Le collège, ce maillon faible.
Dans le système éducatif, le collège unique a été un pas historique d’ouverture à tous de la scolarité jusqu’à 16 ans mais il est devenu le maillon faible du système car il est le plus exposé aux problèmes de l’intégration, et, disant cela, je ne pense pas qu’aux élèves d’origine étrangère. D’abord parce qu’il est censé accueillir tout le monde, y compris les élèves en difficulté et en retard scolaire, ensuite parce que les élèves qu’il reçoit sont à l’âge où se façonne la personnalité. Cette quête du moi des adolescents et la mixité sociale qu’ils vivent devraient être deux atouts pour les guider vers une bonne intégration dans la société. Mais beaucoup d’établissements concentrent une trop grande hétérogénéité des élèves et trop de types de difficultés pour faire face efficacement à l’une d’entre elles : celle des élèves abandonnés à eux-mêmes, à cause de difficultés sociales, de traumatismes affectifs, du gavage vidéo-télévisuel et numérique ou sous l’emprise d’une culture obscurantiste…
C’est sur cette occasion manquée qu’il convient de réagir et d’agir. La réforme du collège engagée par Najat Vallaud Belkacem avait fait réagir trois anciens ministres de l’Education et trois intellectuels* (*François Bayrou, Jean-Pierre Chevènement, Luc Ferry, Pascal Bruckner, Jacques Julliard, Michel Onfray.) qui s’étaient exprimés par un texte commun dans la presse, auquel je souscris complètement. Ils rappelaient combien tous les élèves ont besoin d’une Ecole forte et structurée pour réussir. « Ecole forte parce qu’elle affirme sa mission de transmettre des connaissances et des valeurs. Ecole structurée, parce qu’elle donne toute sa place aux savoirs disciplinaires ». Ils y défendaient le principe de l’égalité des chances auquel je suis encore aujourd’hui attaché : « Nous n’acceptons pas que l’égalité des chances soit confondue avec l’égalitarisme niveleur et se résume à la suppression de tout parcours d’excellence ». Et ils donnaient une définition de la mission de l’école républicaine qui est celle à laquelle j’ai toujours adhéré et qui n’est surtout pas caduque : « La promotion de tous et la sélection des meilleurs. Nous défendons la notion d’élitisme républicain pour que chacun puisse aller au bout de ses capacités ». Ils déclinaient ensuite ce qu’il leur semblait être les priorités. L’actuel Ministre, Jean-Michel Blanquer, paraît vouloir reprendre les mêmes préoccupations puisqu’il veut concentrer ses soins à l’amélioration des résultats de l’école primaire et du fonctionnement des collèges. Je ne suis pas habilité à évoquer la place et le rôle de la maternelle dans le dispositif d’éducation, encore qu’il me semble primordial pour lutter précocement contre les handicaps socio-culturels. Je peux comprendre qu’on la rende obligatoire. De même, il y aurait sûrement beaucoup à développer sur le fonctionnement de l’école dite « élémentaire ». Je ne me permettrai certainement pas d’accabler le personnel qui y œuvre.
« Avant d’être soi-même, il faut pouvoir s’approprier le monde ».
Le collège est ce moment privilégié où devrait se fabriquer l’identité « française » des publics qu’il reçoit. Tout enfant est par définition un nouveau venu, nous dit Alain Finkielkraut. C’est un « étranger » qui débarque sur la terre et que l’école se doit d’intégrer dans un monde plus vieux que lui. Mais ce n’est pas en mettant la charrue devant les bœufs qu’on parviendra à le faire. Aujourd’hui, on demande à l’éducation de privilégier un objectif individuel : celui d’être « soi-même », interprété comme le droit de chacun d’exprimer ses désirs. Ce faisant, on perd de vue l’idéal qu’elle devrait ne jamais cesser de promouvoir, à savoir la transmission « des droits universels de l’Homme » qui passe par l’acquisition de l’esprit critique, des droits et des devoirs de citoyen, des libertés fondamentales dites « valeurs de la République ». Autant d’acquis sans lesquels il ne pourra pas s’approprier le monde !
Retrouver le goût de l’effort.
Poursuivre un idéal, c’est FORMER, EDUQUER, au sens noble de ces deux concepts. Faute d’idéal, le corps enseignant, guidé en ce sens par les inspecteurs, en est réduit à chercher des solutions dans l’animation pédagogique, les moyens remplaçant la fin. Cela explique d’ailleurs que les enseignants qui ont une conception intellectuelle exigeante de leur métier, ceux qui croient à l’élévation de l’esprit par la connaissance, sont découragés ou passent outre et de fait ceux qui résistent parviennent à des réussites. Parce que cela ne peut se faire sans effort et que tout est fait pour laisser croire aux élèves le contraire : la mise en place, avec des arguties sorties tout droit de l’univers « éducnat », de ces usines à gaz que sont les projets interdisciplinaires en est l’exemple emblématique. Tant qu’on cherchera des parades de ce genre, le collège restera en situation d’échec : à savoir, les bons resteront bons et comme ils l’ont toujours fait, tireront leur épingle du jeu - je peux en témoigner- les autres s’enfonceront dans leur médiocrité, tirant avec eux les « moyens » vers le bas. On ne peut apprendre sans effort. Et, de fait, se sont mis en place les collèges pour le parcours des uns et des autres : il suffit d’observer la fréquentation des établissements de centre-ville par rapport à ceux des quartiers périphériques.
Rétablir l’égalité des chances.
S’il y a bien un lieu où doit se pratiquer l’égalité des chances, c’est bien le collège. La pédagogie différenciée était censée y répondre. Il s’agissait pour le prof de s’adapter à chaque élève pour lui permettre d’atteindre les objectifs assignés à la classe. Cette stratégie a presque partout échoué, pour de nombreuses raisons : hétérogénéité trop grande du groupe, handicaps socioculturels trop divers, absence de formation du prof, etc.
La constitution de groupes, non pas de niveau, mais suffisamment cohérents, confiés pour certains à des enseignants spécialisés, me paraît indispensable. C’est aussi là que pourraient être mises en place les stratégies pédagogiques reposant sur l’individualisation de l’apprentissage que permet le recours à l’informatique. Il est possible de concevoir un « collège pour tous », où le parcours tienne compte des compétences des élèves, discipline par discipline, pour aider les plus en difficulté et en même temps encourager l’excellence. Encore faut-il avoir les personnels formés et les logiciels adaptés.
La deuxième difficulté sur laquelle le collège bute et qui contribue à creuser les inégalités, ce sont les devoirs. Au collège, il est impossible de s’en passer : sans prolongement à la maison en leçons et devoirs, il est impossible de boucler les programmes pourtant très édulcorés par rapport à ceux du passé. L’aide aux devoirs est la bienvenue. Autrefois, c’est par les études surveillées par les enseignants eux-mêmes que nombre d’élèves des « cours complémentaires » arrivaient au Brevet avec succès. Les enseignants concouraient à l’ascenseur social et étaient rémunérés par la contribution modique de chaque parent. Aujourd’hui, un tel système serait impensable. Il convient donc d’intégrer les études surveillées, je n’ai pas peur de le dire, dans le service des profs. Faute de quoi, elles ne seront que des montages discutables faisant appel soit à des volontaires qui n’auront pas forcément les élèves de leur classe, soit à des personnes extérieures, ce qui pose la question de leur compétence et de leur rémunération sans parler du lien indispensable avec les profs.
Des forteresses de la République contre la loi des cités.
Des forteresses, certes, mais des forteresses intellectuelles, ouvertes sur leur environnement, pas des bunkers. Pour réussir l’intégration, le collège a un rôle essentiel à jouer. Au cœur des cités, il doit devenir la forteresse de la réussite et de la promotion sociale. Il existe beaucoup d’écrits et de théoriciens de l’éducation qui parlent des difficultés de ces établissements, mais peu décrivent concrètement la réalité quotidienne de ce qui s’y vit. En particulier à cause du déni de l’administration centrale qui préfère ne pas la voir, de crainte de tomber sous l’accusation de racisme ou de xénophobie.
La principale difficulté de la plupart des collèges d’éducation prioritaire, c’est la misère qui touche son public scolaire et l’inégalité. La mixité sociale y est absente. Des associations d’accompagnement social y ont introduit la religion discrètement. Ainsi dans un établissement où 90% des élèves sont musulmans, de plus en plus de filles arrivent voilées, des élèves contestent certains cours. La fracture grandit entre garçons et filles. Certaines de ces dernières ne participent plus aux cours de natation… Face à cette intrusion du religieux à l’intérieur du collège, il s’agit d’avoir un personnel qui tient bon quand un certain Islam devient incompatible avec les valeurs de la République. L’Ecole (mot générique) se doit d’affirmer sa laïcité, LA Laïcité. Ce qui fait dire à un ancien Principal* (Bernard Ravet) qui a dirigé ce type d’établissement qu’il se considérait comme un « Imam de la République » ! On retrouvera dans les lignes suivantes, nombre de ses constats, que je partage pour les avoir vécus.
Les établissements concernés ne sont pas les plus nombreux. Raison de plus pour mettre le paquet sur eux et concentrer les moyens appropriés. Il faut accepter de redéployer les enseignants de manière inégalitaire : les collèges aux publics « faciles » peuvent admettre jusqu’à 30 élèves par classe, voire plus. Au contraire, pour les enfant dont la culture ou sous-culture multiplie les obstacles, à quoi il faut ajouter souvent ceux constitués par leur environnement social et affectif, il est de notre devoir collectif de leur apporter ce qu’ils n’ont pas, d’une part, et de faire en sorte, d’autre part, qu’ils ne soient pas exposés aux « prédateurs extérieurs » prêts à les endoctriner contre un soutien social. Car la pression sociale est forte. Ainsi, il faut rester intransigeant sur le port du voile pour les filles, qui ne doit pas franchir la porte d’entrée. C’est devenu une bataille quotidienne, d’autant plus que les frères, même quand ils sont plus jeunes, considèrent qu’ils doivent contrôler leurs sœurs aînées et les éduquer. Au point que certaines sont maintenant convaincues qu’elles sont inférieures aux garçons. Il arrive que des livrets imprimés en Arabie saoudite et interdits en France qui promeuvent la charia circulent sous le manteau, et conduisent les élèves à contester les cours de leurs professeurs. Cela a pu se faire dans « tel » établissement par un surveillant bien sous tous rapports et qui s’avèrera être fiché S, mais l’administration de l’Education nationale s’est repliée sur son contrat pour ne rien faire…
Pourtant dès 2004, le rapport Obin sur « les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires » décrit parfaitement la montée du « fait religieux », pour ne pas dire l’Islam, dans les écoles. Ce rapport a été ostracisé par la bien-pensance et son auteur accusé d‘islamophobie. Les événements de 2015 ont réussi à dessillé les yeux de nombreux responsables politiques, mais beaucoup de chemin reste à parcourir, en partie à cause du clientélisme électoral. Je le dis clairement, l’enseignant du public que je reste encore, bien qu’en retraite, ne comprend pas que l’Etat puisse mettre sous contrat un collège privé musulman créé pour permettre aux familles d’y mettre leurs filles voilées. Quel sens donner alors au travail sur la laïcité face à une telle complaisance ?
Des personnels spécifiques.
En dehors des aspects de politique générale qui se définissent au plus haut niveau (programmes, objectifs…), les moyens à mettre en œuvre ne sont pas si extraordinaires : les dotations attribuées aux établissements classés en ZEP sont en général suffisantes. C’est sur les compétences des personnels qu’il faut travailler si l’on veut réussir. Il faudrait, en quelque sorte, ressusciter les « hussards de la République », forts de leurs savoir mais aussi capables de faire face aux situations spécifiques auxquelles ils seront exposés, faisant d’eux des sortes de travailleurs sociaux autant que des enseignants et en même temps animés par un engagement fort. Ces enseignants ultramotivés, et c’est la bonne nouvelle, existent, et sont plus nombreux qu’on ne le pense. Pour rejoindre ce type d’établissement, j’ajouterai quelques exigences supplémentaires : une expérience reconnue et le volontariat en échange d’un avancement plus rapide et d’un avantage de carrière sur la même base qu’un détachement à l’étranger, le tout assorti d’un plus financier appréciable pour le salaire. Il faudrait aussi fixer un seuil de 50% de professeurs masculins : dans l’enseignement, on gagnerait à maintenir la parité exigée ailleurs. Ces enseignants devraient, avant de prendre leur poste, suivre une formation spéciale renforcée sur les contenus : droits de l’Homme, connaissance des cultures étrangères, rudiments d’arabe, en même temps que sur les attitudes et comportements à adopter pour gérer les situations auxquelles ils seraient susceptibles d’être confrontés. Tout cela en échange d’un engagement de rester au moins cinq ans dans le poste.
Il semble que le Ministère de l’Education s’engage dans cette voie. Je suis bien placé, pour l’avoir vécu dans mon établissement, une classe d’alphabétisation est toujours nécessaire. Son usage pourrait être étendu aux parents en cours du soir. De même l’obligation scolaire sans aucune tolérance doit être la règle quitte à utiliser la peur du gendarme, comme aux débuts de l’école obligatoire. Enfin, dans le collège de ZEP, le système d’apprentissage doit prendre en compte les devoirs, faits sur place le soir en étude après les cours et encadrés par les professeurs. « Forteresse » ne veut pas dire, établissement recroquevillé sur lui-même : il doit rayonner sur le quartier grâce à des projets impliquant parents et autorités locales. Des moyens humains et matériels supplémentaires pourraient être accordés sur un projet pédagogique élaboré par l’équipe du collège et maintenus en fonction d’une évaluation des résultats obtenus à partir d’une grille conçue en commun administration/équipe pédagogique, à la fin de chaque année scolaire ou tous les deux ans.
Des collèges ouverts sur les métiers de l’artisanat et les PME.
Sous prétexte d’études longues, les formations d’apprentissage ont été discréditées dès les années 70. On leur a préféré les filières dirigeant vers le « tertiaire », ouvrant sur des diplômes dévalués, type « bac G », et débouchant rapidement sur le chômage, alors qu’il était évident que nous manquerions d’artisans dans tous les domaines. La démographie pousse les générations d’artisans vers la retraite sans qu’ils ne trouvent aujourd’hui de repreneurs pour leurs entreprises. Dans beaucoup de métiers, il leur est même difficile de trouver de la main d’œuvre formée parce que les jeunes n’y viennent pas, soit parce qu’ils ne sont pas attirés, soit parce qu’ils ne savent pas.
On manque de carreleurs, de charpentiers, de menuisiers, de couvreurs, de bouchers, de charcutiers, … et les sections des CFA (Centres de Formation d’Apprentis) ne sont pas pleines. Dans les collèges, on est obligé de garder, souvent péniblement, des élèves jusqu’en fin de troisième, qui n’ont aucun appétit pour les études. Ils trouveraient sûrement plus d’intérêt si on pouvait leur proposer des activités plus concrètes.
Certains collèges devraient pouvoir offrir cette découverte pratique des différents métiers de l’artisanat, en partenariat avec les Chambres de métiers et les CFA, par un enseignement adapté répartissant à mi-temps les activités scolaires et de découvertes. Les après-midis pourraient être consacrés à des ateliers d’initiation aux métiers soit sur place, soit en CFA, en abordant tous les aspects : gestes professionnels, salaires, conditions de travail… Les élèves pourraient choisir l’initiation à plusieurs métiers au cours de leur scolarité au collège en commençant dès la 5ème. Ainsi on pourrait relancer l’apprentissage dans ces métiers et l’emploi dans les entreprises artisanales, en assurant un débouché à des jeunes qui, sinon, sortiront du collège, de toute façon, sans aucune qualification ni diplôme.