L’importance de la lecture.
Dans les programmes de Français des années 60, la lecture avait une place « institutionnelle » : elle faisait l’objet d’une heure hebdomadaire de « lecture expliquée » au cours de laquelle le prof étudiait un texte d’auteur en classe avec les élèves, et une heure consacrée à la « lecture suivie et dirigée » qui consistait à faire lire en entier par les élèves une œuvre au programme, par tranches hebdomadaires, avec des questions auxquelles il fallait répondre par écrit pour guider la compréhension. Parallèlement, il pouvait être mis en place, à l’initiative du prof, une bibliothèque de classe pour proposer aux élèves qui le souhaitaient d’autres lectures d’œuvres choisies, avec éventuellement un compte-rendu.
J’ai toujours accordé beaucoup d’importance à la lecture.
J’estimais qu’il fallait multiplier les occasions de rencontrer des auteurs et des situations de fiction. Au milieu des années 70, dans mon collège, nous avions à notre disposition un « laboratoire de lecture » : c’était une grosse boite pleine de fiches classées selon une gradation en difficulté (ou niveau) avec une auto évaluation des élèves. Ils appréciaient beaucoup cette méthode, et chaque semaine, pendant une heure, chacun pouvait lire à son rythme une ou plusieurs fiches. C’était très efficace surtout pour les 6èmes et 5èmes. Je distribuais aussi, en début d’année, des listes d’ouvrages d’auteurs adaptés à chaque niveau, que les élèves pouvaient utiliser librement. Comme les parents étaient informés, ils pouvaient ainsi inciter leurs enfants à lire en leur procurant un livre dont ils étaient certains qu’il était adapté à leur âge. Nous avions un CDI très bien pourvu et il était facile pour celui ou celle qui voulait se procurer un titre, de l’obtenir à peu de frais. Les œuvres en question étaient pratiquement toutes publiées en « Livre de poche ». Ainsi, progressivement, une culture peut se construire. Je pense que ces listes ont rencontré plus de succès auprès des filles que des garçons, si j’en crois mon retour d’expérience. J’avoue néanmoins que ce jugement est très subjectif.
La lecture a toujours fait l’objet d’un débat depuis que la méthode globale a remplacé la méthode syllabique, avant l’adoption de méthodes mixtes. Pour moi qui ai été formé à la méthode syllabique qui était largement en vigueur jusqu’au milieu du 20ème siècle, la méthode globale n’était qu’un objet abstrait, n’ayant jamais eu à enseigner la lecture au CP. Déjà certains en signalaient les inconvénients. Pourtant, rares étaient les élèves qui entraient en 6ème sans déchiffrer correctement. Il y en avait, bien sûr, mais ils étaient peu nombreux. Il faut dire que le redoublement était largement utilisé comme ajustement par la prolongation de l’apprentissage à l’école élémentaire. Et surtout, pratiquement tous comprenaient ce qu’ils lisaient. Mais s’il est prouvé que l’apprentissage de la lecture est plus efficace avec les méthodes dites « syllabiques », alors il faut trancher. Surtout s’il est vrai que les méthodes mixtes ralentissent le processus. Car la lecture est un geste primordial de la capacité à poursuivre des études.
Ne me faites pas dire que tout était parfait.
Il y avait des laborieux qui s’épuisaient à déchiffrer, mais c’est probablement parce qu’on était incapable d’identifier les cas de dyslexie. Cependant, la lecture tenait encore une grande place dans les actes quotidiens d’une société où l’écrit était omniprésent. Savoir lire était donc vital, et ça aidait. Pendant la plus grande partie de ma carrière, l’école élémentaire remplissait, vaille que vaille, son contrat. C’est que l’apprentissage de la lecture n’était pas pris à la légère, associant déchiffrage et compréhension. Cette tâche était continuée au collège. C’était particulièrement le but poursuivi par le fameux « Laboratoire de lecture » dont j’ai parlé plus haut, avec ses fiches graduées de « lecture-compréhension ». Cependant tout va ensemble : pour comprendre ce qu’on lit, encore faut-il connaître les mots, et sans leçons de vocabulaire … De même qu’une bonne connaissance de la grammaire et de la conjugaison facilitait « l’accès au sens ». Enfin, il y avait aussi une grande cohérence interdisciplinaire et tous mes collègues, comme moi, avaient cette certitude ancrée au fond d’eux-mêmes : « lire, c’est l’acte de transmission par excellence ».
Diversifier les chemins, comme toujours.
Là encore, la multiplication des exercices et leur variété concouraient à un bon apprentissage. La lecture en classe à haute voix d’une œuvre littéraire, avec passage du relais d’un élève à l’autre, sans crier gare, qui obligeait toute la classe à suivre en lecture silencieuse ce qui était déchiffré par le camarade, était un bon moyen de mesurer les compétences. La lecture suivie et dirigée aussi contribuait à l’entraînement : un chapitre était commencé en classe qu’il fallait continuer à la maison, parfois prolongé du suivant, le tout assorti de questions auxquelles il fallait répondre par écrit, pour vérifier non seulement que la lecture avait bien été effectuée, mais aussi comprise. L’émulation entre les élèves peut être un bon adjuvant : il m’arrivait de demander aux meilleur(e)s lecteurs ou lectrices de la classe de présenter un ouvrage selon des modalités qui consistaient à donner envie de le lire, sans trop dévoiler l’intrigue… Ainsi naissent des vocations. Et quel accès à notre héritage, puisqu’on puise dans un répertoire d’auteurs reconnus !
La lecture et ses bienfaits.
J’étais convaincu des multiples bienfaits que pouvaient apporter le goût de la lecture : l’évasion vient en premier, le développement du vocabulaire car plus on lit, plus on découvre de nouveaux mots, la capacité à imaginer qui naît des intrigues rencontrées. Toute une richesse intellectuelle qui donne l’épaisseur humaine par le dialogue avec les écrivains. Si les beaux textes sont des meubles pour l’esprit, les beaux romans sont les « châteaux magnifiques » de l’esprit cultivé. Ainsi, nos élèves étaient préparés dès le collège à ce dialogue avec la part éternelle de l’homme telle qu’elle se dévoile dans la diversité des époques et des œuvres de l’esprit. Cela s’appelle simplement transmettre la culture. Encore faut-il que le professeur soit lui-même convaincu de la nécessité de transmettre ce patrimoine, vécu comme une part de l’humanité : ce bagage de culture générale qui s’avérera ensuite si utile au moment de poursuivre des études secondaires et supérieures.
Pour terminer sur ce chapitre, une constante faisait partie de ma stratégie : essayer de faire de l’heure de lecture un moment de plaisir ! Quand la lecture devient un moyen de se divertir, c’est gagné.