L’Europe n’a jamais aussi bien portée son nom. Mais on
devrait dire le continent des « vieux ».
L’évolution démographique est un enjeu majeur de
transformation des sociétés européennes.
A première
vue, les différences entre la France et l’Allemagne sont frappantes à cet
égard. La population française croît, celle de l’Allemagne décline. Mais le
vieillissement de la société ne peut pas être enrayé, ni en Allemagne ni en France. Nous vivons tous plus longtemps et
en meilleure santé. C’est la plus grande réussite de la civilisation de l’histoire
contemporaine. Ce qui nous oblige à faire face aux répercussions sociales et
économiques de cette évolution démographique et trouver des solutions pour
l’atténuer à l’aide de mesures économiques. La réduction drastique de la dette
qui nécessite le démantèlement d’un Etat providence exorbitant fait partie des
nécessités et est inéluctable.
La tâche est
cependant rendue difficile parce que l’économie européenne est plus que jamais
divisée en deux mondes qui ne partagent ni les mêmes résultats ni les mêmes
perspectives, comme le montrent les derniers chiffres du chômage et l’indice de
confiance économique publiés au début de la semaine. Si le chômage a atteint un
record historique, à 11,8 % en novembre c’est à cause de l’explosion des
destructions d’emplois dans la partie sud de l’Union européenne : en Espagne,
qui subit, après la Grèce, la plus forte dégradation sur un an et où le taux de
chômage atteint 26,6 %, mais aussi au Portugal (16,3 %) et à Chypre (14 %). La
violente cure d’austérité à laquelle ces pays ont été soumis se paie aujourd’hui
très cher sur le plan social.
Néanmoins, il s’agit avant tout d’engager une
dynamique de croissance à l’échelle européenne.
D’ailleurs l’OCDE
indique sa préférence pour moins de coupes dans les dépenses publiques à court
terme et plus de réformes structurelles, visant à libéraliser l’économie et
notamment le marché du travail. Nous avons besoin de croissance pour que les
générations futures aient autant de marge de manœuvre que possible et pour atténuer
les luttes à venir quant à la répartition des richesses. La pénurie de
main-d’œuvre pourrait poser de grandes difficultés à cet égard : en Allemagne,
à cause du recul de la population active ; en France, à cause de l’exploitation
déficiente des réservoirs de main-d’œuvre existants. Les mots-clefs de cette
problématique sont « préretraite » et « intégration insuffisante des immigrants
dans la vie active ». L’espoir que les problèmes liés au marché de l’emploi
seront résolus grâce à une immigration supplémentaire ne peut que partiellement
apaiser la situation.
Grâce à un
système de garde d’enfants, les Françaises parviennent visiblement à mieux
concilier travail et vie familiale que les femmes vivant dans d’autres pays,
comme en Allemagne. Ainsi, la population française devrait dépasser celle de
l’Allemagne d’ici la moitié du siècle. Cependant, même si l’on considère que
les familles et les enfants jouent un rôle déterminant dans la société, même si
des aides financières supplémentaires sont débloquées et même si le nombre
d’infrastructures de prise en charge des enfants s’accroît, la croissance
démographique allemande peinera à augmenter de façon significative. Les
obstacles démographiques y sont trop importants, tout simplement parce que de
nombreuses mères, qui auraient pu mettre au monde de nombreux enfants, ne sont
pas nées.
Les plus
optimistes veulent voir dans le redressement progressif de l’économie
américaine et la légère reprise de l’activité chinoise une planche de salut
pour la zone euro. Le moral des chefs d’entreprise et des consommateurs
s’améliore d’ailleurs, tranchant avec les résultats du chômage. D’autres
prévisionnistes se montrent plus prudents en rappelant que les commandes
industrielles allemandes ont chuté en novembre à cause de la faiblesse de la
demande dans la zone euro. Les ventes au détail, en hausse de 0,1 % en
novembre, laissent les ventes en deçà de leur niveau de l’année dernière.
Le vieillissement des sociétés n’a rien de menaçant si
nous changeons de cap à temps.
De
nombreuses ressources pour la croissance et l’emploi sont encore inexploitées.
Nous devons seulement comprendre qu’une époque touche à sa fin.
L’Europe
peut assumer ce choc démographique.
Mais la France
et l’Allemagne doivent, pour des raisons différentes, aider davantage les individus
qui se retrouvent toujours jusqu’à maintenant plutôt en marge du marché du
travail : les femmes, les jeunes, les jeunes seniors et les immigrés.
Les femmes : en plus
de la question de la conciliation de la vie de famille et du travail, l’une des
premières priorités est la question d’une égalité accrue des chances. Aujourd’hui
encore, trop de femmes tournent le dos à leur carrière professionnelle en dépit
d’excellentes qualifications. Nous ne pouvons plus nous permettre ce gaspillage
de potentiel.
Les jeunes : Dans le chômage qui traverse l’Europe
et touche maintenant près de 26 millions de personnes (18,7 pour la zone euro),
la jeunesse est en première ligne, et particulièrement en France où plus de 500 000
jeunes sont sans emplois. La libéralisation du marché du travail est une clé
importante pour leur intégration, mais il faut aussi faire un gros effort de
rééquilibrage des formations vers celles qui valorisent l’apprentissage professionnel.
Autrement dit une révolution intellectuelle que les allemands n’ont pas à
faire, ayant opté pour cette solution il y a très longtemps. L’accord à minima
qui vient d’être signé entre les partenaires sociaux va dans le bon sens. Il n’est
pas suffisant.
Les jeunes seniors :
l’espérance de vie augmente, entraînant un accroissement rapide de la durée de
la troisième période de vie. Plus de personnes âgées perçoivent leur retraite
sur une période de temps plus longue. Dans le contexte de la crise persistante
sur les marchés financiers et de la difficile consolidation des budgets
nationaux, il est de plus en plus difficile de protéger financièrement les
générations plus âgées. La solution est évidente : les salariés plus âgés
doivent travailler plus longtemps. L’âge de la retraite à 67 ans devra encore
être probablement repoussé. Cela n’a rien de menaçant si l’on sait qu’il est
important d’avoir un esprit vif et un corps alerte pour vivre longtemps. La
France ne tirerait pas profit de son avantage démographique si un retour à la
retraite à 60 ans était décidé. Et l’Allemagne doit maintenir sa décision de
fixer l’âge de départ à la retraite à 67 ans.
Les immigrés : la part
de personnes issues de l’immigration dans nos sociétés est importante ; en
France, elle est même de 20 %. Les difficultés, pour l’évolution économique à
venir, seraient moindres si dans les deux pays les offres d’intégration étaient
plus courageuses et si le niveau de qualification des enfants issus de
l’immigration était sensiblement amélioré. Le potentiel pour la croissance est
immense à ce niveau également.
Les nouvelles frontières du projet européen : un
moyen de relever le défi du vieillissement.
Maintenant
que le péril de l’explosion est conjuré, avec les avancées d’intégration
significatives que sont le traité de stabilité et le fonds monétaire commun
(MES), l’Europe peut chercher à atteindre une nouvelle frontière, effort
indispensable pour surmonter la faiblesse du vieillissement de sa population :
Europe sociale, Europe des citoyens, Europe de la connaissance, Europe de la
défense et de la diplomatie, Europe de la recherche et de la technologie, …
sont encore embryonnaires et à concrétiser. Pour développer son économie et
influer sur les affaires du monde, il est évident qu’une souveraineté partagée,
comme nous avons su le faire pour la monnaie, est une souveraineté retrouvée.
Face au
monde globalisé d’où émergent les nouvelles puissances économiques et
politiques, nos souverainetés nationales isolées ne peuvent rien. C’est ainsi
que nos valeurs auront une chance de se maintenir et nos pays de retrouver la
prospérité.