Le voyage,
cet autre adjuvant pédagogique…
(et machine à fabriquer les « petits bonheurs »).
Les voyages scolaires sont, dans la deuxième moitié de ma carrière, les compléments indissociables des spectacles, dans la mesure où beaucoup d’entre eux ont donné lieu à une représentation devant un public. Ce fut d’abord un compte-rendu sous forme de diaporama audio-visuel, un peu à la manière de ce que présentaient les voyageurs de « Connaissance du monde », puis ce furent des spectacles de plus en plus élaborés, comme je l’ai évoqué dans le chapitre précédent.
Entendons-nous, un voyage, ce n’est pas la simple sortie locale. C’est un déplacement plus ou moins lointain qui nécessite au minimum une journée entière, voire plus. Il faut distinguer deux types de voyages.
Les échanges linguistiques.
D’abord, il y avait les voyages organisés dans le cadre des échanges linguistiques. Enseignant le français et l’histoire-géographie, je n’étais pas concerné au premier chef, mais les collègues d’allemand ou d’espagnol me sollicitaient comme accompagnateur. C’est ainsi que je fis plusieurs fois les séjours de Brême et de Grenade. Par ma double « casquette » de disciplines, il se trouvait que je connaissais la plupart des élèves, ce qui facilitait la tâche. Ces voyages se traduisaient par des séjours d’une à deux semaines.
Et puis, il y a les voyages « sur projet ».
Il peut s’agir de la visite d’un ou de plusieurs monuments sur un thème donné, en lien avec l’histoire, comme par exemple « la Renaissance » avec périple d’Azay-le-Rideau à Chambord, ou d’un projet plus complexe dans le cadre d’un Projet d’Activité Educative, prélude « aux itinéraires de Découvertes », comme par exemple celui que nous avions réalisé sur le thème « Loire, histoire, sciences et littérature », trois jours en Touraine déjà évoqués précédemment . De nombreux temps forts dont L’abbaye de Fontevraud qui restait indissociable d’Aliénor d’Aquitaine, Chinon qui nous fit revivre la rencontre de Jeanne d’Arc avec Charles VII, et nous permit aussi une plongée dans la technologie contemporaine avec la visite de la centrale nucléaire, et puis la Rabelaisie et le pays de Lerné qui fut le prétexte à une évocation de Gargantua. Enfin nous filâmes sur Saché, visiter la maison où Balzac écrivit « Le lys dans la vallée » avec lecture sur place, de sa table de travail, de la page décrivant le paysage qui s’offrait alors à sa vue et qui correspondait toujours, évidemment. Je ne vais pas faire ici la liste de toutes les sorties que nous organisions avec mon collège. Il faudrait évoquer « Eugénie Grandet », du même Balzac, dans son jus à Saumur, avant que le vieux quartier décrit par Balzac soit démoli. J’ai aussi dans mes archives les traces d’un magnifique déplacement à Paris pour visiter le musée d’Orsay. Je m’étais procuré pour la circonstance les fiches préparées par les « ateliers pédagogiques» du musée, et la visite se transforma en une quête éperdue d’œuvres que les élèves devaient identifier avec des indices.
Les voyages, ce sont aussi des anecdotes inoubliables.
J’en retiendrai deux.
La première, est un épisode d’un séjour à Grenade où l’échange était organisé par « La Maison de France ». Les élèves étaient hébergés dans des familles espagnoles et nous retrouvaient dès le matin, à un lieu de rendez-vous toujours le même, près du parking des cars, pour le programme de la journée. Ce jour-là nous devions visiter le palais de l’Alhambra et nous avions une heure précise pour nous y présenter. Au moment de monter dans le car, il manquait un élève. Nous attendons. Les minutes passaient, une demi-heure… Françoise, la directrice de la Maison de France, s’activait au téléphone pour savoir où il était passé. Il avait quitté son lieu d’hébergement mais s’était perdu. Quand enfin il rejoignit le groupe, d’abord nous respirâmes, puis nous prîmes la direction de l’Alhambra. Nous avions fait reculer notre rendez-vous et c’est avec plus d’une heure et demie de retard que nous nous présentâmes à la queue pour entrer. A un moment donné, je me retournai et vit une femme quelques mètres derrière nous qui ressemblait à s’y méprendre à la femme du maire de Saint-Barthélemy d’Anjou (c’est là où j’habite). « Tiens, un sosie, me dis-je ». Je me retournai une seconde fois et là, c’est le sosie du maire que j’aperçus. Deux, ça fait beaucoup ! En réalité c’était bien lui et sa femme. Et eux aussi n’auraient pas dû se trouver là, à cette heure-là. Ils avaient modifié leurs plans… Tout de même se retrouver face au maire de sa commune à plus de mille kilomètres de chez soi, ça n’est pas banal. Voilà un effet incontournable des séries causales de hasard ! Comme on dit, il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas !
La seconde relève d’un autre registre. Elle se déroula lors d’un échange avec Brème, en Allemagne. Ce jour-là, nous avions visité Lubeck et nous poussâmes jusqu’à la frontière avec l’Allemagne de l’Est : la « ligne de démarcation », comme la nommait les Allemands de l’Ouest. On était au début des années 80 et le « rideau de fer » existait encore. Nous ne pensions pas alors qu’elle disparaîtrait si rapidement avant la fin de la décennie avec la « réunification ». Pour l’heure, l’Allemagne de l’Est communiste existait bel et bien, retranchée derrière sa frontière fortifiée. Nous arrivâmes à un parking, bordé d’arbres. La route n’allait pas plus loin. Il fallait marcher un peu jusqu’à une sorte d’observatoire. En contre-bas coulait l’Oder qui faisait office de frontière. Sur notre droite, il restait les traces d’un pont qui avait été détruit, et la rive en face était hérissée de rouleaux de fil de fer barbelé, précédant une haute clôture en grillage, probablement électrifiée, jalonnée de miradors à l’intérieur desquels on distinguait des soldats armés en surveillance. Au bord de la rive, des panneaux « Halt ! Minen ! » prévenaient du danger à s’aventurer trop près. « Mais, Monsieur, les Allemands qui habitent de l’autre côté n’ont pas le droit de franchir la frontière ? »… Nos enfants qui bénéficiaient du privilège de voyager dans toute l’Europe n’en revenaient pas qu’un peuple puisse être prisonnier dans son propre pays. Au retour, dans le car, l’atmosphère était inhabituellement lourde et silencieuse. L’expression « rideau de fer » si souvent utilisée pour parler des pays de l’Europe communiste, avait pris tout son sens, on ne peut plus concret.
Un moment particulier.
Le voyage, avec une classe, c’est toujours un moment particulier. Les relations prof-élèves se font plus intimes, ne serait-ce que par la nécessité de se faire obéir sans se « gendarmer » en permanence. Le voyage est un « outil » pédagogique, en aucun cas une sortie détente. Le contrat doit être clair dès la mise en œuvre du projet. Il fait l’objet de plusieurs phases : la préparation d’abord de son contenu en relation avec les programmes concernés mais aussi comportementale. Il faisait l’objet d’une « charte » en plusieurs points qui fixait les exigences pendant le transport (train ou car), pendant les visites, pendant les moments de détente… Tout était passé en revue, toutes les contraintes étaient expliquées, ne serait-ce que pour la sécurité du groupe et tout était parfaitement admis et compris, si bien que le déroulement ne donnait lieu à aucun incident majeur. Je rappelais toujours, au moment d’entrer quelque part pour une visite, aux élèves groupés devant moi : « A partir de maintenant, c’est tenue n°1, je compte sur vous pour faire honneur à notre établissement ! ». Ils savaient ce que l’expression voulait dire : rester grouper autour du guide, écouter attentivement, pas d’agitation…
Je ne garde d’ailleurs que des bons souvenirs de ces moments passés avec les élèves. Il faut dire que l’accumulation des heures passées ensemble conduit à une plus grande convivialité réciproque. Celle-ci perdurait en général longtemps après le voyage et apportait son lot de complicité dont la pédagogie en classe profitait grandement. Surtout, si aussitôt après, nous mettions en chantier le « spectacle » qui devait en exploiter tous les apports.