L'interview intégrale
Nicolas Sarkozy, en exclusivité pour Le Figaro Magazine, dévoile le fruit de deux ans de réflexion. 35 heures, réduction de la dépense publique, âge de départ à la retraite, fonction publique, mariage pour tous... l'ancien président donne ses « idées pour la France ».
Ses détracteurs s'étaient empressés de critiquer l'absence de propositions depuis son retour en politique, il y a à peine trois semaines! Dans l'entretien exclusif qu'il a accordé au Figaro Magazine lundi dernier, Nicolas Sarkozy leur démontre que non seulement il revient avec des idées nouvelles, mais qu'il entend organiser le débat autour de celles-ci.
Le Figaro Magazine - Vous êtes candidat à la présidence de l'UMP et pourtant, depuis votre retour, vous faites des propositions qui dépassent de loin le cadre de votre parti. Ne seriez-vous pas en train de vous tromper de campagne?
Nicolas Sarkozy - Quelle curieuse idée du rôle des militants, de leur importance, et de la considération qu'on leur doit! Parce que ce sont des militants, il ne faudrait pas leur parler de la France? A ma connaissance, ce sont des citoyens engagés qui ont le droit d'être respectés et considérés. Des Français tellement passionnés par leur pays qu'ils adhèrent à une formation politique sans rien attendre en retour, mais qui veulent participer à l'élaboration d'un projet, à la construction d'une alternative. S'il y a des gens à qui l'on doit parler de la France, ce sont bien eux, et à travers eux à tous les Français. Il est temps que l'opposition reprenne l'initiative sur le terrain des idées.
Vous êtes considéré comme un homme de droite, vous avez été élu par la droite, mais vous expliquez maintenant vouloir dépasser le clivage droite-gauche. N'y a-t-il pas là aussi une contradiction?
Je ne partage pas cette conception d'une France divisée en cases et en camps! Je ne crois pas, je n'ai jamais cru, aux frontières infranchissables ni aux fossés idéologiques. Il m'est arrivé d'être élu, il m'est arrivé d'être battu, mais j'ai toujours cherché à parler à tous les Français, sans me soucier du discours convenu du parti auquel j'appartenais. Pour tout homme politique qui aspire à rassembler la France, cette capacité à surmonter les barrières idéologiques naturelles est indispensable. C'est toute la noblesse de la politique d'être capable de parler à ceux qui naturellement sont d'accord avec vous et, en même temps, à ceux qui ne sont prêts à faire qu'un bout de chemin avec vous. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas un tempérament de droite et un tempérament de gauche. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des différences culturelles, mais l'on ne construira que sur l'unité de la nation. Aujourd'hui, je reviens enrichi par l'expérience, mûri par mes échecs… et aussi quelques succès. Je reviens, avec mes idées, pour parler à la France dans son ensemble. Pour lui rendre un espoir. Pour dire aux Français que leur pays n'est pas condamné au déclin. Pour dire à ce pays plus divisé qu'il ne l'a jamais été qu'un avenir commun est possible. Alors, vous savez… la droite, le centre, la gauche, l'extrême droite, l'extrême gauche, tout cela me semble assez déconnecté des réalités du monde d'aujourd'hui.
«Je reviens pour parler à la France dans son ensemble». Envisagez-vous de poursuivre l'ouverture telle que vous l'avez pratiquée en 2007?
Si vous parlez d'aller chercher telle ou telle personne qui repartira aussi vite qu'elle est venue, la réponse est non. En revanche, connaissez-vous beaucoup d'hommes politiques qui font campagne sur la fermeture? Pour ma part, j'en connais assez peu! C'est la règle de la vie que de vouloir élargir son horizon. Je souhaite évidemment que la nouvelle formation dont je proposerai la constitution soit la plus large et la plus ouverte possible. Au sectarisme de ceux qui nous gouvernent, nous devons répondre par le plus large esprit de rassemblement.
Nous parlions d'ouverture politique…
J'avais compris. Est-ce que je referais l'expérience avec les mêmes? Ce n'est pas sûr. Non pas parce qu'ils venaient de la gauche mais parce que nombre d'entre eux se sont révélés des personnalités aux convictions bien fluctuantes.
Vous proposez des référendums pour redonner la parole au peuple. Considérez-vous que le modèle de démocratie représentative soit épuisé?
Le référendum, c'est le meilleur moyen pour répondre à la méfiance abyssale que nos concitoyens entretiennent à l'égard de la parole publique. Les Français sont tentés de ne plus croire en rien ni en personne. La question aujourd'hui n'est donc pas tant de promettre mais de tenir. Avec les référendums, les Français auront la garantie que les engagements pris seront scrupuleusement tenus, puisque ce sont eux-mêmes qui décideront et qui auront le dernier mot.
C'est une découverte récente. Vous n'avez pas abusé des référendums ; notamment quand il s'est agi de ratifier le traité de Lisbonne…
D'abord, j'ai organisé trois consultations durant ma présidence: sur les collectivités uniques en Guyane, en Guadeloupe et Martinique. Je sais bien que c'est loin de la métropole, mais c'est la France! Ensuite, chacun comprend que tous les sujets ne se prêtent pas à référendum. Il faut que la question soit simple, que les citoyens puissent y répondre par oui ou par non. La Constitution européenne et ses 448 articles ne se prêtaient nullement à une réponse binaire.
On va vous accuser de dérive plébiscitaire…
Oui, et sans doute aussi de «populisme», je sais, c'est tellement prévisible! Mais réfléchissons, il y a moins de risque de populisme quand le peuple peut s'exprimer dans les urnes. A l'inverse, le risque populiste est beaucoup plus fort si le peuple a le sentiment qu'on lui refuse la parole. C'est le non-usage du référendum qui lui donne une dimension plébiscitaire. Il faut «banaliser» la procédure référendaire - même s'il ne s'agit pas d'organiser une consultation chaque mois - pour la rendre à sa vocation première: permettre au peuple de France de trancher des questions importantes qui concernent son destin. Par exemple, je pense qu'on aurait dû consulter les Français sur la suppression du service militaire. Et je propose de les consulter demain sur la fusion des conseils généraux et régionaux, ou sur la réduction du nombre des parlementaires.
Une réduction de quel ordre?
Il faut en discuter même si une réduction d'un tiers me semblerait raisonnable! Il faut moins de parlementaires, avec plus de moyens. Je sais bien que l'idée de l'interdiction de tout cumul est populaire mais a-t-on pris le temps d'expliquer aux Français que si on interdit le cumul entre maires et députés, la conséquence immédiate sera de doubler le nombre d'élus! Mais je ne veux pas fermer le débat aujourd'hui, sur ce point comme sur d'autres. Je suis revenu dans la vie politique depuis à peine dix jours et on s'étonne que je n'ai pas déjà présenté, sur tous les sujets, des propositions définitives! L'élaboration d'un projet adapté au siècle qui est le nôtre est une affaire longue et difficile. J'ai été président de la République, j'ai beaucoup appris de mes voyages à l'étranger. J'en ai tiré une certaine expérience. Je veux apporter des idées nouvelles, enrichir les débats. En attendant, il n'est pas question de vouloir trancher sur tout.
Ces référendums, quand devront-ils se tenir?
Si cette proposition devenait un élément du programme de ma formation politique, je souhaiterais que ces consultations soient organisées en même temps que le premier tour des élections législatives qui suivront l'élection présidentielle. Cela permettrait de montrer aux électeurs que la nouvelle majorité est absolument déterminée à mettre en œuvre son projet politique.
L'exaspération fiscale monte dans le pays. Pensez-vous que l'opposition puisse sérieusement s'engager à baisser les impôts?
Ce n'est plus de l'exaspération, c'est devenu une quasi-révolte! En accablant les Français de 30 milliards d'impôts supplémentaires en deux ans, la gauche au pouvoir est arrivé à ce beau résultat que nombre de Français se révoltent contre le principe même de l'impôt. C'est très grave, car le consentement à l'impôt est un élément central du pacte républicain. Vous me dites: faudra-t-il les diminuer? La réponse est oui. Non pas pour des raisons idéologiques mais parce que nous n'avons pas le choix. D'abord parce qu'il y a cette colère qui monte chez ceux qui ont le sentiment justifié qu'on leur a confisqué une trop grande part du fruit de leur travail. Ensuite parce que notre bassin de concurrence naturel, c'est l'Europe. Et de tous les pays européens nous sommes celui qui a les impôts les plus lourds. Donc, ne serait-ce que pour rester au niveau de la compétition avec nos partenaires et voisins, il faut baisser les impôts.
«L'ISF crée un déséquilibre qui nuit à la croissance». Faut-il supprimer l'ISF?
Poser la question ainsi, de manière théorique, c'est la meilleure façon de bloquer le débat. L'ISF est incontestablement un problème. Alors comment faire? Je propose de désidéologiser le débat fiscal français et de réfléchir à l'avenir de notre fiscalité par comparaison avec ce que font nos voisins. A partir du moment où l'on croit à l'Europe, et je crois à l'Europe, on doit en tirer les conséquences: la fiscalité du patrimoine - ISF, plus-value, succession - doit être analysée en fonction de ce qui se passe ailleurs pour éviter la délocalisation des personnes et des capitaux, et faire que la France redevienne accueillante pour les inventeurs, les entrepreneurs, tous ceux qui investissent. La France est l'un des très rares pays européens à avoir un impôt sur la fortune. Cela crée-t-il chez nous les conditions d'un déséquilibre qui nuit à la croissance et à l'emploi? Tout observateur de bon sens ne peut répondre que par l'affirmative. Donc, il est urgent de réfléchir à la perspective d'une zone économique à fiscalité harmonisée au moins entre nos voisins Allemands et nous, afin qu'à l'avenir nous ne soyons pas systématiquement en situation de déséquilibre de concurrence.
Faut-il faire sauter le verrou des 35 heures comme le préconise François Fillon? Nombre de vos électeurs regrettent que vous ne l'ayez pas fait…
C'est faux! Car avec les heures supplémentaires déchargées et défiscalisées, les 35 heures n'étaient plus un obstacle pour «travailler plus». Elles ont profité aux entreprises par la souplesse qu'elles ont apportée et à 9 millions de salariés qui ont vu leur pouvoir d'achat augmenter. La première priorité sera de les rétablir immédiatement ensuite il est incontestable qu'il y a un grave problème quant à la durée du travail dans notre pays. Il faudra travailler davantage et cela ne concerne pas que les 35 heures. Je pense au travail le dimanche qu'il faudra autoriser sous réserve que les salariés soient volontaires et davantage rémunérés. Je pense à la multiplication des RTT, qui a gravement désorganisé les entreprises et les services publics, qu'il faudra diminuer. Quant aux 35 heures elles-mêmes, nous avons eu un gouvernement socialiste qui a décidé un beau jour qu'on allait travailler 35 heures: position idéologique, brutale, inadaptée à la situation. Grave erreur. Mais faut-il qu'à l'idéologie des uns réponde l'idéologie des autres? Il y a toute une série d'entreprises, notamment les grandes, qui ne veulent pas que l'on touche aux 35 heures. Essayons donc d'être pragmatique et efficace, je propose que les entreprises qui voudraient sortir des 35 heures par une négociation interne à l'entreprise puissent le faire, que liberté leur soit rendue de pouvoir travailler davantage. Et que celles, notamment les grandes, qui voudraient les garder puissent le faire. Je crois à la liberté, à la souplesse, à l'adaptabilité. Par ailleurs, il faudra conduire une politique ambitieuse de réduction des charges pesant sur le travail.
«Un contrat de cinq ans dans la fonction publique». Et dans la fonction publique?
C'est sans doute là, dans la fonction publique territoriale, hospitalière et nationale, que le problème est le plus aigu. Les 35 heures ont durablement plongé l'hôpital dans un imbroglio dont personne ne sait comment sortir. Il faudra, à l'hôpital comme dans d'autres administrations, augmenter le nombre d'heures travaillées. Mais il faudra payer davantage les agents qui travailleront plus: moins de fonctionnaires, travaillant davantage et mieux rémunérés. Voici notre politique pour la fonction publique.
Moins de fonctionnaires, dites-vous. De quel ordre doit être la diminution des effectifs?
Il faut revenir au non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partants à la retraite. Aller plus loin serait prendre le risque de stériliser la pyramide des âges. Avec ce système nous avons supprimé 150 000 postes de fonctionnaires d'Etat en cinq ans ; personne n'avait jamais fait cela, mais il est vrai que, dans le même temps, les collectivités territoriales en ont créé autant! Il faut à l'avenir que cette mesure d'économie s'applique obligatoirement aux collectivités territoriales, et pour partie à l'hôpital. Sans doute, faudra-t-il modifier la Constitution, pour y parvenir. Je crois, en outre, utile la création d'un nouveau contrat de cinq ans dans la fonction publique parce que la France ne peut plus recruter systématiquement sous le statut des fonctionnaires à vie. Ce nouveau contrat ne s'appliquerait pas à tous les postes: les policiers ou les enseignants, par exemple, ne seraient pas concernés. Mais il existe de nombreux métiers dans les trois fonctions publiques qui pourraient utilement relever de ce nouveau régime. J'ajoute qu'il faudra rétablir le jour de carence dans la fonction publique afin de lutter contre l'absentéisme dans nos administrations. De toutes les mesures prises par ce gouvernement, ce fut l'une des plus démagogiques.
Tous les gouvernements se sont engagés à faire des économies, et à l'arrivée celles-ci sont rarement au rendez-vous. Résultat: la dépense publique représente 57 % de la richesse nationale…
Vous avez raison, le cœur du mal français est là. La dépense crée le déficit, qui crée la dette. Si on bloque la dépense, on bloque tout le reste. C'est pour cela que je souhaite que nous nous dotions d'un garde-fou pour nous obliger collectivement à tenir nos dépenses. Je propose que d'ici à cinq ans, il ne soit plus possible de consacrer plus de 50 % du PIB à la dépense publique. Tout gouvernement qui atteindrait ce seuil se heurterait à l'interdiction d'augmenter la dette ou les impôts. il n'aurait plus qu'une solution: faire des économies!
Ce serait une règle constitutionnelle?
Oui. Et qui peut parfaitement faire l'objet d'un référendum. La France serait ainsi à l'abri des dérives de la gauche comme de la droite. Avec le recul, je me dis que j'aurais été mieux inspiré de créer ce bouclier de la dépense publique plutôt qu'un bouclier fiscal…
Vous avez aussi exprimé des regrets à propos du RSA…
Ce fut malheureusement un échec. J'avais voulu réformer le RMI pour en faire un véritable outil d'insertion. Mais Martin Hirsch a voulu en faire un instrument de lutte contre la pauvreté. L'objectif était louable mais du coup, nous sommes passés à côté de l'insertion. Or, dans mon esprit, ce devait être la priorité. Deux raisons me conduisent aujourd'hui à vouloir réformer le RSA. D'une part, je suis persuadé qu'une activité est plus utile que les seules allocations pour sortir les gens de l'exclusion. Ensuite, je vois bien que les Français qui travaillent et paient tant de charges ne comprennent pas pourquoi d'autres arrivent à vivre, parfois mieux qu'eux, uniquement grâce à l'assistanat.
Cette obligation d'activité pour un titulaire du RSA était une proposition de Laurent Wauquiez que vous n'aviez pas retenu dans la campagne de 2012. Pourquoi la reprendre aujourd'hui?
Laurent Wauquiez avait la bonne intuition et j'essaie simplement de tenir compte de ce qui n'a pas marché! Quand je propose la même chose qu'avant on me reproche de ne pas avoir changé, et si je propose des choses nouvelles on me reproche d'aller trop vite! Les commentateurs essaient de savoir si mon retour c'est 2007 ou 2012! Si c'est à droite toute ou la barre au centre. Je ne me reconnais dans aucun de ces simplismes. J'essaie de parler à tous les Français du monde d'aujourd'hui pour préparer la France de demain.
«Toute allocation doit avoir comme contrepartie une activité». Cette question pourrait être tranchée par un référendum?
Bien sûr. La question pourrait être posée ainsi: est-ce que toute allocation, doit avoir comme contrepartie une activité? Pour moi la réponse est oui.
Faudra-t-il repousser l'âge de départ à la retraite?
Oui, c'est une évidence. Mais, je crois à la réforme progressive. Quand nous avons fait la réforme du régime général des retraites, j'ai arbitré pour un départ à 62 ans en 2018, plutôt que 63 ans en 2022 car cela rapportait davantage à la Sécurité sociale. Notre réforme rapportera en 2018 vingt-deux milliards d'euros par an. Ce n'est pas ce qu'on appelle une réformette! Si l'espérance de vie continue à augmenter, il faudra sans doute aller plus loin et passer à 63 ans rapidement.
François Fillon propose d'aller jusqu'à 65 ans!
Il y a des arguments en faveur d'une telle mesure mais cela signifierait d'avoir 70 ans pour un départ à taux plein! Attention à ne pas crisper le pays, à le pousser dans ses retranchements. Ma fierté, pendant mon quinquennat, c'est d'avoir pu réformer sans violence et sans jamais reculer.
Faut-il réformer le code du travail?
Evidemment! Il compte quelque 12 000 articles. Plus personne n'y comprend rien. Pourquoi ne pas imaginer que dans les six mois de la prochaine législature, le Parlement définisse un nouveau code du travail concentré sur les seuls droits fondamentaux des salariés: droit syndical, protection contre le licenciement, droit à la santé… Tout le reste serait renvoyé à la négociation.
Comment procéderez-vous? Par ordonnances? «J'aurais dû avoir l'idée d'un Schengen II plus tôt»
Les ordonnances, à mon sens, c'est la pire des formules. Car, de toute façon, vous devez revenir devant le Parlement. Pourquoi faire voter en décembre ce qu'on peut faire voter en juillet, qui plus est, quand on est au début d'un quinquennat?
Vous voulez revenir sur le traité de Schengen. Mais cela ne dépend pas de nous! Concrètement que peut-on faire?
J'ai une certitude: c'est que l'on ne peut plus continuer comme cela! Le problème de l'immigration est un problème central, extraordinairement difficile. Nous sommes à 12 kilomètres de l'Afrique par le détroit de Gibraltar. L'Afrique compte un milliard d'habitants et dans trente ans elle en aura deux milliards. La France ne peut pas lutter seule contre ces flux. Il faut une démarche commune avec nos partenaires européens. Le principal défaut du traité de Schengen, c'est de supprimer les frontières entre les pays membres sans exiger au préalable une harmonisation des prestations sociales accordées aux immigrés. Du coup, les étrangers viennent en France parce que les prestations sociales y sont plus élevées. J'aurais dû avoir l'idée d'un Schengen II plus tôt. Nous devons dire à nos partenaires que nous n'appliquerons plus les dispositions du traité tant qu'un nouveau traité n'aura pas été négocié. Avant d'y adhérer, nous devrons exiger que chaque pays membre se dote au préalable des mêmes critères de politiques d'immigration. Cela veut dire les mêmes délais de rétention administrative, les mêmes montants de prestations minimum, la même liste des pays sûrs… Il faudra trouver un point moyen. Sinon, nous quitterons Schengen. C'est ce que le général de Gaulle avait appelé la politique de la chaise vide. Mais je suis sûr que nous n'aurons pas besoin d'en arriver là. Nos partenaires seront d'autant plus faciles à convaincre qu'ils sont tous soumis aux mêmes immenses difficultés que nous. Je suis convaincu qu'une majorité de Français partagent ce point de vue bien au-delà de la seule droite.
Sur le mariage pour tous, on a l'impression que vous êtes embarrassé…
Je n'utiliserais pas ce mot-là. Pourtant, je vais être sincère avec vous: c'est un sujet beaucoup plus complexe qu'on ne le dit et sur lequel notre électorat est très partagé. Pour moi, la famille n'est pas un choix, c'est une nécessité vitale. Nombre de familles se sont senties humiliées par l'attitude du pouvoir. Du coup, elles se sont radicalisées. Nous devons défendre la famille et les familles. Mais qu'on n'attende pas de moi que je fasse avec les familles ce que M. Hollande a voulu faire avec le mariage homosexuel. Il a voulu l'instrumentaliser à des fins politiciennes. Je ne le ferai pas. Mon devoir sera de rassembler les Français sur une position conforme à nos valeurs, sans rouvrir les plaies. Pour le moins, je considère qu'il faudra inscrire dans la Constitution des verrous juridiques pour réserver la PMA (procréation médicale assistée) aux couples hétérosexuels infertiles et interdire complètement la GPA (gestation pour autrui). C'est le seul moyen d'enrayer la jurisprudence dont la Cour de cassation, ainsi que c'était prévisible, pose les premiers jalons. Jamais je n'accepterai la marchandisation de l'enfant.
Vous ne reviendrez donc pas sur la loi?
Les positions dans ma propre famille sont partagées sur ce sujet. Ne nous bloquons pas sur des postures. J'ajoute qu'en attendant nous avons fort à faire pour défendre les familles contre les attaques multiples de ce gouvernement.
Dans votre discours à Lambersart, vous avez fait l'éloge des «différences». Est-ce que cela ne pose pas la question du collège unique?
C'est vrai. Je suis très réservé sur l'expression «collège unique». L'enfant dans son unicité n'existe pas. Les enfants doivent avoir les mêmes chances mais ils sont différents. Ils n'ont pas les mêmes besoins, les mêmes aspirations ni les mêmes capacités. C'est pourquoi il est absurde de prétendre les enfermer dans un moule unique qui, sous prétexte d'égalité, produit surtout de l'échec. A l'école, il faut introduire de la souplesse et du pragmatisme. La question de la formation et de la rémunération des enseignants est centrale. Parce que toute réforme, fût-elle excellente, ne marchera pas si les enseignants ne sont pas bien rémunérés ni bien formés. Il faut augmenter le nombre d'heures de présence des enseignants dans les établissements, afin qu'ils soient davantage disponibles pour les enfants qui en ont besoin. Il faut aussi augmenter leur rémunération et en parallèle diminuer leur nombre. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'y avait pas besoin des 60 000 enseignants supplémentaires décidés par la gauche depuis 2012.
Vous êtes aujourd'hui favorable au gaz de schiste et pourtant, en 2011, vous aviez interdit la fracturation hydraulique. Que s'est-il passé?
Sur ce sujet comme sur les autres, j'essaie de réfléchir. Notre pays est ravagé par le chômage et l'absence de croissance. On sait qu'il n'y a pas d'économie sans énergie, et pas de croissance sans énergie. Or nous avons dans notre sous-sol une énergie pas chère, qui a rendu indépendants les Etats-Unis d'Amérique. Je ne propose pas d'installer des derricks partout, mais de profiter d'une énergie disponible chez nous qui n'avons ni pétrole ni gaz. Je crois au progrès. Pour autant, je ne veux pas de la dévastation écologique et paysagère. Personne ne veut cela. Mais je trouve absurde de refuser à jamais le principe même de l'exploitation: nous importons du gaz, il serait bien meilleur pour l'économie et l'emploi de pouvoir en produire nous-mêmes, si nous pouvons le faire proprement! Je souhaite que nous nous donnions deux objectifs à court terme: évaluer notre potentiel en matière de gaz de schiste, et rechercher et mettre au point des technologies propres d'exploitations. C'est du reste l'esprit de la loi votée en 2011, et qui n'est pas appliquée dans cette dernière dimension.
Faut-il remplacer dans la Constitution le principe de précaution par le principe de responsabilité?
Je crois à la croissance propre, à la protection de l'environnement, à la qualité de la vie. Mais j'ai voulu que nous réfléchissions. Avec le principe de précaution, le risque est de s'abstenir d'agir. Alors qu'il ne devrait être compris que comme une incitation à la recherche et à l'innovation. Si cela ne devait pas être le cas, je préfère le principe de responsabilité où vous agissez et vous en assumez les conséquences. Le monde, les autres, nos concurrents vont si vite. Peut-on être frileux? Je ne le crois pas.
Pourquoi refusez-vous de débattre face à Bruno Le Maire et Hervé Mariton candidats comme vous à la présidence de l'UMP?
Je ne refuse pas de débattre! Toute ma vie je n'ai connu que le débat et la concurrence. Mais je vous rappelle que c'est une élection interne qui concerne 260 000 militants à jour de cotisation. Je ne vois pas pourquoi nous irions à la télévision débattre avec deux amis devant des téléspectateurs dont 99,9 % n'auront pas le droit de vote. Il va de soi en revanche que, dans le cadre des primaires, il y aura des débats télévisés parce que des millions de Français pourront aller voter.
Ce seront bien des primaires ouvertes?
La logique des primaires veut évidemment qu'elles soient ouvertes. Sinon ce ne sont pas des primaires mais une élection interne.
Seront-elles inscrites dans les statuts du nouveau parti?
Bien sûr. Je proposerai même qu'on reprenne les règles qui sont déjà dans les statuts de l'UMP. Comme cela, il n'y aura pas de polémique.
Comment s'appellera le nouveau parti, si vous l'emportez?
Je ferai, bientôt, un discours qui précisera la matrice, les racines, les ambitions de cette nouvelle formation.
Vous voulez l'ouvrir au centre mais François Bayrou ou Hervé Morin, par exemple, ont déjà refusé de venir dans votre futur rassemblement!
Il n'est pas question d'une négociation d'état-major. Ce rassemblement sera ouvert le plus largement possible à tous ceux qui voudront le rejoindre. Qui peut contester qu'il y aura besoin le moment venu, face au risque du déclin français, du rassemblement de tous? C'est quand même curieux d'attendre que le FN soit au niveau où il est aujourd'hui pour se diviser en autant de petites chapelles! Qui peut encore bien s'intéresser aux rivalités dérisoires entre tel ou tel. La seule question est celle de se mettre en situation de préparer une alternative crédible entre l'humiliation d'aujourd'hui et l'isolement auquel conduirait le Front national.
Les affaires font-elles peser un risque sur vous?
Vous voulez parler de l'affaire Bettencourt qui est sortie, comme par hasard, en pleine réforme des retraites, puis pendant la campagne présidentielle? Après 22 heures d'interrogatoire, 4 perquisitions, 2 ans et demi d'investigations pendant lesquels mon intimité a été violée et mon honneur bafouée, je vous rappelle que j'ai obtenu un non-lieu! Tout ça pour ça!
Reste l'affaire Bygmalion, qui est peut-être la plus inquiétante…
Pour moi, c'est donc toujours l'affaire suivante qui devrait être la plus inquiétante! Quand je suis sorti de l'affaire Bettencourt, on a ressorti l'affaire Karachi. Quand, dans cette dernière, on finit par comprendre qu'à l'évidence, je n'y étais pour rien, on passe à l'affaire Kadhafi, qui me vaut d'être écouté depuis des mois sur la base d'un document qui est un faux grossier… Et maintenant c'est l'affaire Bygmalion, une société dont j'ai appris le nom plusieurs semaines après ma campagne présidentielle!
15 millions d'euros sont tout de même sortis indûment des caisses de l'UMP?
Je vous rappelle que j'ai quitté la direction de l'UMP en 2007. Je précise que ma campagne a coûté 22 millions d'euros. Le Conseil constitutionnel et la commission des comptes de campagne ont épluché tous mes comptes et estimé que nous avions dépensé 450 000 euros de plus. Ça veut dire qu'ils seraient passés à côté de 15 millions de dépenses sur 22 millions de budget? Qui peut croire une fable pareille!
Pensez-vous qu'il y a une volonté politique de vous nuire?
Y a-t-il une personne qui pense que ce n'est pas le cas? Après tous ses interrogatoires, perquisitions, écoutes, enquêtes, qu'on n'ait rien trouvé sur moi devrait vous rassurer sur ma probité!
Si François Hollande dissout l'Assemblée, que ferez-vous?
Cette décision appartient au président de la République. S'il le fait, il prendra un risque majeur. Les Français peuvent se retourner contre lui en disant: «Ce ne sont pas les députés que nous voulons faire partir, c'est vous.» Donc à sa place, je m'abstiendrais de le faire…
Mais il peut y être contraint s'il n'a plus la majorité à l'Assemblée…
S'il y a bien quelque chose dont la France n'a pas besoin en ce moment c'est d'une cohabitation, qui veut dire compromis. Or la situation est trop grave pour se permettre le luxe du compromis.
«La France n'a pas besoin d'une cohabitation». Donc, vous refuserez la cohabitation?
La réponse à cette question dépend de trop de paramètres, et notamment du climat qui régnera dans le pays pour que je réponde aujourd'hui par oui ou non.
Pensez-vous que Marine Le Pen sera au second tour de la prochaine présidentielle?
Le simple fait que vous posiez la question est préoccupant, il faudra donc convaincre les électeurs qui sont abusés par Marine Le Pen. Elle a fait la courte échelle à M. Hollande. Il faut qu'elle l'assume. Elle devra faire face à ses responsabilités. Ça ne lui plaît pas quand je dis cela, mais je continuerai à le dire parce que c'est la vérité. Donc, elle n'a aucune leçon à donner. Elle s'est rendue complice du désastre actuel par calcul politicien.
Serez-vous candidat à la primaire en vue de l'élection présidentielle?
Si je vous répondais, cela voudrait dire que je place ma situation personnelle au-dessus de notre destin collectif. Je suis candidat pour redresser ma famille politique et préparer une alternative. Si je réussis, je serai conduit à prendre des décisions. Si je ne réussis pas, je prendrai d'autres décisions. Mais tout cela est prématuré. Il y a déjà assez de candidats, de grande qualité, pour ne pas me rajouter à la liste. Je voudrais simplement le dire à tous: quelle est votre chance de succès personnel s'il y a faillite collective? Ne vaudrait-il pas mieux au préalable réfléchir à notre réussite commune? Il n'y a pas d'élection présidentielle en 2014, ni en 2015, ni en 2016. Donc, nous avons le temps.
A suivre, Alain JUPPE à "des paroles et des actes" : "CARTON PLEIN" !