L’instabilité gouvernementale.
A partir de la fin 1797, le Directoire entre dans une période confuse. Les Directeurs se servent de l’armée pour régler leur conflit avec les assemblées. Le 18 fructidor (4 sept 1797) les troupes de Hoche interviennent contre les députés royalistes et permettent au Directoire de s’octroyer des pouvoirs étendus. En mai 1798 (le 22 floréal), un nouveau coup d’Etat annule de nouveau les résultats d’élections trop favorables cette fois aux jacobins. S’en suivirent une répression féroce contre monarchistes et jacobins, une politique d’assainissement financier avec la « banqueroute des deux tiers » et de nouveaux impôts. Mais la 2ème coalition vint perturber une situation fragile. Au printemps 1799, les armées républicaines reculaient sur tous les fronts. Un nouveau Directoire se mit en place avec Sieyès, et le général Bernadotte au ministère de la guerre. La reprise en main nécessita des mesures impopulaires : réquisitions et emprunts forcés.
Le coup d’Etat du 18 brumaire.
Lorsque Napoléon arriva d’Egypte à Paris le 24 vendémiaire (16 octobre 1799), après s’être secrètement échappé d’Egypte, le régime était en plein désarroi. Les élections de « l’an VIII » menaçaient de remettre en question à nouveau l’équilibre gouvernemental. Seule l’armée paraissait alors en mesure de résoudre la crise dans un pays où la population aspirait à un pouvoir fort. C’est alors qu’une poignée d’hommes parmi lesquels figuraient Sieyès (encore lui), Benjamin Constant et Talleyrand, décida d’y mettre un terme par un coup d’Etat. Ils avaient d’abord pensé au général Joubert, mais celui-ci fut tué à la bataille de Novi en août 1799. Le prestige dont jouissait le jeune Bonaparte était immense : on ne voyait en lui que le prestigieux vainqueur d’Italie. Il leur parut être l’homme de la situation. Cette proposition rencontrait les ambitions du Corse et il accepta. La mécanique se mit en place. A un député qui invoquait le danger d’un « complot terroriste », les Anciens votèrent le transfert des Conseils à Saint-Cloud et mirent les troupes sous le commandement de Bonaparte, tandis que Lucien Bonaparte était porté à la présidence des Cinq-Cents. Sieyès et Ducos étaient prêts à remettre leur démission, il fallait obtenir celle de Barras que Talleyrand était chargé « d’acheter », ce qui fut fait le 18 brumaire (9 novembre 1899).
Bonaparte posta le lendemain 5 000 hommes autour du château de Saint-Cloud et se présenta devant les Conseils pour effectuer le coup d’Etat. Si les Anciens lui firent bon accueil bien qu’il peinât à expliquer qu’on les faisait siéger à Saint-Cloud pour échapper à un complot parisien, il put prononcer une harangue dans laquelle il promettait d’abdiquer des pouvoirs extraordinaires qu’il réclamait dès que tout danger serait écarté. Il pénétra ensuite dans la salle des Cinq-Cents sans autorisation du président, entouré de grenadiers et d’officiers généraux ; il fut accueilli aux cris de « à bas le dictateur ». Il fut même assailli et bousculé et dut être entraîné dehors par ses grenadiers. La discussion continuant dans la confusion, son frère Lucien réussit à retarder le vote de la "mise hors la loi" qui équivalait à une condamnation à mort sans jugement. Exfiltré par un peloton du service d’ordre, ce fut encore Lucien, monté sur un cheval qui convainquit l’armée hésitante d’intervenir, en faisant croire qu’une minorité avait tenté d’assassiner leur général. Les troupes sous le commandement de Murat et Leclerc évacuèrent la salle et dispersèrent les représentants. L’opération changea de sens. Le coup d’Etat devait être parlementaire, en faisant voter les députés sur un nouveau gouvernement et la nécessité d’une nouvelle constitution, il devint de fait un coup d’Etat militaire.
La confusion tourna pourtant à l’avantage de Bonaparte. C’est lui qui tenait désormais les rênes du pouvoir en s’appuyant sur l’armée. Le soir même, le Directoire était dissous par la majorité des Anciens et la minorité des Cinq-Cents, et remplacé par une commission consulaire de trois membres, Sieyès, Bonaparte et Ducos, investis des pleins pouvoirs. Deux commissions de vingt-cinq membres, chargées de voter les lois présentées par les Consuls et de préparer la révision de la constitution prirent la place des Conseils. Napoléon Bonaparte avait eu chaud. Sa maladresse avait failli lui coûté cher. Sans son frère, le coup d’Etat aurait tourné court ou se serait terminé par un bain de sang.
Le Consulat.
Le 15 décembre 1799, la constitution de l’an VIII était promulguée. Elle consacrait autorité et centralisation. Elle était en réalité essentiellement l’œuvre de Bonaparte. Le suffrage universel était rétabli. En fait, on n’élisait plus : les électeurs désignaient 1/10 d’entre eux parmi les notabilités communales qui élisaient dans les mêmes proportions les notabilités départementales. Un dernier échelon conduisait aux notables nationaux (En gros le même mécanisme que sous le Directoire mais sans le « cens » électoral). Parmi eux, le gouvernement choisissait les fonctionnaires et les membres des assemblées. Le pouvoir exécutif était confié à trois Consuls nommés par un Sénat pour dix ans et rééligibles. La totalité du pouvoir était entre les mains du Premier Consul, qui nommait ministres et fonctionnaires, possédait l’initiative des lois et le pouvoir réglementaire pour leur application. Les deux autres Consuls n’avaient qu’une voix consultative. Quatre assemblées se partageaient le pouvoir législatif : le Conseil d’Etat (30 à 50 membres) nommé par le Premier Consul était chargé de préparer les projets de lois que ce dernier lui proposerait ; le Tribunat (100 membres désignés par le Sénat) se contentait d’émettre un vœu pour ou contre, autrement dit discutait les textes sans voter ; le Corps législatif (300 membres) votait par scrutin secret sans aucune discussion. Le Sénat (60 puis 80 membres de 40 ans au moins) choisis par les trois Consuls puis par cooptation, désignait les membres du Tribunat et décidait de la constitutionnalité des lois. La souveraineté populaire s’exerçait aussi par plébiscite qui proposait au peuple de voter sur un texte à registre ouvert par oui ou par non. En février, un plébiscite ratifia cette constitution à une énorme majorité. Bonaparte, c’est-à-dire l’armée, tenait la réalité du pouvoir.
Napoléon était bien le général appelé à mettre fin à la révolution. Désormais, il voulait imposer une paix qui « finirait la guerre de la Révolution en assurant l’indépendance et la liberté de la grande nation ». La France était dans un état lamentable, ruinée, la population appauvrie et au bord de la famine. Si la Vendée était boursouflée de cadavres, les plaines du Nord et les campagnes du Midi étaient couvertes de « croix humaines ». La bourgeoisie aspirait à l’ordre, indifférente quant à la forme du gouvernement. Elle ne voulait surtout pas de la restauration de l’Ancien Régime qui effrayait les acquéreurs de biens nationaux. En deux ans, Napoléon redressa la situation financière, pacifia la Vendée, signa un concordat avec le Pape qui permit la reprise du culte.
Restait à mettre fin à la guerre. Descendant par la Suisse et le Grand Saint-Bernard en Italie, Bonaparte battit à nouveau les Autrichiens à Marengo (14 juin 1800), grâce à Desaix qui y laissa sa vie. La victoire de Moreau à Hohenlinden, en Bavière (décembre 1800) contraignit les Autrichiens à traiter : la paix de Lunéville (février 1801) renouvelait les stipulations de Campoformio et reconnaissait les « républiques-sœurs ». Le tsar Paul 1er fut assassiné le mois suivant. L’Angleterre, à nouveau esseulée, qui connaissait de sérieuses difficultés intérieures, ouvrit les négociations en mars 1801, après la démission de Pitt.
Les préliminaires de Londres débouchèrent sur la Paix d’Amiens le 25 mars 1802. L’Angleterre rendait les Antilles à la France (on y reviendra) et toutes leurs possessions à l’Espagne et à la Hollande, alliées des Français. En échange la France évacuait l’Egypte et les ports napolitains. Cette paix fit pousser à toute l’Europe, comme à la France, un immense soupir de soulagement. Bonaparte, de « Petit Caporal » devint le « héros pacificateur ». En 1802 un plébiscite fit de lui un « Consul à vie », témoignage de la reconnaissance nationale. Il avait pu compter encore sur sa bonne étoile : le coup d'Etat sauvé par son frère, et la bataille de Marengo, mal engagée sauvée par la cavalerie de Desaix qui meurt et lui laisse la victoire et l'aura qui va avec.
Cependant, le Consulat ne fut pas de tout repos pour le nouveau maître de la France. A tous points de vue. C’est entre 1800 et 1804 que l’essentiel de l’œuvre de rétablissement du pays est menée.
A suivre.