Une vraie et juste place pour les parents.
Je n’ai guère évoqué mes relations avec les parents de mes élèves au cours de ma carrière. C’est tout simplement parce que, sauf quelques rares exceptions, ils n’ont pas fait partie de mes « bonheurs ». Je n’ai pourtant pas entretenu de mauvaises relations ni n’ai gardé de mauvais souvenirs, mais il faut croire que jouant leur rôle à leur place, ils ont peu interféré dans ma pratique d’enseignant.
J’ai commencé ma carrière à une époque où les parents étaient tenus à l’écart de l’institution et les conseils de professeurs étaient souverains. Progressivement, les relations avec les parents d’élèves se sont institutionnalisées et ceux-ci, par le biais de leurs associations représentatives ont pu participer aux conseils de classes. Mais l’inspiration « robespierriste » du service public, réactualisée peu ou prou par Vincent Peillon puis par Najat Vallaud-Belkcem, dont la méfiance vis-à-vis des parents provient, ne s’est jamais vraiment éteinte. L’école a bien sûr évolué et a accordé aux familles toujours plus d’importance, au moins officiellement. Pourtant je n’ai guère vu d’évolution. Au conseil de classe, le parent-délégué ne représentait souvent que lui-même et venait surtout pour s’intéresser au cas de sa progéniture. Il apportait rarement des informations utiles sur les cas des autres élèves, présentés et discutés au cours du conseil. Je garde dans l’ensemble le souvenir de relations plutôt cordiales et, dans mon dernier poste, que j’ai occupé pendant près de trente ans, je pense même avoir souvent bénéficié de leur sympathie en raison des multiples projets que nous menions dans l’établissement, sans qu’ils y soient vraiment associés. Je le mesurais au succès que rencontrait le besoin de me voir lors des traditionnelles rencontres parents-prof. A cette époque-là, nous n’avions pas recours aux « parents-accompagnateurs » pour sortir du collège. Parmi les quelques petits bonheurs, j’ai en mémoire quelques liens exceptionnels tissés avec certains d’entre eux à l’occasion des spectacles. Il y a bien aussi un « grenadier magnifique » pour frapper les « trois coups » au moment de la représentation d’une pièce de théâtre, fabriqué et offert par un parent, technicien au théâtre municipal. Je l’ai gardé précieusement.
En dehors des conseils où le dialogue était établi avec un parent délégué, les relations avec les parents se cantonnaient aux réunions institutionnelles de début d’année où chaque professeur se présentait, et aux longues soirées de rencontre parents-prof, avec chaises dans le couloir et l’attente interminable qu’ils devaient subir, le prof de français étant un passage obligé pour la plupart d’entre eux. Même en étant bref, un entretien descendait rarement au-dessous des dix minutes. Faites le calcul : heureusement, sur près de 75 élèves, tous ne venaient pas. Néanmoins, il n’était pas rare que la rencontre commencée avant 18h se termine vers 21h30. Il faut dire que les parents qui participaient n’étaient que rarement ceux qu’on avait vraiment besoin de rencontrer. Quant aux rendez-vous individuels, ils ont vraiment été l’exception, bien que ma disponibilité ait été entière. Nous n’avions pas de contestation sur les contenus enseignés ni sur le régime des sanctions en vigueur, pas plus que sur le volume du travail à faire à la maison.
Dans les dix dernières années de mon « magistère », la relation devint plus compliquée avec la montée en puissance des familles monoparentales ou recomposées. Il devint difficile de voir le couple parental et je n’étais jamais certain que le contenu de l’entretien soit transmis au partenaire absent. Dire que le comportement de beaucoup d’élèves dans cette situation s’en ressentait est une banalité. Mais comment le faire comprendre aux parents concernés ?
La place des parents dans le système éducatif est légitime. Ils sont les partenaires incontournables des enseignants et tout particulièrement du professeur principal, surtout en cas de « crise ». Pourtant, de ce que j’ai vécu et de ce que je lis sur la situation actuelle, il me semble qu’elle est encore à trouver. Dans mon collège, nous avions écrit une « charte du collège citoyen ». C’est une tâche que j’avais menée avec une classe de 5ème, sur un temps scolaire consacré à l’éducation civique. Le texte produit par les élèves avait été soumis à toutes les classes pour amendement et approbation, avec vote en classe, puis au Conseil d’établissement. Elle avait ensuite été promulguée et affichée sur un panneau dans le hall du collège. Elle concernait non seulement les élèves mais tous les adultes de l’établissement, fixant les droits et devoirs de chacun. Les parents d’élèves étaient évidemment concernés. Le principe de laïcité en était le socle.
La co-éducation instaurée depuis 2013 peine à trouver une existence réelle si l’on en croit les rapports établis sur le sujet, et cela peut se comprendre. Les parents juges et parties ne sont pas souhaitables, pas plus que les parents cantonnés dans un rôle subalterne d’observateurs. S’ils n’ont pas à interférer dans la pratique professionnelle d’un enseignant, ils n’en doivent pas moins avoir accès, par un dialogue suffisamment approfondi, aux ressorts utilisés par le pédagogue afin d’en comprendre les mécanismes et les objectifs. Et qu’ils aient des possibilités de recours en cas de contestation, n’est pas choquant, notamment au moment de l’orientation et du passage dans la classe supérieure. Cependant, parents et enseignants doivent assumer leurs responsabilités et rôles respectifs. Chacun son rôle. L’école est là pour transmettre des savoirs et des valeurs, et les parents n’ont pas à juger l’institution scolaire, notamment au regard de leur propre culture. Il n’est pas tolérable que certains se permettent de contester les contenus d’enseignement, la pédagogie, quand ce ne sont pas les devoirs ou les sanctions.
Dans le contexte actuel de « déséducation » et de « l’enfant-roi », le juste milieu ne doit pas être aisé à trouver. L’institution scolaire attend des comportements sociaux compatibles avec l’enseignement et elle constate trop souvent des carences éducatives. Heureusement, la majorité des parents lui font confiance et ils attendent beaucoup d’elle. Les textes officiels ne suffisent pas. Encore faudrait-il former les enseignants à la relation avec eux, en leur fournissant les outils comportementaux adaptés, un minimum de connaissances en psychologie comportementale : analyse transactionnelle ou autre… Désamorcer des attitudes agressives ou conflictuelles ne s’improvise pas. Il y aurait tant de choses à faire en mettant en synergie les attentes des profs et celles des parents. Voilà un beau chantier de plus.