Ces maux dont souffre l'Education nationale.
Triste constat.
Le recul des performances éducatives de la France dans les classements internationaux n’est que l’effet visible d’une dégradation profonde du système éducatif qui vient de loin. Le dernier classement Pisa en est encore le reflet même s’il semble montrer une certaine stabilisation par rapport au précédent. Tout de même, il paraît difficile de s’en satisfaire : la France, 7ème puissance mondiale, le pays de l’éducation gratuite et obligatoire, en 22ème position en lecture, 25ème en mathématique, 24ème en sciences… Le Ministre Jean-Michel Blanquer a raison quand il dit que le redressement sera une tâche de longue haleine et qu’il faudrait le même ministre pendant au moins dix ans ! Ce classement consacre, malgré les efforts récents, l’échec d’un système et de ses pédagogies hasardeuses incapables d’affronter correctement l’enseignement de masse. Il suffit de regarder comment font les pays qui font réussir leurs enfants : priorité aux fondamentaux, enseignants solidement formés, évalués, et surtout valorisés. Le pire, c’est qu’avec une idéologie égalitariste largement partagée par le corps professoral, on arrive à un système champion de la reproduction des inégalités sociales qu’il prétend combattre. Souhaitons bon courage au ministre actuel qui en est bien conscient ! J’aurai l’occasion de revenir sur ce classement Pisa dans le chapitre des remèdes.
La révolution numérique peut avoir contribué à aggraver la situation , mais elle n’est pas seule en cause, loin de là. La difficulté des ajustements démographiques, une fois le baby-boom passé, a conduit à recruter toujours plus de professeurs pour toujours moins d’élèves. On pensait vraiment ainsi faire face à la « massification » de l’enseignement, notamment dans le secondaire, avec un objectif irréalisable de 80% d’une classe d’âge au bac. En 1997, Claude Allègre avait compris le drame qu’il avait synthétisé dans une formule restée célèbre : « il faut dégraisser le mammouth ». On sait ce qu’il s’ensuivit.
L’enquête Cedre, publiée par le Ministère de l’Education nationale en juillet 2016 se concentrait sur la maîtrise de la lecture. Elle constatait que parmi tous les collégiens de 3ème, seul un quart peut être considéré comme un bon lecteur ! De l’autre côté du spectre, 15% des élèves s’avèrent n’avoir « aucune maîtrise langagière ou une maîtrise réduite des compétences langagières », une situation qui les rend incapables de poursuivre leurs études. Elle concerne près de 125 000 jeunes chaque année. Et entre les deux pôles, combien naviguent dans un flou incertain, après ces milliers d’heures passées sur les « bancs » de nos classes. Cette pauvreté langagière, culturelle, intellectuelle est dramatique. Elle est une source de déclin pour notre pays. Et ce constat qui concerne l’apprentissage de la lecture n’est qu’un parmi tant d’autres. Comment ne pas voir que l’effondrement des performances des élèves en maths et en sciences est en rapport avec la faible familiarité des professeurs des écoles avec ces disciplines, issus qu’ils sont, pour la plupart (80%) des filières littéraires. Comment alors, ne pas s’interroger sur leur formation, sinon sur leur recrutement.
Le premier mal est budgétaire.
Bien qu’il soit le premier de tous les budgets de l’Etat, après le remboursement de la dette, celui de l’Education est étouffé par le poids des salaires et des pensions qu’il verse. Il en résulte principalement une paupérisation de la profession qui retentit forcément sur le recrutement. La bouffée d’oxygène procurée par la décentralisation des années 80 qui a confié la construction et l’entretien des établissements aux collectivités territoriales a rapidement été absorbée par la montée en puissance des recrutements entre 1999 et 2002, relayée par la progression des départs en retraite des enseignants de la génération du « papy-boom ». Une équation insoluble à laquelle a tenté de répondre le gouvernement de Nicolas Sarkozy en ne remplaçant qu’un départ à la retraite sur deux, avec en échange un partage de l’économie réalisée qui permit des augmentations de salaire. Mais depuis 2012, la reprise du recrutement s’est accompagnée du gel du point d’indice, et il a fallu attendre 2016 pour voir un premier geste financier. L’augmentation du nombre des enseignants n’a pas débouché sur de réelles améliorations en matière de performances du système, ce dont attestent les reculs dans les classements internationaux. Pire, on assiste à des difficultés de recrutement : le métier n’attire plus. Et même on observe des vagues de démissions de jeunes enseignants. On n’en sera pas étonné. Ces dernières années on a vu des ministres cultiver le « misérabilisme » de la profession. L’un affirmant « les gens qui choisissent ce métier ne le choisissent pas d’abord pour l’argent » et j’entends déjà le sarcasme qui suit « oui, mais il y a les vacances ! ». L’autre plus attachée à plaindre les plus faibles qu’à valoriser l’excellence intellectuelle aura l’idée saugrenue de redistribuer une part du traitement des « riches » professeurs des classes préparatoires à leurs collègues « pauvres » de Zep. Comme dévalorisation d’une condition déjà bien entamée, on ne fait pas mieux ! Cependant la question reste pendante : comment nourrir le « mammouth » ?
Le deuxième mal est pédagogique.
Le recul des connaissances de nos enfants tient pour beaucoup dans la pédagogie « constructiviste », dénoncée il y a déjà quelques temps par un autre ancien ministre de gauche, Jean-Pierre Chevènement. Au début des années 80 on a voulu mettre l’enfant au milieu du système, à la place du savoir. L’établissement scolaire, quel que soit son niveau, est devenu avant tout « un lieu de vie ». On a donc eu à cœur de développer les « activités » de la prévention routière à l’éducation à la santé en passant par tout ce qui était susceptible de développer la « conscience collective », et la plupart du temps en empiétant sur les heures de cours. En conséquence, il a fallu adapter les programmes en les appauvrissant. Difficile de dire le contraire, je l’ai vécu et il suffit de comparer un manuel des années 70 à un des années 90 pour observer la transformation.
Mais le mal vient de plus loin. Déjà Georges Pompidou dénonçait les sociologues dans les travaux desquels il ne voyait que du vent. Il dénonçait leur volonté de détruire l’élitisme républicain qui faisait le succès du système éducatif : « Ils cherchent leur autorité et leur prestige dans un jargon spécifique, inaccessible au profane, et appliquent leur intelligence et les détours de leur esprit à critiquer une société où de fait ils n’ont aucune utilité clairement définie » disait-il. En 1971, il se délasse même en profitant de ses vacances d’été pour écrire une nouvelle qui dépeint les ravages de « l’esprit post-68 » à l’école. C’est dire si le sujet préoccupe le Président de la République. Ce texte ne sera rendu public que 10 ans après sa mort. « Les aventures de M. Plumesec », professeur de français, sont alors d’une cruelle actualité. Plus de 40 ans ont passé depuis qu’il écrivait son pronostic sans illusions sur le devenir de l’école que les pédagogistes imposeraient peu à peu. L’effondrement du niveau en français et en histoire observé depuis n’a fait que vérifier le bien-fondé de ses inquiétudes.
La pédagogie officielle, issue des écoles Freinet et de ses « classes coopératives » s’est révélée rapidement inefficace dans un enseignement de masse, de l’école à l’université. J’ai évoqué dans un chapitre précédent ce qu’en pense le neuro scientifique Stanislas Dehaene. Dans le même temps, on a abandonné des filières de diversification, notamment l’apprentissage, en imposant le collège pour tous jusqu’à 16 ans, mettant en échec permanent des cohortes d’élèves que la « pédagogie différenciée » n’arrivait pas à prendre en compte, malgré la chute du nombre d’élèves par classe. Celle-ci a surtout bénéficié aux enseignants qui ont eu moins de travail, comme j’ai pu moi-même en faire l’expérience, sans que globalement la réussite des élèves ait été améliorée.
A ce drame se sont ajoutés les délires des « docteurs » de l’Institut Pédagogique National qui ont rendu l’enseignement des mathématiques et du français, entre autres, complètement abscons, coupant l’enseignement du savoir des parents par un jargon incompréhensible moqué dans la formule « parler éduc’nat ». Le fleuron de cette pédagogie centrée sur l’élève en a été l’institution sous Jack Lang des « parcours de découvertes », temps obligatoire pris sur les heures d’enseignement de chaque matière sous forme de sujets pluridisciplinaires que les élèves de plusieurs classes regroupées choisiraient en fonction de leurs centres d’intérêts. Bien vu pour un élève de l’Ecole Alsacienne à Paris, mais pure vue de l’esprit quand on connaît les références culturelles moyennes d’un collégien de banlieue ! On a oublié l’essentiel : fonder un savoir sur des bases solides et exiger des prérequis adaptés. Ce déploiement d’activités, le plus souvent désordonnées, peut tuer le désir d’apprendre. Les délires ont continué avec la réforme du Collège de Mme Vallaud-Belkacem, et la mise au pilori de l’enseignement du latin, la suppression des classes bilangues et l’institution des « enseignements pratiques interdisciplinaires » qui ont achevé la déconstruction des disciplines.
Il n’y a pas de progrès à espérer si on ne s’interroge pas sur les méthodes d’apprentissage qui conduisent aujourd’hui à un élève sur cinq qui quitte l’école primaire sans maitriser les savoirs fondamentaux essentiels. Jean-Paul Brighelli rapporte une anecdote véridique : la Bretagne avait des résultats brillants au Baccalauréat, sans qu’on s’explique pourquoi à Rennes, Morlaix ou Saint-Brieuc, ils étaient meilleurs qu’ailleurs. Une enquête montra qu’il y avait là nombre d’enseignants proche de la retraite, qui étaient venus y finir leur carrière. Ceux-ci n’ayant plus rien à craindre des inspections, faisaient en cours ce qu’ils savaient faire, sans se préoccuper des nouvelles modes. Ils donnaient leçons et devoirs, s’attachaient au savoir, en un mot, continuaient à faire étudier. CQFD !
La clé du retour à la réussite du système réside d’abord dans un professeur suffisamment instruit et bien formé, bien soutenu par sa hiérarchie et aussi correctement rémunéré. L’art d’enseigner c’est à la fois des compétences et des connaissances, et qu’on y requiert les deux ! Car l’essence du métier c’est d’enseigner des savoirs et des méthodes, en respectant les étapes.
Le troisième mal est idéologique.
Une partie des enseignants mène un combat d’arrière-garde et contribue à détruire la « grande maison », un peu comme l’ont fait les dockers du port de Marseille. Pourtant tous sont le dos au mur. On oublie le devoir « d’instruction publique » et on déforme le sens du mot « éducation » pour faire du système scolaire un outil de transformation de la société. C’est le discours qui était tenu par mes collègues très engagé dans les syndicats de gauche et d’extrême-gauche. C’est un peu le but que poursuivait le plan Langevin–Wallon de l’après-guerre, en distordant un objectif louable qui était de former des citoyens « autonomes » dans une société « socialiste » ou « socialisée » (dans la version « soft »).
Par idéologie, des organisations professionnelles refusent toute sélection, ont malmené les tentatives d’individualiser le soutien, au profit de stratégies collectives qui ont presque partout fait la preuve de leur inefficacité, quand on les a évaluées sérieusement. A l’égalisation des chances, ils préfèrent substituer un égalitarisme niveleur qui tire vers le bas au lieu d’élever vers le meilleur. Souvent, des enseignants ont enfreint les consignes de neutralité auprès des élèves et parfois se sont servis d’eux comme vecteurs de leurs revendications à travers des notes dans les cahiers de classe. Je peux l’affirmer pour l’avoir constaté avec mes petits-enfants. On s’étonne ensuite que des parents choisissent les établissements privés. C’était en grande partie le résultat de la prise en main des IUFM par un noyau dur orienté politiquement. Ne vous demandez pas pourquoi « Lutte ouvrière » présentait beaucoup de « professeurs d’école » parmi ses candidats aux élections législatives …
On ne dénoncera jamais assez, à mon sens, les mensonges tragiques de la volonté égalitariste, les heures d’enseignement perdues, sacrifiées à l’invasion du « périscolaire », en perdant de vue l’essentiel au profit de l’accessoire, l’interdiction du redoublement sans aucune stratégie de remédiation digne de ce nom qui conduit tout droit à l’échec, avec au bout du chemin, une université sommée d’accueillir un nombre toujours plus important d’élèves toujours plus fragiles. « Certaines lacunes d’étudiants en difficulté ne peuvent être résolues dans les délais d’une année universitaire » constate un professeur d’histoire du droit. L’immense majorité de ceux qui ont obtenu un bac professionnel ne dispose pas de la maîtrise des règles d’orthographe élémentaires, ni du bagage de culture générale minimum pour espérer obtenir une licence. Et l’on retombe dans l’éternel problème de la trop grande hétérogénéité : il est impossible de porter une attention particulière aux étudiants en difficulté sans pénaliser les autres et diminuer la qualité de l’enseignement.
Mais c’est bien avant la fac que les carences s’installent. Il n’est pas normal qu’un élève apprenne les opérations de base de quatre manières différentes au long de sa scolarité en primaire au gré de maîtres successifs, que le français ait perdu tant d’heures d’enseignement dans les programmes et les horaires hebdomadaires.
Le recul des performances de notre système éducatif, constaté une fois de plus par le dernier classement Pisa, tient dans l’abaissement de l’exigence intellectuelle, dramatique, qui est à la base de tous les autres. Il s’est traduit dans les faits par le saccage de l’enseignement du français : apprentissage de la lecture par une méthode inadaptée, mépris de l’orthographe et de la grammaire devenues quasi facultatives, et par ailleurs la disparition de l’histoire chronologique timidement rétablie, mais avec des contenus délirants, l’affaiblissement catastrophique du niveau en mathématiques et en sciences. Ces résultats sont les conséquences directes des politiques de nivellement par le bas, conduites, consciemment ou non, depuis au moins trente ans.
Il y aurait évidemment à s’interroger sur les effets négatifs du « paritarisme syndical », dont la déformation progressive de la mission qui a été confiée aux syndicats, nécessiterait une remise à plat de leur rôle dans la gestion des carrières, et une interdiction clairement exprimée de mêler les revendications politiques à leur travail de représentation des personnels.
Le travail de déconstruction de l’école peut être enrayé. Il commence, à mon humble avis, par la réponse à apporter à cette question. Monsieur Blanquer s’affiche à contre-courant de cette déconstruction, mais pour que les actes suivent les discours, il faudra beaucoup de temps !