Les bases
Les quatre années du collège étaient pour moi le temps de l’acquisition des « bases » du fonctionnement de la langue française. C’était une priorité qui allait de pair avec une bonne lecture. C’était aussi en principe, le programme. Ces bases devaient être maîtrisées à la fin de la 3ème. Il fallait donc s’y atteler sans relâche et sans cesse. Ecrire sans faute, conjuguer correctement et connaitre sa grammaire pour écrire avec une syntaxe convenable, constituaient des apprentissages incontournables, quel que soit le niveau de classe et celui des élèves. Par nature, j’avais un penchant pour la grammaire plus que pour la littérature, ce qui, au collège n’est pas un handicap pour les élèves.
L’orthographe : écrire sans faute.
Il se trouve que mon épouse travaillait dans le service de ressources humaines d’une grande entreprise et son expérience me confortait dans mon combat pour l’orthographe. Elle me disait combien le nombre de fautes contenues dans une lettre de motivation pour un recrutement comptait pour la suite à y donner. C’est ainsi : aujourd’hui encore, nous sommes jugés plus souvent qu’on ne l’imagine, sur notre orthographe, sur notre façon d’écrire. Une mauvaise orthographe et l’ordinateur s’égare. Dans le milieu hospitalier, confondre un « é » et un « er » peut tuer… Combien de rêves évanouis à cause d’une orthographe défectueuse ? Et les « textos », avez-vous vu les « textos » de nos adolescents ? Des mots estropiés qui s’enchainent et n’offrent au destinataire qu’une compréhension phonétique, car du côté du sens, c’est une catastrophe. Ecrire : « sa va ? », c’est déjà utiliser un déterminant possessif qui ne devrait se trouver que devant un nom à la place d’un pronom démonstratif, ce qui révèle une incompréhension manifeste de la langue française, de sa grammaire et de son sens. Entre « incultes », on se comprend, me dira-t-on, sauf que ce genre de raisonnement peut conduire aux pires malentendus.
Au début de ma carrière, la dictée hebdomadaire, suivie de questions, faisait partie des exercices incontournables. Elle était généralement un bel extrait d’une œuvre d’écrivain et ne donnait lieu à aucune préparation, sinon quelques mots jugés difficiles et écrits au tableau noir. L’évaluation était impitoyable : 5 fautes et c’était le zéro assuré. Forcément, des zéros il y en avait, mais pas tant que ça. Les élèves se rattrapaient avec les questions de dictée, elles aussi notées sur 20. Il faut reconnaître que comme méthode d’acquisition de l’orthographe, elle n’était pas géniale. La première évolution concerna le barème : on sépara les fautes grammaticales portant sur les accords et les fautes de sens, qui continuaient de coûter 4 points, des défaillances en orthographe d’usage ou lexicale qui n’en retiraient que 2. C’était encore sévère.
Dans les années 70, la mode fut aux dictées préparées : il fallait bien améliorer l’apprentissage pour l’adapter à une population scolaire beaucoup plus hétérogène avec la mise en place du « tronc commun » dans les collèges d’enseignement secondaire. C’était, sur le plan pédagogique, un progrès. Néanmoins, il n’était pas suffisant car beaucoup trop d’élèves accumulaient les zéros, sans parler de la « dictée de contrôle », non préparée.
J’ai compris au fil du temps que l’apprentissage de l’orthographe nécessitait de procéder par plusieurs « entrées ». Petit à petit, je mis en place une méthode qui consistait à multiplier et varier les types d’exercice ; elle visait à dédramatiser l’apprentissage de l’orthographe, à sortir les élèves en difficulté de la culture de l’échec et du renoncement. Il fallait agir sur deux fronts : le respect des règles d’une part pour tout ce qui relevait des accords, verbes, noms, en développant les réflexes de vigilance et de questionnement, et d’autre part, l’apprentissage de l’orthographe des mots à partir de l’échelle « Dubois-Buyse » de classification des mots en fonction de l’âge. Evidemment, rien ne pouvait se faire sans un travail personnel à la maison.
Le cours d’orthographe, une heure par semaine, commençait par la distribution du texte à préparer. Soigneusement choisi pour le sens qu’il portait et les difficultés qu’il contenait, les élèves étaient invités à le lire silencieusement. Je le lisais ensuite à voix haute, puis nous faisions l’inventaire des difficultés rencontrées par les uns et les autres. Les solutions pouvaient être données par la classe. Il y avait toujours deux ou trois cas qui appelaient mes explications et le rappel d’une règle, souvent déjà connue. Une fois l’examen terminé, les élèves devaient le préparer pour la semaine suivante pour être dicté. Ils avaient le droit de s’entraîner à la maison. La deuxième partie du cours, en général vingt minutes, était consacrée à l’étude d’une dizaine de mots de vocabulaire que j’écrivais au tableau. Je demandais aux élèves de les recopier soigneusement. Evidemment je m’assurais qu’ils en connaissaient la signification. Ensuite, pour chacun d’eux, je demandais de les mémoriser en utilisant la méthode qui leur convenait personnellement : le « photographier » mentalement, l’écrire plusieurs fois sur un brouillon, jusqu’à ce qu’ils sachent l’écrire … Je faisais de la gestion mentale sans le savoir. Nous faisions le travail sur deux ou trois mots, le reste était à faire en travail personnel pour la semaine suivante. Toutes choses que j’expliquais aux parents qui assistaient à la réunion d’information au début de l’année.
Chaque année, à la rentrée, je distribuais une liste de mots invariables dont la connaissance est indispensable et qui faisaient l’objet de fautes récurrentes : ailleurs, aujourd’hui, aussitôt, autrefois, beaucoup, bientôt, certes, chez, davantage, dehors, désormais, encore, longtemps, malgré, néanmoins, parmi, plusieurs, plutôt, près, quelquefois (= parfois), selon, sinon, toujours, à travers, volontiers. Le même travail de mémorisation était exigé. Deux fois par trimestre, je fabriquais un texte que je dictais, dans lequel j’avais glissé vingt mots pris dans les listes étudiées, au hasard (ou pas). Chaque mot écrit correctement rapportait un point. Les autres fautes étaient signalées mais ne comptaient pas.
J’introduisis des variantes dans mon cours. Ce fut au milieu des années 80. Par exemple, nous pouvions faire, à la place de la préparation d’un texte, une dictée « haut-parleur » ou « dialoguée » : au fur et à mesure de l’énonciation du texte, chaque élève pouvait réagir en s’interrogeant à haute voix, et un autre proposer une réponse. L’essentiel était d’avancer en évitant les fautes et en comprenant pourquoi. Intervenir sur le texte en train de se faire est une autre manière d’acquérir les bons réflexes. Dans ce cas, la dictée est bien le seul moyen pour le prof, qui n’a pas le don d’ubiquité pour être derrière chaque individu, d’accompagner ses élèves en train d’écrire. On ne le dira jamais assez, l’orthographe c’est du sens. Ce type d’exercice avait aussi un autre avantage : il dédramatisait la « dictée » en introduisant dans la classe une ambiance décontractée, sans sanctions ni crainte du ridicule. Les règles pouvaient être débattues et leur emploi mesuré. Elles perdaient leur caractère « divin » pour devenir des outils utiles. Car une règle ne peut être appliquée que si elle est associée à une stratégie de décision, ou de « projet » comme aurait dit La Garanderie.
Je faisais aussi des « dictées-pièges », des textes distribués contenant des fautes dont j’avais relevé la fréquence dans la classe : cette fois, les élèves se transformaient en chasseurs de fautes et devaient proposer des corrections. Le fameux accord du participe passé avec l’emploi de l’auxiliaire avoir a toujours fait partie des « incontournables » chaque fois qu’il s’en présentait un. Là aussi, j’avais mis en place des signaux de vigilance qui devaient déclencher un réflexe de vérification ou de recherche : le triangle « danger » du code de la route chaque fois qu’un verbe était conjugué avec avoir devait venir à l’esprit (une image mentale), une liste de mots déclencheurs de l’accord (pronoms personnels le, la ou les, pronom relatif que… placés avant le verbe). La recherche du COD (Complément d’Objet Direct) était alors systématique. Mais il fallait y revenir constamment avant d’obtenir un réflexe.
Il n’y a pas d’apprentissage de l’orthographe sans développement de la capacité d’attention. J’avais remarqué que sur une dictée d’environ vingt à vingt-cinq lignes, il y avait peu de fautes dans les dix premières, par contre elles pouvaient s’accumuler dans les cinq dernières, quand l’attention se relâche. Cultiver la concentration en permanence. Même au cours d’une dictée de contrôle sans préparation, je rappelais constamment à la vigilance. J’énonçais deux fois chaque morceau de phrase et après avoir relu la phrase entière je conseillais : « Avez-vous bien vérifié vos accords nom-adjectif, sujet verbe … » ou « Attention, vous avez un participe passé : quel auxiliaire ? »… « Faites attention ! » ça ne veut rien dire pour un élève si la cible n’est pas identifiée.
Après chaque dictée, préparée ou non, on demande aux élèves de relire. Sans donner un mode d’emploi, c’est du temps perdu. Aussi je demandais à mes élèves de relire plusieurs fois avec un seul objectif à chaque fois. Par exemple : « Vérifiez chaque verbe, cherchez son sujet, même si vous pensez l’avoir écrit correctement » ou « Maintenant vérifiez chaque groupe nominal, vérifiez bien les accords », toutes choses dont ils connaissent les règles mais ne les appliquent pas forcément.
Mais il n’y a pas de miracle. Simplement, en multipliant les exercices faisant appel aux différents types de mémoire,visuelle, kinésique, auditive, on arrive forcément à ce que chacun trouve le procédé d’apprentissage qui lui convient. Et tant pis pour la méthode officielle, la liberté pédagogique est ici bienvenue. Je partage complètement les constats d’Anne-Marie Gaignard, l’auteure de « La revanche des nuls en orthographe » qui fustige le caractère fermé de l’Education nationale à toute expérience venue de l’extérieur, organisation qu’elle décrit comme un cercle de hauts fonctionnaires, de recteurs, d’inspecteurs, de chercheurs qui décident entre eux, alors que dans les « Espé » (ex-IUFM), on « formate » pour les bons élèves des futurs enseignants qui une fois sortis n’auront que la « liberté pédagogique » comme remède pour les autres. Un point de vue peut-être un peu caricatural, mais assis sur quelques réalités qu’elle a vécues. Il se trouve, là encore, que j’ai fait du « Gaignard » sans le savoir, par pragmatisme et tâtonnement. Mais la conclusion est impitoyable : oui, les mots donnent accès à tout !
La note trimestrielle, car il y en avait une à mettre sur le bulletin scolaire, était la moyenne de tous les travaux, hiérarchisés évidemment. On faisait la moyenne de chaque catégorie d’exercice : dictées préparées, dictées lexicales, dictées de contrôle, pour obtenir la note moyenne globale. Toute peine mérite salaire. Il n’y avait plus de zéro en orthographe et ce n’était pas factice. Un bonheur de prof !
Je maintiens que l’exercice de dictée est nécessaire. Pour apprendre à écrire sans faute, il faut le faire avec des mises en situation, c’est-à-dire des textes, d’auteurs choisis de préférence pour offrir la qualité de la langue comme référence. La dictée, c’est donc le choix d’un texte porteur d’un message dont les élèves deviennent les destinataires. Le débat sur la dictée m’a toujours paru surréaliste, parce qu’elle est le seul moyen de faire se rencontrer la langue orale et la langue écrite et d’établir le lien logique entre les mots avec les interactions qui en découlent. Et quel bonheur pour moi de lire sur le carnet de Jacques Julliard (Le Figaro du 5 mars 2018) cet éloge de la dictée : « il n’y a rien de plus intelligent, de plus formateur, de plus distrayant que la dictée. Notamment sous la forme de recopiage solitaire d’un grand écrivain… » et mettant en avant l’attention : « priez-la et la langue française sera sauvée ! » Je bois du petit lait !
Le prof doit aussi avoir en tête la liste des erreurs les plus fréquentes commises par les collégiens, telles que : accord sujet-verbe, absence des marques du pluriel, confusion infinitif/participe passé, homophones grammaticaux, etc… Par-dessus tout, il doit établir un lien entre le cours d’orthographe et le reste de son enseignement et particulièrement la rédaction, cet autre exercice écrit qui nécessite le respect de l’orthographe. J’expliquais à mes élèves qu’ils n’avaient pas d’excuses puisqu’ils choisissaient leur mode d’expression et qu’ils avaient tous les moyens de vérification à leur disposition (le dictionnaire notamment), et que les réflexes utilisés en dictée devaient servir ici aussi. Encore fallait-il le dire !
Même quand une réforme décida qu’il n’y avait plus que des heures de Français indifférenciées, je peux l’avouer maintenant, j’ai continué à faire une heure d’orthographe par semaine –et donc des dictées- jusqu’à la fin de ma carrière, avec une progression annuelle des contenus, … comme l’enseignant que Philippe Delerm met en scène dans son roman « Le portique », et comme beaucoup d’autres qui ne sont jamais entrés dans les fameuses « séquences » thématiques « fourre-tout », dont, comme moi, ils avaient constaté que « ça ne marchait pas ! ».
Voir les élèves progresser au cours de l’année, a fait partie de mes bonheurs de prof. Ecrire sans faute devenait possible. J’ai beaucoup parlé de la méthode, mais que dire du contenu. J’ai vu qu’une réforme de l’orthographe avait été introduite dans les programmes « Darcos » en 2008 puis en 2015. Il s’agissait de mettre en application les « rectifications orthographiques » proposées par le Conseil supérieur de la langue française publiées au JO en … 1990 ! Comme celles de 1905, elles n’avaient guère été suivies d’effets. En 2016, Dominique Dupriez a cru bon de convoquer l’illustre « Maurice Grévisse » pour plaider la cause de la réforme dans son ouvrage « La nouvelle orthographe expliquée à tous », pour essayer de convaincre. En effet, le célèbre grammairien s’interrogeait déjà : « Notre orthographe est savante, trop savante. Que ne s’est-elle pas libérée, comme l’a su faire celle des Italiens, des Portugais ou des Espagnols, de certaines servitudes étymologiques, qui l’empêchent si fâcheusement de se mieux conformer à la prononciation ? ».
Evidemment la polémique a fait rage entre les partisans de la simplification et les défenseurs d’une orthographe reflétant l’histoire de la langue. Comme toujours, la réforme n’a pas pris vraiment, tout simplement parce que les professeurs, surtout au lycée, ont continué d’écrire comme ils savaient écrire. Même l’Académie s’en est mêlée : « l’usage ne saurait être modifié par décret ! » En fait il s’agit d’orthographe lexicale dont les modifications concernent 2 à 3% du lexique, en gros 3 000 mots pour lesquels sont admises deux orthographes. Le problème est réellement ailleurs. Il porte sur l’orthographe grammaticale, la syntaxe, la compréhension de la langue et le vocabulaire. Ce qui suppose un enseignement structuré de la grammaire. Je n’avais donc pas tout faux. Encore ai-je eu la chance d’échapper à cette folie nouvelle imposée par une caste de féministes hystériques : l’écriture inclusive.
La Conjugaison.
La conjugaison fait partie des savoirs fondamentaux. La langue française est en effet l’une des plus précises du monde pour exprimer la pensée, par la richesse du vocabulaire et particulièrement le nombre des verbes disponibles, la capacité à décrire très précisément les modalités d’un état ou du déroulement d’une action, la localisation dans le temps, en différenciant la durée et la date. Ainsi, nous pouvons exprimer le présent sous toutes sortes de formes, nous avons à notre disposition deux expressions du futur : par rapport au présent et par rapport au passé, nous avons huit temps du passé qui sont capables d’épouser toutes les situations pour les transcrire, en prenant en compte soit la date soit la durée. Ceci pour ce qui relève d’actions ou d’états considérés dans leur réalité (Indicatif). Nous avons la même richesse à notre disposition pour aborder les faits dans leur potentialité (subjective) ou conditionnalité. Bien utiliser toutes ces possibilités avec discernement, c’est d’abord connaitre sur le bout des doigts tous les modes et les temps, leur emploi, et en ce qui concerne les temps, la conjugaison de chacun d’eux à toutes les personnes, modifications du radical et terminaisons. Cela passe par un apprentissage obligatoire. Ce sont des données qui doivent s’apprendre par cœur. J’ai toujours éprouvé beaucoup de plaisir à faire en sorte que mes élèves sachent correctement conjuguer. C’est une erreur de croire cette exigence superfétatoire. Savoir utiliser le bon temps et le bon mode correspond à une structuration de la pensée qui devient plus précise dans son expression et donc plus claire, plus accessible à l’autre.
La machine à conjuguer.
Elle ne vint pas tout de suite dans mon enseignement. J’ai d’abord enseigné la conjugaison comme tout le monde, à partir des tableaux proposés à la fin des livres de grammaire. La découverte d’un classement des verbes en sept groupes, différent des traditionnels trois groupes, il est vrai peu satisfaisants puisque le troisième consistait à collationner tous ceux qui n’entraient ni dans le premier ni dans le deuxième, sans cohérence particulière, m’amena à enseigner différemment la conjugaison.
Mais avant toute chose, ce qui est primordial, c’est de connaitre les modes et les temps, par leur nom et de les regrouper sans hésitation. Un seul moyen : le tableau des modes et des temps, et un seul chemin : savoir le reproduire par cœur. Eh oui ! Après peuvent commencer les gammes …. Deuxième exigence : connaitre les terminaisons des temps et la construction des temps composés. Là encore, pas d’échappatoire. On ne peut pas avancer tant qu’elles ne sont pas impeccablement connues, tant qu’il y a confusion entre le futur simple et le passé simple ou le conditionnel présent, tant que l’on confond les terminaisons du présent de l’indicatif et celles du subjonctif présent, tant que l’on ne sait pas, par exemple, que le passé composé se conjugue avec l’auxiliaire être ou avoir au présent plus le participe passé du verbe conjugué.
Entrons dans le détail. Le tableau des modes et des temps, disposés toujours de la même façon est une pièce maîtresse du dispositif. Il permet non seulement d’identifier les temps, toujours dans le même ordre, et les modes toujours disposés de la même façon pour faciliter la mémorisation. Il permet d’établir les correspondances : présent – passé composé / imparfait – plus-que-parfait / passé simple – passé antérieur / futur simple / futur antérieur … pour la construction de la conjugaison des temps composés et pour leur emploi. Il sert aussi pour l’apprentissage de la concordance des temps, comme on le verra plus loin. C’est à partir de ce tableau que l’on mémorisera au début les terminaisons des temps. L’exercice consistant à remplir la case d’un temps des six terminaisons adaptées au cas d’un verbe. Le passé simple nécessitera un travail plus approfondi, puisque ce temps a des variantes de terminaisons assez capricieuses en fonction des verbes qu’on lui présente.
Ensuite, la machine à conjuguer pouvait se mettre en place à raison d’un ou deux verbes représentatifs d’une famille, par semaine. Contrôles fréquents par écrits, évidemment, hebdomadaires au moins au début. Les élèves comprennent vite que c’est le moyen facile d’arrondir sa moyenne, un 20 étant facilement accessible.
Ce n’est que lorsqu’étaient acquises la connaissance du tableau des modes et des temps, que les terminaisons et la conjugaison des verbes être et avoir étaient parfaitement sues, que je mettais en place la conjugaison systématique avec la « machine ». Il est plus efficace d'aborder l'apprentissage à partir de la modification du radical. C’est important parce qu’il existe 8 000 verbes usuels, alors que le nombre de ceux que l’on emploie est beaucoup plus restreint. Ainsi le verbe aller ne se comporte pas du tout comme le verbe chanter. Chaque verbe est représentatif d’une série selon le classement en sept groupes de transformation du radical, très pertinent. Le contrôle de la mémorisation est indispensable. Il donne lieu à une interrogation écrite sur une demi-feuille de cahier portant sur le verbe de la semaine. En face de chaque personne, un temps qui mérite vérification. Evidemment, au fur et à mesure que l’on avançait dans l’année, l’interrogation écrite pouvait porter sur n’importe quel verbe appris, ce qui obligeait les élèves à réviser en permanence. L’apprentissage de la concordance des temps est grandement facilité par la connaissance du tableau des modes et des temps. Je mettais en place une construction très simple qui préparait les élèves à l’exercice de transposition de phrase contenue alors dans l’épreuve de Français du Brevet des collèges.
Voilà pourquoi, quand je rencontre d’anciens élèves, ils me parlent encore de leurs souvenirs de … conjugaison. Résultat garanti !
La grammaire.
La grammaire, c’est le « code de la route » de la langue. On n’imagine pas un conducteur prendre la route sans connaître son code. C’est ce qui permet à chacun de circuler selon des règles communes. Pour le langage, qu’il soit oral ou écrit, la grammaire joue le même rôle. Elle permet de se comprendre, et à l’écrit, elle est indispensable pour écrire de façon compréhensible par tous et même éviter les contresens. Voilà, je viens d’enfoncer une porte ouverte, mais ça fait du bien !
J’en ai vu de toutes les couleurs.
La grammaire comme tous les autres enseignements a été soumise aux modes imposées par les chercheurs et autres docteurs en pédagogie. On s’est étonné récemment de l’apparition du « prédicat », aussitôt remisé par un nouveau ministre et c’est tant mieux. C’est un ultime avatar des évolutions successives : de la grammaire normative et latine, à la grammaire « structurale » en passant par la grammaire « transformationnelle » ou « générative », j’en ai vu des modes passer … et trépasser. Dans le huis clos de ma classe, les élèves se familiarisaient avec toutes les facettes. On y a fait de l’analyse logique de phrase, à l’ancienne, comme au début des années 60, très utile pour comprendre l’enchaînement des idées dans une phrase et le rôle des mots qui « introduisent », pronoms relatifs ou conjonctions de subordination par exemple. On y a fait de l’analyse grammaticale classique, que je n’ai jamais abandonnée : identité d’un mot, nature, fonction… On y a fait du découpage de phrase en « syntagmes » (oubliés ensuite). On n’y a jamais perdu de vue les fonctions traditionnelles, sujet, verbe, complément d’objet, compléments circonstanciels, attribut du sujet…. Je vis la disparition du « complément d’attribution » remplacé par le « complément d’objet second ». Cette dénomination générique perdait de vue le sens attributif. Ma collègue qui enseignait l’allemand me dit un jour : « Comment se fait-il que tes élèves ne sachent pas ce qu’est un complément d’attribution ? – On ne l’appelle plus comme ça ! » lui répondis-je. – « Mais j’en ai besoin en allemand ! ». Je pris donc le parti de réintroduire la notion d’attribution en parallèle à l’appellation « objet second » plus générique mais très « intello », à mon avis.
Mon plaisir, je le prenais surtout avec les élèves de troisième quand nous abordions la réflexion sur les moyens d’expression : comment faire court, ou au contraire développer. Comprendre qu’on peut en dire plus avec une proposition subordonnée qu’avec un groupe nominal même « expansé », et donc remplacer par exemple un groupe nominal complément de cause par une subordonnée de cause introduite par « parce que.. ». Faire découvrir l’intérêt d’une subordonnée infinitive quand le sujet du verbe est le même que celui du verbe principal … Ils comprenaient alors que la langue n’est pas un but en soi, mais un outil très utile pour communiquer avec les autres, et que plus on a une langue riche et plus on maîtrise ses possibilités, plus on peut exprimer ses idées avec clarté et précision. Cela donnait lieu à des échanges passionnants avec les élèves.
Il n’y a pas de grammaire sans exercices qui permettent la manipulation de la langue, donc pas de semaine sans travail à faire à la maison en complément de ce qui avait été réalisé en classe. Le livre de grammaire fournissait la matière, sinon, je distribuais une feuille reprographiée. Les élèves n’en étaient pas quittes pour autant : ils étaient exposés à un contrôle en classe au moins une fois par mois et j’eus l’idée aussi d’introduire des propositions de réemplois des manipulations grammaticales apprises dans les devoirs d’expression écrite, où leur insertion était plus naturelle qu’avec celles limitées à des phrases isolées dans les exercices d’entraînement. Ils avaient, par ce moyen, l’occasion d’arrondir leur note de rédaction. C’était aussi une occasion de relier la grammaire à un contexte global d’apprentissage de la langue.
La rédaction : écrire.
Quand je lis aujourd’hui que les enfants ne savent plus écrire, au sens où ils forment mal les lettres et ont des difficultés à les enchaîner dans une écriture cursive, je suis consterné. Comment alors leur donner le goût du texte écrit ? N’est-ce pas le signe d’une dérive laxiste qui touche tout le système éducatif. Car, bien évidemment, « écrire » s’apprend, en commençant par la reproduction correcte des lettres et une bonne tenue de l’outil, plume ou stylo. Visiblement cet apprentissage n’est pas acquis par un grand nombre d’élèves à l’école élémentaire, là où il est pourtant primordial. J’ai lu aussi que certains professeurs d’école n’avaient pas reçu de formation sur cet apprentissage au cours de leur formation professionnelle. Un comble ! Il est vrai que de nos jours on privilégie l’oral. Quand je pense que, même si je n’ai jamais eu ce qu’on appelle « une belle écriture », mes maîtres m’avaient au moins donné le goût de l’objet et le plaisir d’écrire avec un beau stylo, goût que j’ai gardé pendant toute ma carrière : j’avais une petite collection dont le clou était un énorme stylo à plume or « Mont Blanc »… Jusqu’à ce que ce « satané » clavier vienne les remplacer inéluctablement.
Au début de ma carrière, faire écrire les élèves ne posait pas de problème. Toutes les semaines, il y avait rédaction. Je proposais un sujet au tableau que la classe recopiait consciencieusement sur une feuille double et il fallait le développer à la maison pour deux, trois jours après. Je ramassais les copies que je corrigeais et rendais la semaine suivante. Le temps en classe était donc partagé entre la correction du devoir que je venais de rendre et la préparation –succincte- du devoir suivant. Les sujets étaient classiques : description ou narration, le plus souvent dans le prolongement d’une lecture expliquée, de façon à établir une cohérence, mais pas toujours. C’était un travail assez fastidieux en raison des effectifs. C’était l’époque des classes de trente-cinq à quarante élèves. Une série de copies pouvait prendre une après-midi entière à corriger, à raison de six minutes par devoir, soit trois heures et demie, au minimum, car des pauses toutes les dix ou quinze copies étaient nécessaires. C’est pourquoi, l’heure de rédaction était fixée dans l’emploi du temps le vendredi, en général, pour avoir un week-end et un jeudi (jour de repos à l’époque) pour me donner du temps de correction. Je n’avais pas qu’une classe, et il n’était donc pas rare que le samedi et le dimanche me trouvent penché sur mes paquets de feuilles, le stylo rouge à la main.
La répétition des devoirs finissait tout de même par produire un peu d’amélioration de l’expression, mais, je le reconnais, c’était laborieux… et peu satisfaisant. Néanmoins, le niveau des élèves n’était pas celui d’aujourd’hui comme en témoigne le devoir que je vous propose à titre d’exemple, daté de février 1967, et qui émane d’un garçon classé dans les moyens, pour autant que je me souvienne. J’étais dans ma troisième année d’enseignement. J’avais 23 ans. La note, tirée de son contexte paraît sévère, et le commentaire de correction plutôt banal. Mais je me régale encore à lire ce portrait plein d’humour, écrit par Jean-Pierre, un gamin de quatrième, dont j’entrevois encore le visage malicieux. Il y aurait de quoi faire baver bien des collègues exerçant aujourd‘hui au même niveau. J’avais gardé sa rédaction et je l’ai encore dans mes « trésors ». L’autre soir je l’ai lue à mes enfants et petits-enfants. L’étonnement se lisait sur leur visage. Avec un « Ah oui ! Quand même ! » qui en disait long …
Le sujet : « Le travail crée des obligations, façonne des gestes, modèle une démarche. Différentes l’allure d’un vigneron et celle d’un ouvrier mécanicien. Mais dans leur métier quelle aisance royale ! Choisissez un homme au travail, décrivez-le. »
Un classique de la classe de quatrième. Le sujet est à resituer dans le contexte de la France de l’époque.
Voici son texte retranscrit (les fautes ont été corrigées) :
« Un jour de classe, pendant la récréation, alors que j’attendais mon camarade, j’orientai toute ma curiosité vers un homme au travail.
Cet homme doit être au service de la municipalité et s’occupe, en compagnie de ses collègues, de la propreté, du chauffage et des travaux à entreprendre dans le collège. Alors qu’il avançait vers les chaudières, je le regardais venir et ce qui me frappa en premier fut son habillement. Il était coiffé d’une vieille casquette de cheminot ; sa veste de gros velours côtelé descendait jusqu’à ses genoux. Un pantalon trop grand pour lui retombait en faisant de gros bourrelets sur ses chaussures, qui, semblait-il, lui servaient depuis son service militaire. Lorsqu’il arriva à ma hauteur, je pus enfin distinguer la vraie silhouette de l’homme : il était petit et même chétif. Arrivé à ma hauteur, il me regarda d’un air patibulaire en fumant un mégot à la façon d’un hussard. Je ne pus distinguer les traits principaux de son visage, étant donné la façon dont il avait enfoncé sa casquette. Lorsqu’il m’eut dépassé, ce fut sa démarche qui me surprit. Il avançait lentement, tel un homme qui ne se presse jamais, même dans les moments critiques. Il roulait des épaules, et allait, les jambes arquées, tel un blouson noir qui cherche à intimider le passant. Ainsi, chaque jour, il faisait le même chemin, avec la même démarche, les mêmes gestes, et dans la tête la même idée, le même but : sa brouette ! Ce matin-là, enfin, lentement, il se baissa. Ses grosses mains charnues saisirent les poignées avec un certain amour : il devait l’aimer sa brouette, depuis le temps qu’il la promenait. Il la souleva de terre et toujours aussi tranquillement avança. La roue, cerclée de fer, écrasait les graviers avec un crépitement déplaisant. Dangereusement, il prit le tournant en pente et fila droit vers le dépôt de charbon. Il s’arma d’une pelle et, petit à petit, remplit de coke sa brouette et partit vers la fournaise. Il jeta la pelle dans le dépôt, qui, telle une craie sur un tableau, racla avec un bruit strident le charbon. Entre temps, mon ami était sorti, mais le coup de sifflet du surveillant nous annonça la fin de la récréation. Ma classe et moi, nous étions entrés en salle de chimie. Studieusement nous regardions les expériences, qu’avec succès, le professeur entreprenait…
Du dehors, un grondement monta ; nous pensâmes d’abord au tonnerre, puis à un avion. Mais nous eûmes vite fait de reconnaître les bondissements d’une roue sur le sol ondulé de la cour des classes primaires. Nous rîmes, et le professeur, ne comprenant mais pour faire comme tout le monde, rit à son tour. C’était l’homme des chaudières qui rentrait !
Je pense que le métier de chaque homme lui façonne des gestes, lui modèle une démarche, ceci par habitude et peut être par amour pour son métier. »
On peut constater qu’à cette époque-là, l’emploi des temps du passé est maîtrisé et la conjugaison du passé simple, hormis quelques négligences de terminaison (corrigées), ne pose aucun problème. La syntaxe ne présente pas de graves carences et le vocabulaire s’avère suffisamment riche et même précis. Pourtant, cet élève n’était pas d’un milieu particulièrement favorisé et était assez représentatif de la « clientèle » qui fréquentait le collège Pasteur de Montmorency. Ses compétences témoignent assez bien de l’efficacité du cursus scolaire en vigueur au milieu des années soixante.
J’ai cherché en permanence à améliorer cet exercice. Les axes d’amélioration étaient multiples : donner l’envie d’écrire, aider à trouver les idées, utiliser le vocabulaire précis, faciliter l’utilisation d’une syntaxe correcte, évaluer objectivement, tenir compte de l’effort de correction. Il m’a fallu une réflexion continue qui s’est prolongée jusque dans les dernières années de ma carrière. Il est impossible ici d’en retracer la progression, ce serait fastidieux. Je pense que mes quinze dernières années de professorat m’ont à peu près donné la satisfaction recherchée dans la pratique de cette discipline. Pour faire simple, j’ai trouvé des recettes efficaces la plupart du temps pour répondre à toutes les préoccupations énoncées ci-dessus. Un sentiment domine tout de même : au fur et à mesure des progrès de ma pratique, j’ai dû faire face à un déclin de la qualité de l’écriture, dans la forme et dans le contenu.
Pour donner l’envie d’écrire, la tendance était dans les années 70-80, de rapprocher l’écrit de la vie réelle en s’appuyant sur des cas concrets. J’ai multiplié les supports, m’appuyant beaucoup sur la bande dessinée et l’image, en général. Pour aider à trouver les idées, j’ai confectionné une sorte de vademecum du type : « où, quand, comment, avec qui, pourquoi, dans quel but, quelle image, quelle comparaison,… » à appliquer à chaque idée. Pour améliorer la syntaxe et l’enrichir, je proposais une liste de tournures étudiées en grammaire, à réemployer dans le développement, notamment pour l’utilisation de la coordination et l’emploi des différentes propositions subordonnées. L’évaluation, trop souvent subjective qui condamnait un élève à la même note toute l’année fut remplacée progressivement par une grille objective, adaptée au devoir, collée sous le sujet, et collectant les points obtenus, pour que la note prenne du sens et soit interprétable. Enfin, la correction passait par un code qui identifiait chaque faute dans le texte et indiquait le travail requis, à partir d’une grille typologique découverte ensemble en début d’année et en possession de chaque élève, dans le classeur. Les temps ayant changé, le rythme de production n’était plus le même : en moyenne un devoir toutes les trois semaines. Première semaine : préparation du sujet en classe, deuxième semaine, devoir en classe, troisième semaine compte-rendu du devoir corrigé, et corrections des élèves en classe. J’ajoute que le fait d’exécuter le travail en classe mettait tout le monde sur un plan d’égalité. J’étais était à leur disposition pour dispenser des conseils personnalisés ainsi que le dictionnaire. De toute façon, faire écrire la rédaction en devoir à la maison c’était s’exposer à une guerrilla avec certains élèves pour l’obtenir dans les délais.
La présentation du travail obéissait à des prescriptions draconiennes. J’accordais une grande importance au soin et à l’orthographe. Par contre, il y avait au cours de l’année, des « échappées de liberté » à l’occasion de devoirs particuliers laissant place à toutes les fantaisies de contenu, de forme et de support. Présentation totalement libre. Une seule contrainte : être facile à lire et à corriger. Je ne fus jamais déçu du voyage. C’était chaque fois un grand moment d’écriture et d’imagination et dieu sait que les élèves l’avaient encore fertile.
Avec les élèves de sixième-cinquième, j’aimais bien, parmi d’autres procédés, exploiter les bandes dessinées de « Boule et Bill » pour les transposer en récit. C’était un excellent moyen d’aborder la narration et d’approfondir toutes les phases constitutives d’un récit : identification des actions, enchaînement des idées, introduction et conclusion… Travail sur le vocabulaire pour choisir le mot juste, choix des verbes expressifs, mots qui relient, interprétation des images et relevé des détails utiles, repérage des sentiments des personnages et comment les exprimer. La matière ne manquait pas. Souvent la « bd » était muette, mais parfois, il pouvait y avoir des paroles à rapporter ou à interpréter, ce qui s’avérait très utile pour aborder le style direct et le style indirect, et tout cela donnait lieu à des échanges en classe toujours très passionnés. Un travail très complet qui permettait d’aborder tous les aspects du récit à produire.
J’ai toujours été persuadé que le travail d’amélioration de l’expression devait être, lui aussi, systématique. En particulier pour élargir le vocabulaire et notamment l’emploi des verbes. Si on n’agit pas, les élèves ont recours aux « passe-partout » inexpressifs : « il y a », « être », « avoir », « faire », et quelques autres verbes du français courant. Leur faire découvrir les verbes « expressifs » ne peut se faire qu’avec des exercices appropriés et des obligations. J’avais à ma disposition toute une batterie de manipulations du langage faites de recherches de mots à substituer au mot « chose » ou à l’expression « il y a », avec un geste mental du type : au lieu de dire « il y a un arbre », décrivez l’arbre en expliquant comme il se présente : « un arbre ...».
Ce travail complet, qui a pu paraître fastidieux à certains élèves, mené sans relâche, en ce qui me concerne, de la 6ème à la 3ème, aboutissait plus qu’on le croit à de sacrés bonheurs de prof : des élèves capables de s’exprimer par écrit avec une syntaxe appropriée et une expression riche et variée, voilà la belle récompense ! Et cela d’autant plus que je ne lâchais jamais rien, y compris avec la correction des devoirs.