La première restauration.
Le 24 avril 1814 seulement, l’ancien Comte de Provence qui, depuis 1795 avait pris le titre de Louis XVIII, débarqua à Calais, décidé à rétablir dans son intégralité le gouvernement « qui fut pendant quatorze siècles la gloire de la France ». Néanmoins, avant d’entrer dans la capitale qu’il n’avait pas revue depuis 1791, il promit dans la « Déclaration de Saint-Ouen » de gouverner en monarque constitutionnel. Le 3 mai, il entra à Paris. Le Te Deum à Notre-Dame s’imposait : la première Restauration était accomplie. Louis XVIII arrivait au pouvoir âgé, presque impotent, et assagi par son long exil. D’une intelligence fine, il se rendit compte qu’un retour à l’Ancien Régime était impossible. La Révolution et l’Empire avaient changé à tout jamais les conditions de la vie politique. La « Charte » promulguée en juin au Palais-Bourbon, installa une monarchie constitutionnelle. Elle était plus libérale que toutes les constitutions de l’Empire, mais elle était mal présentée. Elle était « octroyée », un mot malheureux. Deux chambres, la Chambres des pairs et la Chambre des Députés, avaient un pouvoir législatif limité. Elles votaient notamment les impôts. Mais le régime n’était en rien un régime parlementaire et démocratique, car seul le roi avait le droit d’initiative et il avait en plus un droit d’ordonnance qui lui permettait de rédiger des règlements ayant force de lois, en cas de circonstances graves. L’élection des députés se faisait au suffrage censitaire et le cens était élevé.
Mais la Charte garantissait l’essentiel des conquêtes de la Révolution : égalité devant la loi, abolition des privilèges, liberté individuelle, liberté des cultes et de la presse. Une partie de l’opinion était indisposée par le « préambule » qui présentait Louis XVIII comme le « Roi de France et de Navarre par la grâce de Dieu » et le replaçait dans la suite de la monarchie en datant son règne de la « dix-neuvième année ». De plus, de nombreux émigrés revenus s’opposaient au roi constitutionnel, le « jacobin couronné », et refusaient de reconnaître la Charte. Ils se firent très vite menaçants en se regroupant autour du Comte d’Artois qui se présentait comme n’ayant pas changé depuis 1789, et encourageait la « réaction ». Le roi, dépassé par son entourage, commit alors faute sur faute : menace sur les biens nationaux, réduction des effectifs de l’armée avec le licenciement de 12 000 officiers de Napoléon avec mise en demi-solde tout en réintégrant à des grades importants d’anciens émigrés. Il laissait humilier les maréchaux de France à la cour, et ultime erreur, il remplaça le drapeau tricolore par le drapeau blanc de la monarchie. Le peuple craignit pour ses droits si chèrement acquis. Dès lors, un seul homme pouvait encore tout sauver : Napoléon !
Le « vol de l’aigle ».
Napoléon hantait tous les esprits. Curieusement, il devint le symbole des idées libérales et s’installa une ambiance nostalgique de son épopée. La rumeur de son retour se répand et déjà de hauts personnages comme Fouché, qui avaient contribué à sa chute conspirent en sa faveur. Dans les salons bonapartistes un complot s’organisait et préparait des appuis au sein de l’armée. Carnot publia « un mémoire au roi » où il dénonçait les fautes de la Restauration qui se vendit à des centaines de milliers d’exemplaires.
Dans son île, Napoléon prêtait l’oreille au revirement de l’opinion publique en sa faveur et n’ignorait pas que Louis XVIII songeait à le faire transférer « à cinq cents lieues d’aucune terre». Il décida de passer sur le continent après sa fameuse proclamation : « Soldats, arrachez ces couleurs que la nation a proscrites et qui pendant vingt cinq ans servirent de ralliement à tous les ennemis de la France ! Reprenez les aigles que vous aviez à Ulm, à Austerlitz, à Iéna, à Eylau … L’aigle avec les couleurs nationales volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame ! » Entre le 28 février et le 20 mars 1815, Napoléon marcha sur Paris. Débarqué le 1er mars à golfe Juan, il prit la route des Alpes. Une anecdote parmi tant d’autres : au village de Laffrey, confronté pour la première fois aux troupes envoyées pour l’arrêter, il s’avança seul : « s’il en est un parmi vous qui veuille tuer son Empereur, me voilà ! ». Ses anciens soldats répondirent par des vivats. A Auxerre, le maréchal Ney, décidé à « ramener Bonaparte dans une cage de fer » se précipita dans ses bras. Louis XVIII s’enfuit à Lille puis gagna Gand. Le 20 mars Napoléon entrait aux Tuileries, porté en triomphe par la foule.
Les « Cent Jours ».
Napoléon recommençait sa vie, celle d’un général révolutionnaire dont le peuple attendait qu’il le sauvât d’un retour à l’Ancien Régime. Il choisit la voie libérale pour se concilier la bourgeoisie. Mais le chemin était étroit. Le peuple l’avait rappelé pour l’opposer à Louis XVIII, pas pour lui voir tenir le rôle d’un monarque. Il confia à Benjamin Constant la tâche de rédiger un projet de constitution. Le 22 avril fut publié « l’acte additionnel aux Constitutions de l’Empire » qui recopiait la Charte sans beaucoup l’améliorer. Au passage, il abolissait l’esclavage, mais cela passa inaperçu. Un texte qui déçut les démocrates et n’apaisa pas la défiance des bourgeois libéraux. Un plébiscite marqua bien l’état des esprits : sur 5 à 6 millions d’électeurs, seulement 1 300 000 « oui » et 4 000 « non ». L’abstention était massive. La France avait besoin de paix pour refaire ses forces, mais les alliés avaient aussitôt renouvelé le pacte de Chaumont. Le Congrès de Vienne déclara le « perturbateur du repos du monde » hors la loi. Napoléon fit savoir au tsar et à l’Empereur d’Autriche, qu’il avait l’intention de respecter le traité de Paris. Malgré cela, et sans attendre que Napoléon ne reconstituât une armée, Blücher concentrait ses forces près de Namur, Wellington débarquait à Anvers et rassemblait une armée hétéroclite d’Anglais, de Belges et d’Allemands, en tout 213 000 hommes. Dès lors, Napoléon fut obligé de reprendre le combat.
Waterloo.
L’Empereur quitta Paris le 14 juin à la tête d’une armée de 130 000 hommes. A son habitude, il choisit l’offensive. Ney fit battre en retraite Wellington près de Bruxelles, et le duc de Brunswick fut tué, pendant que Napoléon attaquait les Prussiens qu’il désarçonna, Blücher manqua d’être pris et ne dut son salut qu’à la nuit tombante. Ces victoires n’avaient rien résolu. De son côté Grouchy commit de graves erreurs et ne sut pas s’interposer entre les deux armées ennemies. Napoléon décida alors de renforcer Ney face aux Anglais qui s’étaient installés sur le plateau du Mont Saint-Jean pour couvrir la route de Bruxelles. C’est le 18 juin 1815 qu’allait se dérouler la bataille de Waterloo. Les conditions étaient médiocres, il avait beaucoup plu, et les Anglais étaient bien retranchés. L’artillerie ne put être mise en place qu’en fin de matinée. Les assauts se multiplièrent, la bataille était acharnée sans que les Français puissent prendre l’avantage. Entre temps, les Prussiens étaient arrivés sur le champ de bataille, moment évoqué par Victor Hugo par le célèbre vers : «Napoléon s’écria : Grouchy !, C’était Blücher ! ». Attaqués de deux côtés, la garde et les grenadiers finirent par plier sous le choc de la cavalerie prussienne. La panique s’installa et le gros de l’armée s’enfuit. Napoléon, Ney et Cambronne s’enfermèrent au milieu des soldats qui tenaient aux cris de « Vive l’Empereur ! ». A la nuit, Napoléon se retira, perdu, au milieu de son armée en déroute. Il s’en était fallu de peu que le sort ne basculât en sa faveur, mais ce n’était pas le bon jour. L’Empereur, rentré à Paris songeait encore à la lutte. Mais la situation intérieure était grave. Fouché, trahissant une fois de plus obtint de la chambre qu’elle mette Napoléon en demeure d’abdiquer, ce qui fut fait le 22 juin. Une foule énorme entourait le Palais. Elle criait : « Résistez ! Ne partez pas ! » Mais Napoléon ne voulait pas armer le peuple. Pensant gagner l’Amérique, il se rendit à Rochefort où il se livra finalement aux Anglais.
Sainte Hélène et la fin.
Napoléon écrivit au Prince-Régent, fils de George III : « Je viens comme Thémistocle, m’asseoir au foyer du peuple britannique. Je me mets sous la protection de ses lois que je réclame de votre Altesse royale, comme du plus puissant, du plus constant et du plus généreux de mes ennemis. ». Il fut embarqué sur le Bellérophon, à destination de Plymouth où on lui refusa de débarquer et où il apprit son destin : prisonnier de guerre, il irait terminer ses jours à Sainte-Hélène, au large de l’Afrique australe. Ce fut une lente agonie entre solitude, désoeuvrement et mesquineries de ses gardiens. Le 5 mai 1821 il s’éteignit. L’autopsie révéla un ulcère mortel à la sortie de l’estomac. Il laissait à la postérité le « Mémorial de Sainte-Hélène », dicté à Las Cases, les Mémoires et œuvres historiques dont le général Gourgaud et Montholon étaient officiellement les rédacteurs et firent éclater le génie publicitaire de Napoléon. Deux ans après sa mort, Las Cases publia le Mémorial. La « légende napoléonienne » commençait. Napoléon ne savait pas que bientôt un certain Louis-Napoléon, fils de Louis, s’en servirait pour reprendre le flambeau des Bonaparte.
A suivre : L’oeuvre de Napoléon. Dernier chapitre en guise de bilan.