La formation des enseignants.
Celui qui n’est jamais allé dans une salle des profs peut encore penser que les sciences éducatives, ça existe. En fait, c’est une grave erreur. Si l’éducation était une science, alors il y aurait une « meilleure façon d’enseigner » et il serait possible d’évaluer les méthodes mises en œuvre. Mais voilà, ce qui fonctionne ici, ne marche pas là. Telle pratique est appliquée avec succès dans un établissement et échoue dans celui d’à côté …
Tout simplement parce que l’éducation est d’abord affaire d’humain. D’une école à l’autre, d’un collège à l’autre, les élèves ne sont pas les mêmes, les enseignants non plus. Le contexte joue un rôle primordial. Comme je l’ai montré dans un chapitre précédent, la pédagogie nait de l’interaction entre le prof et ses élèves, et il y a une infinité de rapports possibles. La pédagogie relève du domaine des arts, tant elle est en rapport avec la « sensibilité » d’un maître et celle de son public. Mais c’est de la compétence que naît la bonne pédagogie, et non l’inverse. Derrière ce mot se cachent plusieurs exigences : celle du savoir (au sens posséder les connaissances) vient en premier, celle des « savoir-faire » vient ensuite, suivie de celle du « savoir être ». L’enseignement ne peut pas être un métier que l’on exerce « par défaut », mais si possible par vocation, même si le mot est un peu fort.
Quelques constats préalables.
Avant tout, et c’est une exigence qui me paraît incontournable : quel que soit le niveau d’enseignement, quelle que soit la matière enseignée, la maîtrise parfaite de la langue française devrait être une condition indispensable à l’exercice du métier d’enseignant. Le fait que la langue française soit ardue, ne doit pas empêcher l’institution « Ecole publique » d’obliger ses personnels à vérifier et mettre à jour régulièrement leurs connaissances en orthographe, grammaire et syntaxe. On ne doit pas laisser affirmer que c’est un rigorisme dépassé. Etre professeur ce n’est pas seulement partager ses connaissances, c’est aussi s’efforcer d’être irréprochable : le devoir d’exemplarité. Ainsi, il n’est pas acceptable que de plus en plus de profs soient fâchés avec l’orthographe.
Il faut des experts polyvalents et tout terrain pour professer dans les établissements des zones dites « sensibles » et surtout pas de jeunes bac+5 jetés dans la fosse aux lions sans aucune préparation, car ils n’ont pas les pouvoirs de « Daniel » (sans jeu de mot, cf. Bible) pour les dompter. Et puis, qu’on arrête de vouloir un corps unique de la maternelle à l’université, vieille revendication de l’ancien SNI (Syndicat National des Instituteurs). J’ai du mal à comprendre qu’on exige le niveau bac+5 pour enseigner à la maternelle, à l’école élémentaire ou en collège. Cela ne garantit pas forcément un savoir adapté au niveau de l’enseignement à dispenser, même si dans certains domaines, des connaissances pointues peuvent se justifier. Il faut prendre en compte le coût d’une telle formation prolongée et s’assurer du rapport « qualité-prix » qui en découle. Et surtout pour rémunérer les enseignants aussi mal ensuite ! Il y a certainement là une explication à la difficulté du recrutement. On sait que les enseignants allemands ont des salaires 30% plus élevés.
On pourrait mettre comme plancher Bac+2 et par la formation continue en interne permettre l’élévation professionnelle au cours de la carrière à ceux qui en ont la volonté et le talent. Rien n’interdit de recruter à différents niveaux, avec à chaque fois des profils et des diplômes requis : par exemple, la licence pour le lycée, la maîtrise et plus pour l’enseignement supérieur. Voilà pour la formation intellectuelle en termes de savoir et de connaissances.
Les errements de la formation depuis les années 70.
Je découvre avec intérêt dans le « plan 2022 » d’économies remis au Premier Ministre Edouard Philippe, cette proposition pour un nouveau corps d'enseignants. Le comité suggère d'augmenter le temps de cours des enseignants du secondaire de deux heures par semaine. Pour « améliorer leurs rémunérations » et « créer un nouveau corps d'enseignants qui pourrait se substituer progressivement à celui de professeur certifié », indique le rapport. Ce nouveau corps serait soumis à des obligations supplémentaires : deux matières à enseigner, annualisation du temps de travail, obligation de remplacement. Sur la formation initiale, le rapport recommande d'avancer le concours à la fin de la licence pour commencer plus tôt la pratique du métier d'enseignant. Le rétablissement de la bivalence rejoint ce que j’avais dit à l’Inspecteur qui m’avait demandé pourquoi j’étais resté « PEGC ». Mais je serais vraiment étonné si cette proposition, pourtant de bon sens, était reprise.
Pour tous, quel que soit le niveau du recrutement, comme évoqué plus haut, il faudrait une école professionnelle où pendant un ou deux ans, les futurs professeurs apprendraient les ficelles du métier et s’aguerriraient par des stages répétés dans des écoles d’application. N’importe qui ne peut pas être enseignant. Les Ecoles normales départementales avaient ce mérite, en recrutant les élèves-maîtres sur concours au niveau de la seconde, de permettre d’acquérir à la fois le corpus de connaissances, le savoir-faire après le bac, dans l’année de formation professionnelle par des cours théoriques et des stages pratiques dans les classes d’application, et surtout, par une lente maturation au cours des quatre années d’internat, le savoir-être. Cela donnait au mieux une épaisseur humaine, et à défaut procurait un « formatage » qui permettait d’affronter le terrain. A partir de 1969, on a commencé à recruter les élèves-maîtres après le bac et porté la formation professionnelle à deux années.
En 1990, on a supprimé ces centres de formation. Ils ont été suivis par la création des IUFM (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres) dont les errements ont été décriés si j’en crois l’abondante littérature écrite sur le sujet. Ceux-ci ont été, en effet, le fer de lance de la nouvelle pédagogie et se sont retrouvés en plus complètement noyautés par des formateurs à l’idéologie bien précise qui les rendaient irréformables. En 2006, un jeune diplômé du CAPES de lettres modernes avait écrit un témoignage plutôt acerbe sur son expérience de formation : « La ferme aux professeurs, journal d’un stagiaire ». Jamais titularisé –et pour cause- il affirmait dans une interview diffusée sur internet en 2010 : « Il est évident qu’il faut une formation pour apprendre à enseigner. C’est à ce besoin réel que répondent très mal les IUFM. Donc la question est : par quoi et surtout par qui va-t-on les remplacer ? Si on récupère les mêmes « abrutis » pour les coller dans une structure avec un sigle différent, on n’aura pas avancé beaucoup ! ». Ils ont donc été plus ou moins supprimés en 2010 et remplacés… par rien dans un premier temps. La formation universitaire a donc servi de socle unique pour le métier. Incroyable et dramatique !
C’est dans le cadre de la « refondation de l’école » que les ESPE (Ecoles supérieures du Professorat et de l’Education), sont créées en 2013 par le ministre Vincent Peillon. Y a-t-il une différence avec les anciens IUFM ? Là est la question. A entendre ce qui est dit et répété sur la formation professionnelle des enseignants, il semble qu’on soit toujours loin du compte. Ce que l’on a pu observer ces dix dernières années, est l’exemple type de ce qu’il ne faudrait pas faire. D’abord les IUFM de triste mémoire. Ensuite leur suppression pure et simple. Pour finalement retrouver les ESPE… avec sensiblement les mêmes carences. Car loin d’être des coquilles vides, ces ESPE sont, apparemment, toujours les fers de lance du « pédagogisme ».
Les actuelles écoles du professorat ne donnent pas satisfaction.
Dans un rapport remis en juin 2017, la Cour des comptes accable ces « Espés ». Elle constate : l’allongement des études pour passer les concours d’enseignant, la création d’un master dédié et la rénovation des concours « n’ont pas paradoxalement garanti une élévation du niveau de compétences disciplinaires ni une professionnalisation nettement accrue ». En cause, assez nettement le pilotage par les universités, autonomes, qui abritent ces écoles et le cadrage insuffisant exercé par le ministère de l’Education, ce qui a donné des formations au contenu variable, des moyens affectés fluctuants et des gouvernances diverses. Et aussi : « trop de pédagogique » et « pas assez de disciplinaire » ! Les étudiants qui en sortent sont déconnectés des réalités du terrain conclut le rapport. Tout est dit. Ce qui péche dans les « Espés » comme avant elles, dans les IUFM, c’est de vouloir faire une formation universitaire et « l’universitaire » inévitablement prend le pas sur le « professionnel ». Il est toujours très difficile de changer les structures de l’Education nationale. Le sujet de la formation professionnelle des professeurs est donc toujours sur la table !
Pour des écoles supérieures des arts de la pédagogie.
Je partage l’idée de Bernard Ravet dans son livre « Principal de collège ou imam de la République » : il faudrait une « Ecole supérieure des arts de la pédagogie », où l’on fasse la synthèse de tous les savoirs et techniques impliqués dans l’acte d’éducation et j’ajouterai, personnellement, une déclinaison par académie, sous forme d’ « Ecoles Régionales des arts pédagogiques », pour former les futurs enseignants des différents niveaux d’enseignement. La liste des disciplines à aborder est facile à établir : philosophie, sociologie, épistémologie, psychologie, histoire, conduite de projet, animation d’équipe, sciences cognitives, l’art de retenir l’attention (un camelot sur le marché y parvient aisément)… sans parler de la partie pratique pour laquelle les stages en écoles d’application sont irremplaçables. Pour chaque niveau d’enseignement, un niveau de connaissances adapté, mais pour tous une formation professionnelle de haut niveau ouvrant sur la maîtrise de tous les outils pédagogiques les plus modernes. J’aime bien l’idée développée par le professeur d’histoire-géographie Barbara Lefebvre, dans son ouvrage « Génération : J’ai le droit », selon laquelle le bon prof est un « artisan ». Elle émet une idée, que je considère comme complémentaire de celle de Bernard Ravet et son « école des arts pédagogiques », à savoir : confier la formation des apprentis-enseignants aux vrais praticiens de la pédagogie, les enseignants eux-mêmes, en choisissant les plus expérimentés. Je partage son constat aussi : les enseignants sont des ingénieurs-artisans qui adaptent leur enseignement en fonction des élèves, des classes, des situations. « Un bon enseignant navigue à vue » : je me reconnais pleinement dans cette affirmation. Et je souscris encore quand elle écrit : « Et ceux qui ont des œillères font rarement atteindre le rivage à tous leurs élèves » ! Voilà de quoi inspirer l’actuel Ministre qui prend par ailleurs d’excellentes initiatives. Si l’on confiait une partie de la formation professionnelle des enseignants à des enseignants en poste on donnerait la capacité à ces jeunes de relativiser les injonctions pédagogiques venues d’en haut, la plupart du temps sans grand lien avec les pratiques réelles. Enfin, tant qu’il y en aura, mais on ne change pas si facilement les habitudes verticales et bureaucratiques de ce mastodonte que d’aucun avait surnommé le « mammouth » !