Les remèdes.
Une tâche de longue haleine.
Une fois qu’on a dit tout ça, avec les progrès importants des sciences cognitives et grâce à l’aide que pourrait apporter l’intelligence artificielle (IA), il est possible de mieux définir ce qui est efficace et ce qui ne l’est pas en pédagogie, et même en matière d’organisation. Il y a des établissements pionniers, il existe des méthodes alternatives, des outils qui ont fait leurs preuves. Dans son livre « Apprendre », Stanislas Dehaene énonce les chemins que balisent ses expériences scientifiques sur le fonctionnement du cerveau. Les pratiques qui fonctionnent peuvent être la source des réformes indispensables, en ne perdant pas de vue que la restauration de la confiance de la société dans son école est une priorité.
Remettre la machine sur le chemin des performances sera néanmoins une tâche de longue haleine. Et d’abord, tant pis pour les cénacles progressistes qui crieront à la « réaction », mais il est urgent de renouer avec l’humanisme pédagogique. Il ne s’agit pas de se tourner vers le monde d’hier, mais plutôt d’examiner en quoi le passé peut nous aider en essayant de ne pas confondre « l’école d’hier » avec « l’école de toujours », une école qui ne devrait jamais perdre de vue que la culture peut vraiment être transmise pour ce qu’elle est : le patrimoine de l’humanité à travers la diversité des œuvres de l’esprit à toutes les époques. C’est la Culture partagée qui rassemble, qui fait lien entre les individus. Commençons donc par arrêter de charger l’école de tous les problèmes du moment pour la laisser se concentrer sur sa seule et unique mission : la transmission du savoir.
L’objectif.
Il est simple : transmettre à chaque enfant le meilleur de la culture dont il est, d’où qu’il vienne, un légitime héritier. Mais il n’y a pas de culture sans savoir et de savoir sans instruction.
Avant d’éduquer, commençons par instruire. Ensuite, mettre les enseignants au cœur du dispositif en définissant avec eux les buts à atteindre et ensuite en leur faisant confiance, notamment aux équipes qui envers et contre tout, bien souvent, continuent de faire vivre les établissements. L’adhésion des enseignants est évidemment essentielle, ce qu’avait cherché à obtenir Luc Ferry avec son livre, car leur capacité d’inertie, s’ils le veulent, est énorme, le lecteur l’aura bien compris.
C’est instituer une vraie formation continue des enseignants accompagnée d’une politique de ressources humaines digne de ce nom, qui ne se contente pas de gérer seulement des flux, mais s’intéresse aux compétences.
C’est procéder à une véritable évaluation rationnelle des établissements scolaires et des personnels au lieu de se contenter du simulacre des inspections que j’ai vécues au cours de ma carrière, qui non seulement sont totalement pipées puisque l’enseignant est prévenu, mais en plus ne lui apportent rien tant l’exercice est déconnecté de la réalité.
La tentative de Luc Ferry.
On aurait pu croire le nom prédestiné. Voilà un ministre, au début des années 2000, qui avait parfaitement identifié tous ces maux et après avoir fait le bon diagnostic, engagé une série de réformes qui auraient pu, dès cette époque corriger la trajectoire. C’était Luc Ferry. Dans sa « lettre à tous ceux qui aiment l’école », qu’il avait envoyée à tous les enseignants, il expliquait clairement et lucidement ce qu’il entreprenait, espérant obtenir ainsi l’adhésion du corps enseignant. Il n’obtint que le déchaînement des pédagogistes qui organisèrent des « autodafés » de son ouvrage, preuve s’il en était d’un aveuglement sectaire. Je reçus l’ouvrage quelques mois avant de « faire valoir mes droits à une juste retraite ». Encore aujourd’hui, son livre reste d’actualité et pourrait faire les choux gras d’un ministre en mal de projets, tant ses bonnes idées mériteraient d’être appliquées : il expérimentait les cours préparatoires à dix élèves pour lutter contre l’illettrisme, il réaffirmait les principes de la laïcité républicaine pour lutter contre les menées communautaristes, il voulait diversifier les parcours au collège en instituant une articulation avec l’enseignement professionnel par la mise en place de dispositifs d’alternance… Mais surtout, il prenait le contrepied de tout ce qui faisait décliner le système éducatif depuis les années 90, en refaisant de la transmission des connaissances le centre de l’action éducative. Il n’eut pas le temps d’aller au bout de ses projets, qui demandaient un peu de durée et de persévérance. A peine deux ans après sa nomination, devant la révolte organisée par les syndicats, il fut « courageusement » abandonné par Jacques Chirac et remplacé par François Fillon, non sans avoir fait adopter, juste avant son départ, la loi sur la laïcité interdisant les signes religieux à l’école. Son successeur détricota évidemment ce qui avait été commencé… avant de connaître le même sort un an plus tard. Dommage pour le système éducatif !
Pour atteindre l’objectif, n’hésitons pas à aller voir ailleurs les méthodes qui fonctionnent, et surtout, laissons tomber celles qui ne donnent pas de résultat satisfaisant : ainsi, on peut saluer les efforts d’un ministre qui a enfin le courage de mettre à bas la méthode globale d’apprentissage de la lecture. On peut aussi s’inspirer des réussites concrètes, car il y en a, obtenues dans les collèges de banlieues, et accompagnons sans hésiter la créativité pédagogique. Avec une idée fixe en tête : quand une culture n’est plus transmise, tôt ou tard, elle disparaît ! Et c’est déjà en route …
Qu’on laisse les enseignants enseigner.
Cela devrait passer par une formation professionnelle solide qui ne s’arrête pas aux seuls diplômes universitaires, un recours aux technologies de l’information et de la communication chaque fois qu’elles s’avèrent utiles, une remise en cause profonde des pratiques de transmission des connaissances et du tronc commun obligatoire, avec la liberté du pédagogue de choisir ce qui lui parait bon pour ses élèves, un retour à la construction démocratique des élites par le mérite.
Ce n’est pas d’un retour en arrière qu’il s’agit, mais d’une entrée dans le 21ème siècle, pour faire face à des élèves bardés d’outils informatiques qu’ils maitrisent mieux que leurs maîtres, mais trop souvent sans discernement du contenu, et pour donner plus que jamais à nos jeunes non seulement des bases de savoir pour leur permettre d’affronter tous les changements du monde, mais aussi les moyens de développer leur capacité cognitive qui les mettra en capacité de rivaliser avec l’intelligence artificielle (* Philippe Alexandre). Ce sont des enjeux majeurs. On a les moyens de les affronter, il suffit de vouloir.
Clairement, l’école, d’une manière générale n’a pas encore fait sa révolution numérique, malgré les réformes qui se sont enchaînées depuis des années afin d’adapter le monde de l’enseignement à celui du digital. On voit bien que les interrogations demeurent, et même s’accentuent. L’institution ne répond pas lucidement à la question : « Quelle éducation en face-à-face quand l’ordinateur miniature est partout ?». Personne ne sait vraiment si ces outils favorisent ou brident l’apprentissage et l’imagination, ce qui a fait dire à Dominique Wolton : « Il est plus facile de numériser l’école, de dire qu’il s’agit d’un nouveau projet éducatif, que de repenser réellement le rôle de l’école et de l’éducation ». C’est pourtant ce qu’il faut faire !
En attendant, l’essentiel reste de transmettre. Car c’est de la culture que nous avons à partager que peut venir toute la créativité, toute la liberté, le recul de l’obscurantisme, en un mot, toute l’humanité du monde qui vient. Et c’est parce que nous l’avons en grande partie oublié, que nous avons pendant un temps cessé de transmettre, que l’école est devenue ce vide saturé de folies pédagogiques et producteur de tant d’handicapés culturels sans repères solides.
On commence, en effet, à s’apercevoir que la thèse selon laquelle les nouvelles technologies rendraient possible une éducation consacrant l’autonomie de l’élève, qui pourrait ainsi construire son propre savoir sans passer par la médiation d’un « maître », en s’appuyant uniquement sur les nombreux écrans qui saturent sa vie, débouche sur l’abaissement général, comme en témoignent les nombreuses mesures faites sur notre système éducatif. L’école ne doit pas rattraper son époque mais simplement s’y adapter en ne perdant pas de vue les savoirs classiques qui ne sont ni périmés ni élitistes, l’histoire sans laquelle nous formons des égarés (mot cher à Jean d’Ormesson), et les grandes œuvres de la littérature en ce qu’elles éclairent le monde d’où l’on vient. Les nouvelles technologies doivent participer à une pédagogie de l’admiration qui éduque à la beauté du monde !
L’autorité.
Le dernier classement Pisa révèle un autre record dont on se passerait bien : la France figure parmi les pays ou l’indiscipline et le chahut dans les salles de classe sont les plus virulents. Un élève sur deux s’en plaint dans la plupart ou la totalité des cours… Notre « école » est rongée par la violence et les incivilités et chaque jour l’actualité nous apporte son lot de professeurs agressés, de collégiens ou lycéens passés à tabac. De quoi rendre repoussante l’image d’un métier déjà fortement dévalorisé. Et cela se mesure au recul du nombre des candidats aux concours. Et encore, ce chaos dans les salles de classe est-il aggravé dans les quartiers les plus défavorisés par les phénomènes communautaristes qui interdisent quasiment aux professeurs d’enseigner et aux collégiens et lycéens motivés d’étudier.
Remettre le système sur pied, c’est redonner au « maître » son autorité, lui qui est le mieux à même d’apporter une valeur ajoutée aux performances des élèves. Encore faudrait-il que l’environnement immédiat soit en cohérence et obéisse aux mêmes codes. Après les attentats qui ont ensanglanté Paris, l’école a été brandie par tous comme l’un des remparts contre le fondamentalisme religieux. La laïcité a été mise en avant et l’enseignement moral et civique a été renforcé pour atteindre 300 heures sur l’ensemble de la scolarité d’un élève. Les symboles de la République ont été appelés à la rescousse : hymne national, drapeau, devise doivent être appris et célébrés -mais c’était déjà dans les programmes depuis longtemps-. On est même allé jusqu’à remettre à l’honneur certains rites comme se lever quand le professeur entre dans la classe, ce qui me fait sourire, moi qui n’ai jamais dérogé à ce principe. Mais faire de l’établissement d’enseignement quel qu’il soit, un sanctuaire de civilité, de politesse et de respect, et notamment à l’égard des enseignants, est en soi un objectif vers lequel il faut absolument tendre.
L’éducation c’est la verticalité.
Dans les temps futurs, les enseignants devront être au-dessus du lot, constituer ou faire partie d’une élite : pour qu’ils soient respectés et surtout pour qu’ils aient les compétences en intelligence, tant je suis persuadé de la nécessité de cerveaux hyper-performants pour rivaliser avec tout ce que l’intelligence artificielle mettra à dispositions pour instruire. Ensuite, je crois comme l’explique Aldo Naouri, le célèbre pédiatre, que l’éducation c’est la verticalité ! Ce qui est vrai pour la famille l’est aussi à l’école. Si l’ascenseur social fonctionnait autrefois, c’est parce que les deux, -famille et école- pratiquaient le même principe d’autorité, la même verticalité. Comme l’enfant, l’élève a besoin de se sentir intégré dans un ensemble où existe une hiérarchie. C’est cela qui est sécurisant. Ainsi le prof, s’il doit montrer son empathie, n’a pas à rechercher à se faire aimer à tout prix.
L’autorité, j’entends comprise comme valeur reconnue,acceptée parce que légitime, indiscutable, est indispensable et c’est en se frottant à elle que l’élève pourra construire son identité. Ce ne doit pas être l’autoritarisme qui n’est rien d’autre que la contrainte souvent imposée par ceux qui justement n’ont pas d’autorité. Il n’est nullement besoin de hurler pour se faire entendre. Avoir de l’autorité pour un prof, c’est faire sentir, tranquillement, qu’il apporte quelque chose d’utile que ses élèves attendent, et ce faisant, s’il faut, qu’il est déterminé à se faire respecter et à faire en sorte que ses consignes soient suivies d’effet. Je sais que cette autorité tranquille est très efficace pour l’avoir pratiquée instinctivement. Ainsi mes élèves savaient qu’après avoir exposé en début d’année le modus vivendi qui s’appliquerait en classe, il serait une référence constante pour régler mes rapports avec la classe, et ceux des élèves entre eux.
J’en ai vu des « profs-copains », qui acceptaient d’être tutoyés par leurs élèves, c’était en vogue dans les années 70. Le fin du fin c’était la partie de foot avec eux et au milieu d’eux. Son apothéose, c’était d’entendre à la fin du match le très attendu : « Il est sympa Raymond ! » qui lui mettait les larmes aux yeux. Mais en classe, pour se mettre au travail, c’était une autre affaire.
Le prof « mère poule » est aussi à éviter. Pourquoi en faire une deuxième mère ou un copain ? C’est aller au-devant de complications dans les relations à une époque où les familles sont très souvent déstructurées et les enfants en mal de repères affectifs. La confusion des rôles entraîne la confusion dans les rapports, et avec des adolescents, la confusion des sentiments, ce qui est prendre de grands risques. Cette confusion peut déboucher sur l’irrévérence, l’incivilité, la dilution des responsabilités, où au contraire un attachement malsain… Le prof est là pour imposer le principe de réalité, montrer que l’élève n’est pas seul au monde, ce monde plus vieux que lui, comme dit Alain Finkielkraut, dont il doit lui apprendre les codes, et surtout lui montrer qu’il doit tenir compte des autres.
Et comme notre époque est propice à « l’enfant roi » qui veut imposer sa toute-puissance en toutes circonstances, il est indispensable surtout s’il est au début de l’adolescence, que quelqu’un lui rappelle les « limites ». Car ce sont ces limites qui sont aptes à le rassurer : c’est quand on est capable de réprimer ses pulsions qu’on devient capable d’efforts. Une expérimentation qui lui sera bien utile quand il sera confronté aux situations d’apprentissage qui nécessiteront des efforts, car il y sera accoutumé d’une certaine façon. Combien de fois ai-je fait constater à mes élèves que c’étaient les rares occasions où ils avaient été obligés de se surpasser qui laissaient les souvenirs les plus durables et les plus agréables. Si l’on cherche à donner du sens au mot « éduquer », voilà qui est fait !
Mais cette autorité dont je viens de parler, encore faut-il pouvoir la pratiquer. Les profs ne sont pas naturellement des êtres de pouvoir, ils sont des êtres de savoir et de transmission. Pédagogie et autorité sont quelque peu antinomiques. Aussi, pour autant, un professeur ne doit pas avoir à se battre pour faire cours. Alors comment s’y prendre face à des groupes où ceux qui refusent de travailler sont majoritaires et probablement n’y ont pas leur place ? Le système scolaire maintient trop souvent des élèves qui ont parfois plusieurs années d’échecs bien qu’ils aient été assistés par toutes les mesures d’éducation prioritaire possibles. Il faut alors affronter une passivité hostile dont ils ne peuvent se départir. Ces fléaux sociaux qui encombrent nombre de classes d’établissements de ZEP empêchent ceux qui voudraient saisir leur chance de réussir. Et le prof est d’autant plus démuni que les sanctions qu’il serait amené à prendre pour se faire respecter, il n’est pas certain que sa hiérarchie les assume.
C’est donc d’une clarification globale du concept d’autorité dans la société elle-même dont on a besoin. Qui, en effet, fait autorité aujourd’hui dans la société ? « A part Johnny Halliday, je ne vois pas » nous aurait dit un Coluche. On ne soupçonne pas ce qu’un enseignant prend comme risques sur tous les plans : juridique en cas d’écart de conduite d’un ou de plusieurs élèves lors d’une sortie, physique quand il est insulté voire agressé, psychique quand la pression est trop forte… Pris entre les directives ministérielles aujourd’hui très précises (programme, annexes,…) diligentées par l’Inspecteur transformé parfois en commissaire politique, les contraintes administratives, les caprices éventuels du chef d’établissement, le public auquel il a affaire, très différent d’un endroit à l’autre en matière de spécificités socioculturelles, l’enseignant, surtout s’il est débutant, n’a pas réellement de marge de manœuvre jusqu’au sein même de sa classe. C’est là qu’une équipe pédagogique cohérente est nécessaire pour éviter un isolement souvent décourageant. Mais rétablir l’autorité nécessaire suppose de prendre en amont les mesures qui s’imposent pour offrir d’autres voies de formation aux élèves qui n’ont pas d’appétence scolaire. Vaste problème : il faudrait pour cela bousculer bien des tabous : apprentissage, sélection, redoublement, mérite … et rétablir des examens dignes de ce nom.
Le retour de l’écrit.
« L’écrit n’opprime pas, il libère ! » Il faudrait revenir à une conception exigeante de l’apprentissage du savoir, en agissant à la fois sur les enseignants –qui attendent le signal- et les parents –à qui il faut repréciser leur rôle-.
La première priorité consisterait, à mon sens, à rétablir la suprématie de l’écrit sur l’oral, car en laissant les enfants s’exprimer n’importe comment, en accordant la priorité à la créativité, on s’aperçoit que non seulement ils ne savent plus écrire, mais qu’ils ont aussi plus de mal à parler, la grammaire de l’oral n’étant pas enseignée. Je suis effaré de constater que selon une enquête, près de 30% des élèves en fin de CP ne sont pas capables d’écrire un texte lisible parce qu’ils n’ont pas acquis la formation des lettres et l’orientation du tracé. Sont en cause le trop grand nombre de photocopies et le manque d’exercice. A l’entrée en sixième, le problème persiste. De nombreux professeurs se désolent face aux « écritures malhabiles », mauvaise tenue du stylo, mélange des graphismes, inclinaison inadaptée de la feuille… Et quand on sait que l’amélioration de l’apprentissage de la lecture et de l’orthographe est intimement liée à celui de l’écriture, le problème n’est pas anodin. La chercheuse Nathalie Lavoie a établi que « l’acquisition d’un tracé fluide et automatique permet à l’élève de libérer des ressources cognitives et attentionnelles qui pourront être tournées vers les autres aspects de l’écriture ». J’ai bien lu que les nouveaux programmes de 2016 insistaient sur la place de l’écriture, mais les mauvaises habitudes ont la vie dure.
Selon les observations de l’étude « Lire-Ecrire », c’est à la calligraphie que les élèves passent le moins de temps en CP : 16 minutes hebdomadaires en moyenne. Un temps qui paraît bien faible si l’on considère que la calligraphie assume une part importante de l’efficacité de la production d’écrit. Oui, mais voilà, le clavier de « Petite Poucette » a pris la place : alors à quoi bon apprendre à écrire… puisque ça ne sert plus à rien. Le combat n’est pas gagné d’avance.
De même, en ce début de XXIème siècle, il est effrayant de constater combien nos élèves sont démunis en vocabulaire, au point de ne plus comprendre correctement non seulement le français courant mais les consignes de leurs exercices, et de ne s’exprimer qu’avec une majorité de mots argotiques ou vulgaires voire d’onomatopées. On s’étonnera alors de la progression de la violence ? Alexandre Jardin a raison : ont-ils seulement « 1 000 mots » à leur disposition ? Il faut être d’autant plus exigeant sur les apprentissages fondamentaux de la lecture et de l’écriture que nous vivons dans un monde où les messages raccourcis sont légions.
Ecrire est une nécessité si l’on veut former des esprits capables de raisonner logiquement, d’exposer les idées en ordre et avec clarté. L’écrit structure plus que l’oral parce qu’il nécessite la réflexion et la concentration. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement : c’est l’écriture qui propose le meilleur chemin pour y parvenir. Il faut donc au cours de la scolarité, multiplier les occasions d’écrire, pour raconter, inventer, commenter… Sans oublier que l’autre versant de l’écriture c’est la lecture, car si l’on écrit, c’est bien pour être lu !
Et les deux fonctions sont indissociables l’une de l’autre. Or, les derniers résultats de l’étude « Pirls » sont accablants : à 10 ans, un écolier français lit moins bien que ses camarades européens et est même distancé par rapport à la moyenne de l’Union européenne et de l’OCDE. Plus grave, le score obtenu est inférieur à celui de l’étude précédente en 2001, avec une chute très significative dans le domaine « interpréter et apprécier » qui est la mesure la plus fine de la compréhension.
Doit-on se résigner à voir la « fabrique du crétin » dénoncée par Jean-Paul Brighelli continuer à prospérer ? L’école ne se relèvera pas si on ne revient pas à la lecture à haute voix comme je la pratiquais, à la lecture silencieuse suivie de questions, à la récitation, à la grammaire de la phrase, au travail systématique sur le vocabulaire. Une abréviation n’a de sens que si on possède le mot complet. A cet égard, il va de soi que l’apprentissage de l’orthographe fait partie des « indispensables » tant son rôle social discriminant est encore prégnant : Il n’y a pas de bonne écriture sans une bonne orthographe qui reste un critère déterminant à l’embauche. Comme au XIXème siècle, époque où elle a été fixée, l’orthographe reste un outil de promotion sociale qu’on aurait tort d’ignorer. Et on n’impose pas une réforme de l’extérieur, surtout quand il s’agit du graphisme. Toutes les tentatives de simplification ont échoué jusqu’à maintenant et ce ne sont pas les ridicules injonctions de féministes en mal de reconnaissance qui vont la changer. Dans notre langue, elle est tellement porteuse de sens et de culture qu’il serait dramatique de se dispenser de son apprentissage approfondi.
Le niveau des connaissances en orthographe a baissé en même temps que son importance symbolique. Elle est même passée au second plan déjà à la fin de ma carrière, sur fond d’idéologie et de lâcher-prise. Ce recul qui, et ce n’est pas un hasard, est allé de pair avec celui des compétences en lecture. Rappelons-nous les programmes revus en 2002 par Jack Lang qui ont introduit « l’observation réfléchie de la langue » : la langue devenue objet de réflexion au lieu d’apprentissage… Et ce temps d’apprentissage d’année en année s’est réduit. Conséquence, on a fait moins de grammaire, moins d’orthographe, tout simplement, avec pour résultat une compétence moindre.
C’est dire si l’acte d’écrire est exigeant. Il est la synthèse de tous les autres apprentissages. Maîtriser l’écriture, c’est tenir son destin en main. « Mektoub », disent les arabes : « C’est écrit ! » Tellement vrai, en un sens.
L’ennui en classe.
L’ennui met en lumière un autre grave problème auquel l’école est confrontée : une pédagogie axée sur l’animation plus que sur la formation. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur l’ennui et d’abord se demander s’il est un mal en soi. Chacun sait bien, par exemple que les bons élèves s’ennuient souvent, ne serait-ce que parce qu’ils ont compris avant les autres. Quant à ceux qu’on dit « mauvais », leur ennui est celui de cerveaux vides ou pleins de fausses certitudes, comme celle « qu’ils n’y arriveront jamais ». La seule manière de combattre ce phénomène, c’est avec l’arme de la connaissance.
Car il n’y a rien de plus faux que de penser que ce seraient les œuvres des grands auteurs classiques et modernes qui le feraient naître. C’est là que le pédagogue remplace la didactique cartésienne de la progression d’un programme imaginé pour des élèves stéréotypés. « Etonne-moi ! », et déjà l’esprit fermé s’entrouvre. Mais comment intéresser des esprits gavés d’images et épuisés par les jeux à pulsion ? Le numérique a heureusement progressé, souvent grâce aux crédits débloqués par les Conseils départementaux, encore trop lentement, mais pour quoi faire ? Encore faut-il obtenir le silence d’élèves souvent incapables de se maîtriser et encore moins de se concentrer, ce qui est une difficulté supplémentaire.
Les élèves s’ennuient ? Eh bien, mettons-les au travail ! C’est ce que les bureaucrates qui forment les cohortes des docteurs en pédagogie ne comprendront peut-être jamais : les enfants et les adolescents aiment relever les défis, et les défis intellectuels en font partie. Moins on les prend pour des demeurés, mieux ils réagissent. Ce n’est pas avec les idées des pédagogistes qu’on tient les classes, ni qu’on les fait progresser, en les assommant avec des analyses « actantielles » de textes débiles, c’est avec du savoir et parfois même, du savoir de haut niveau ! Il faut accepter l’idée que tous les élèves ne sont pas faits pour apprendre la même chose en même temps. Et c’est acceptable si on cultive la faculté d’admiration à la place de cette attitude méprisante contre laquelle je devais déjà me battre : « Ah, lui, c’est un intello ! ». Mépris pour celui qui sait, facilité pour celui qui ne veut pas faire l’effort de mobiliser ses neurones.
La pédagogie c’est l’art de la répétition protéiforme. Il existe mille chemins vers le savoir, l’art de faire apprendre c’est de permettre à chacun de trouver le sien.
Il se dit que les enfants des personnels des « Gafa » (Google, Apple, Facebook) étudieraient dans des classes sevrées, complètement coupées du numérique, où l’on enseigne à l’ancienne avec le tableau noir, pour favoriser la concentration cognitive. Ce n’est pas illogique. L’attitude épistémologique qui consiste à refaire le parcours à partir du début a un côté rationnel : oui à l’utilisation de la calculette à condition de maîtriser parfaitement les quatre opérations, addition, soustraction, multiplication et division, et d’être capable de les exécuter mentalement. Je suis affligé de voir un(e) jeune prendre sa calculette pour me rendre 30 centimes de monnaie. Ce qui est certain c’est que, tant que l’école est ce qu’elle est, si j’enseignais encore, je procèderais comme certains professeurs, je demanderais aux élèves de déposer leur « smartphone » dans une boite ad hoc à casiers, à l’entrée en classe, en leur demandant de l’éteindre, évidemment. Préalable indispensable à un travail productif sous la direction du professeur !
D’autant plus indispensable que ces engins sont tellement polyvalents qu’ils peuvent mettre un professeur en danger par les multiples atteintes à son image qu’une utilisation malveillante pourrait produire. Et encore pour ne parler que de cet aspect. Il y a là une réflexion à mener pour encadrer son utilisation tant que l’enseignement se fera en groupe classe. Mais c’est déjà peut-être une vision dépassée du contexte formel dans lequel se déroule un cours aujourd’hui.
Le temps de travail.
On ne fera pas non plus l’économie d’une réflexion sur le temps de travail des enseignants, notamment ceux des collèges et des lycées. Les 18 heures de cours hebdomadaires (15 heures pour les agrégés), imposées par le statut depuis 70 ans, ne correspondent plus depuis longtemps aux évolutions imposées par notre époque. D’abord à ce temps de face-à-face s’ajoutent les nombreuses réunions de conseils divers et variés. Ces horaires qui consacrent le caractère individuel du service ne peuvent prendre en compte la nécessité d’un travail d’équipe. Ils devraient pouvoir être évolutifs pour partie au gré des établissements, certains nécessitant une part de concertation entre enseignants plus importante, qui pourrait être modulée par rapport aux heures dites de cours. D’autre part, les besoins aussi ont évolué.
La présence d’enseignants disponibles dans l’établissement pour faire du tutorat serait à bien des égards la bienvenue. C’est ainsi que pourrait aussi être prise en compte la mise en place d’études surveillées pour faire les devoirs. Comme tout fonctionnaire, les enseignants doivent 35 heures par semaine à l’institution. Il faudrait réfléchir à une nouvelle répartition de ce temps entre : les heures de cours, le travail qu’elles nécessitent en préparations et corrections, et les heures de mise à disposition de l’établissement pour des tâches pédagogiques d’encadrement. D’autant plus que le nombre d’élèves par classe a diminué depuis trente ans et que le rythme des travaux effectués par eux est complètement différent.
Il faudrait instaurer beaucoup plus de souplesse dans le cadre rigide d’un temps de travail inventé à une autre époque. J’en parle un peu en connaissance de cause. Certaines années, il arrivait que j’aie, comme on dit, un emploi du temps à « trous » : une heure non occupée entre deux cours par ci, par là. Souvent j’allais au CDI (centre de documentation et d’information) pour préparer la documentation pour un cours ou un travail. Il n’était pas rare que j’y rencontre quelques élèves ayant une « permanence », eux aussi un trou, et qui faisaient leurs devoirs. C’était l’occasion d’un conseil ou d’une explication…
Le problème du remplacement des professeurs absents fait partie du même sujet. Malgré les efforts, les dispositifs créés pour y pallier ne donnent pas satisfaction : il y a toujours trop d’heures de cours perdues. Et pourtant, il n’y a jamais eu autant d’heures supplémentaires. Un rapport du Sénat constate qu’elles représentent une dépense annuelle supérieure à un milliard d’euros. Il constate que les enseignants effectuent en moyenne « deux heures supplémentaires année », ce qui veut dire 2h hebdomadaires de plus dans leur service sur l’ensemble d’une année scolaire… Comme ce procédé ne saurait constituer un mode normal de gestion, il pourrait être envisagé de fixer le niveau des obligations réglementaires de service à 20 heures par semaine pour les profs certifiés et à 17 heures pour les agrégés. Cela aurait le mérite d’aligner le temps d’enseignement sur celui des pays voisins comparables au nôtre. En contrepartie de cette nouvelle grille et de nouvelles obligations laissées à la discrétion des chefs d’établissement, une revalorisation des grilles indiciaires serait proposée.