Donc, le 26 mars 1796, Napoléon est à Nice. Dès le lendemain, il rencontre les généraux placés sous ses ordres, et pas les moindres : Masséna, Augereau, Laharpe et Sérurier. Dire qu’ils sont enthousiastes face à ce jeune général qui ne compte à son actif que la reprise du port de Toulon et l’écrasement de l’insurrection royaliste à Paris, avec ses canons, serait beaucoup dire. Il n’a jamais participé aux campagnes sur les champs de bataille de l’Europe. Pour Masséna c’est un intrigant ou un comploteur, quant à Augereau il le prend tout simplement pour un imbécile. Il était si petit et malingre que ses subordonnées ne daignèrent même pas enlever leur chapeau. Il les aurait subjugués d’un seul regard, paraît-il. Mais l’armée d’Italie est considérée comme secondaire, même si elle n’est pas si mal équipée que Napoléon l’a décrite plus tard. Elle compte 60 000 hommes. Elle manquait de vivres et de munitions et l’inaction poussaient les soldats à l’indiscipline. Pour le Directoire, elle n’a qu’un rôle de diversion. L’action extérieure a l’avantage d’occuper quelques généraux gênants. Il faut abattre l’Autriche, dernière puissance de la coalition encore debout sur le continent. Au nord, l’armée du Rhin, commandée par Moreau porte l’essentiel des espoirs.
Commencée en avril 1796, la campagne d’Italie devait être l’une des plus retentissantes de l’histoire. En face, l’armée austro-sarde, compte 80 000 hommes, commandée par des officiers vieillissants tels Beaulieu ou Wurmser qui ont 70 ans. Par comparaison, Bonaparte et Joubert en ont 26 !
Surprise et rapidité.
Bonaparte pratique avec succès deux principes qui seront sa marque en matière de stratégie : la surprise et la rapidité. La rapidité de ses déplacements lui permet la concentration de ses forces pour affronter les uns après les autres ses adversaires sans se disperser. C’est ainsi qu’il surgit par le col de Calibone le 11 avril 1796 entre les forces autrichiennes et l’armée sarde et en trois jours les sépare. Alors que Moreau piétine au nord contre l’archiduc Charles, Bonaparte improvisant la victoire, vainc les Sardes en quatre batailles : il repousse les Autrichiens à Montenotte, le 12 avril, écrase sur sa gauche les Sardes à Millesimo le 13 puis sur sa droite les Autrichiens à Dego le 15. Coupés des Autrichiens, durement éprouvés, les Sardes sont anéantis à Mondovi le 21 avril et poursuivis jusqu’à Turin. Le souverain du Piémont-Sardaigne dépose les armes et signe la paix le 15 mai. Il reconnaît par le traité de Paris, l’attribution de la Savoie et du Comté de Nice à la France.
Reste à affronter à nouveau les Autrichiens de Beaulieu qui veut défendre Milan à tout prix. Bonaparte franchit le Po à Plaisance le 7 mai, et la bataille a lieu à Lodi le 10 mai. Le général autrichien a abandonné la ville aux Français pour se replier sur la rive gauche de l’Adda, de l’autre côté d’un vieux pont qu’il n’a pas pu détruire. Après une bataille acharnée, les Français le franchissent obligeant ses adversaires à battre en retraite. La route de Milan est ouverte et le général français y entre triomphalement le 15 mai, scène immortalisée avec lyrisme par Stendhal dans la Chartreuse de Parme : « Le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles, César et Alexandre avaient un successeur ! ». A la tête de son armée, il pénètre successivement à Parme et Modène, avant même que les Autrichiens puissent intervenir, et entreprend le siège de Mantoue, place forte qui commandait la route de l’Autriche. Les armées autrichiennes tentèrent vainement de débloquer cette ville clef : à Castiglione, Arcole, Rivoli, d’août 1796 à janvier 1797, ils furent battus et Mantoue capitula. A Rivoli, près du lac de Garde, Masséna se couvrit de gloire, avec la fameuse 32ème demi-brigade ; la vitesse des manœuvres, l’emploi de la cavalerie eurent raison d’Alvinczy qui avait 82 ans. Masséna avait fait faire à ses troupes plus de 110 km et trois batailles en quatre jours. Le sort de l’Italie était joué. Le pape Pie VI signa la paix. Bonaparte prenait déjà la route des Alpes pour marcher sur Vienne à travers les montagnes, lorsque l’Autriche accepta des négociations de paix qui débouchèrent sur le traité de Campoformio, en octobre 1797.
Le traité de Campoformio.
Daté de Campoformio, petit bourg de Vénétie, mais signé en réalité à Passariano, où réside Bonaparte, il est précédé par l’armistice et les préliminaires de paix de Leoben du 18 avril 1797. Le traité est signé le 18 octobre 1797 entre Bonaparte et le gouvernement autrichien représenté par Cobenzl. François II d’Autriche renonce au profit de la France à la possession des Pays-Bas autrichiens. Comme souverain du Saint-Empire, il consent par des articles secrets à l’annexion de la rive gauche du Rhin par la France, à l’exception de la région de Cologne, et s’engage, lors du congrès prévu à Rastatt entre la France et l’empire, « à employer ses bons offices pour que la République française obtienne cette même frontière ». En Italie, il abandonne la Lombardie à la France et reconnaît comme « puissance indépendante » la République cisalpine constituée par Bonaparte avec la Lombardie, le duché de Modène, la Romagne et les légations enlevées au Pape, les territoires de Mantoue, Crémone, Brescia et Bergame, enlevés à la République de Venise qui est rayée de la carte. L’Istrie, la Dalmatie, Venise sont donnés à l’Autriche qui obtient ainsi un accès à l’Adriatique en échange de la cession de la Lombardie. Le traité de Campoformio ne tient aucun compte du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Et dans ses négociations, Bonaparte n’a pas tenu compte non plus des instructions données par le Directoire qui comportaient la cession de la rive gauche du Rhin et le rétablissement de la République de Venise. Néanmoins, le gouvernement s’incline devant l’immense popularité que valent à Bonaparte, dans un pays las de la guerre, ses succès et la conclusion de la paix. Le Directoire n’en ratifie pas moins le traité qui couronnait la « campagne d’Italie » et reconnaissait à la France ses « frontières naturelles ». La paix continentale est établie et seule l’Angleterre reste en guerre contre la France.
Bonaparte avait conquis ses hommes, galvanisés par les victoires remportées.
A Lodi, à l’issue de la bataille, les soldats élevèrent le « soldat Bonaparte » au grade de « caporal » pour le courage dont il avait fait preuve. Le surnom de « petit caporal » vient de là. « Après Lodi, dira plus tard Napoléon, je me regardai non plus comme un simple général, mais comme un homme appelé à influer sur le sort d’un peuple ». A Arcole, autre fait d’arme devenu légendaire, Bonaparte donne de sa personne. Le lundi 15 novembre 1796, ses troupes se trouvent à Ronco, face à Arcole qu’occupent les Autrichiens de Wurmser. Reliant les deux localités, le pont d’Arcole, enjambe l’Alpone, affluent de l’Adige. Les « habits blancs » le tiennent fermement, contraignant sous la mitraille les Français à marquer le pas dans les marais. Alors, agacé par l’hésitation de ses soldats, Bonaparte saisit un drapeau et le plante sur l’ouvrage. Le geste subjugue ses grenadiers qui s’élancent et enlèvent à moitié la position. Mais un feu de flanc les met en panique et ils battent en retraite, bousculant parmi eux leur général qui tombe accidentellement dans la boue. Vite dégagé, il ressaisit ses braves et à la charge emporte le pont, puis le bourg. Bon, certains disent que c’est Augereau qui a commis l’exploit. La victoire d’Arcole n’est acquise que le 17 novembre, en plaine. Elle coûte aux Autrichiens qui se sont pourtant battus à deux contre un, 40 000 hommes. C’est Napoléon que le peintre représentera sur le célèbre tableau commémoratif de l’épisode dans la posture de l’homme qui entraîne ses soldats à sa suite.
Après la campagne d’Italie, Bonaparte a acquis une gloire énorme, d’abord auprès de ses soldats, mais elle déborde rapidement jusqu’au peuple tout entier. Il a consolidé son autorité et peut désormais assouvir de nouvelles ambitions.
L’Autriche battue, restait l’Angleterre…