à quoi se référer en permanence en cas de besoin, et sans jamais donner l’impression de s’adapter à l’aveuglette à des situations. Le prof qui propose une cohérence naturelle a plus de chance de réussir à établir la complicité qui permettra le meilleur climat d’études.
Il faut être exemplaire.
La dignité en toutes circonstances ! Personnellement, j’ai toujours veillé à présenter aux élèves une image impeccable, tenue vestimentaire soignée, chaussures propres ou cirées, cheveux coiffés. J’avais une préférence pour le blazer-cravate, mais c’est personnel. J’avais en effet d’autres fonctions en dehors du collège qui m’obligeaient à porter ce genre de tenue vestimentaire. L’essentiel c’est de se présenter avec des habits qui n’offrent pas de prise aux quolibets. L’image compte plus qu’on ne le croit. Sinon, comment exiger des élèves que leurs vêtements soient corrects, qu’ils rendent des copies propres, qu’ils présentent des classeurs bien tenus ?
Il faut être neutre.
J’ai toujours fait en sorte que mes opinions politiques n’entrent jamais au collège. C’est un principe auquel je n’ai jamais dérogé. C’était peut-être le résultat du formatage de l’Ecole normale. Toujours est-il que dès mon entrée dans une classe, il n’y a que mon savoir qui m’accompagnait. D’autant plus que je pris des engagements publics qui me conduisirent à la présidence nationale d’un mouvement d’enseignants. Et encore plus quand je fus élu Conseiller municipal à Angers puis Conseiller régional des Pays de la Loire : il me fallait être irréprochable et j’y mis un point d’honneur. Cette attitude ne m’a jamais quitté de toute ma carrière. C’est tellement vrai qu’après un cours sur l’URSS et la planification de l’économie soviétique –on était en 1965-, en troisième, un élève de la classe vint me voir et me posa la question : « Vous êtes communiste, Monsieur ? » Je fus surpris et amusé, et probablement par réflexe je répondis spontanément : « Non, pourquoi ? » au lieu de « ça ne te regarde pas ! ». De même, il arrivait souvent que les élèves viennent me demander pourquoi je ne faisais pas grève, ce qui arrivait souvent : j’ai toujours « évacué » la question, en refusant de donner mes raisons. Je ne peux pas dire que tous mes collègues en faisaient autant. Par contre, il est arrivé que je profite d’un cours d’éducation civique pour aborder le sujet sous l’angle du civisme, de la tolérance et des droits et devoirs de chacun.
Il faut aussi tenir parole.
Les devoirs corrigés doivent être rendus en temps et en heure, les leçons bien préparées. Quand l’un de mes enfants rentrait à la maison et me disait : « C’est bizarre on a fait une dictée à la place de l’explication de texte ! », c’était pour moi le signe que le cours n’avait pas été préparé : la dictée, c’est la rustine à tout faire ! Le respect de l’emploi du temps donne du rythme au travail hebdomadaire et il faut éviter d’y déroger sauf annonce spécifique, à l’avance, d’une modification imposée par les circonstances. Tenir parole, cela reste vrai pour tout autre engagement pris avec les élèves.
Il faut avoir un langage irréprochable.
Enfin, la manière de s’exprimer façonne la personnalité. J’ai toujours veillé à utiliser un langage correct, voire soutenu, en classe et à garder une certaine distance avec les élèves, en évitant de tomber dans la familiarité, tout en restant chaleureux. L’expression doit toujours éviter le langage vulgaire : les élèves ont droit à ce respect. Avec les adolescents, le tutoiement est naturel ainsi que l’utilisation du prénom plutôt que le nom de famille. A cet égard, l’usage a changé en chemin : avant 1968, l’utilisation du nom patronymique était la règle. On appelait les élèves par leur nom. Peut-être est-ce la gémination apparue ensuite, et le besoin de « convivialité » qui ont conduit à utiliser le prénom pour rendre le contact plus « familier » ! Mais le prof n’est pas un copain. Celui qui essaie de jouer la carte trop familière prend des risques pour asseoir son autorité. Car l’autorité reste nécessaire pour enseigner.
Il faut une voix qui porte.
Si vous avez un filet de voix qui se perd dès le deuxième rang, faites un autre métier. En classe, on s’adresse à vingt-cinq ou trente individus, plus ou moins attentifs. La voix doit s’imposer à tous, sans crier évidemment. Le prof est comme l’acteur de théâtre, il doit parler fort, avec naturel, car se faire « entendre » c’est aussi se faire « comprendre ». La voix joue de ses inflexions, de ses pauses, de ses intonations. La voix en classe, est un outil pédagogique. Il m’arrivait d’avoir un « trou » dans mon emploi du temps. En parcourant les couloirs du collège, il était facile de deviner ce qui se passait derrière chaque porte, du brouhaha du cours confus dans lequel la voix professorale se perd à la diction claire qui domine une communauté silencieuse … Il m’est arrivé d’être fâché contre quelques élèves au comportement inadmissible, et de pousser ce qu’on appelle une « gueulante ». Inutile de dire que sans voix, ce n’est pas la peine de s’y essayer ! C’est pourtant, quand c’est justifié, un exercice salutaire pour remettre les choses en place. Mais la loi n’autorise pas d’introduire ce genre de critère dans le recrutement, « la voix », dans les épreuves de Certificat d’Aptitude Professionnelle. Et c’est bien dommage.