LE BITCOIN : NOUVELLE FOLIE !
30 novembre 2017
Savez-vous ce qu’est le « Bitcoin » ?
C’est une monnaie virtuelle ce qui veut dire qu’elle n’existe pas comme monnaie « sonnante et trébuchante ». Souscrite et échangée sur un réseau crypté, on peut l’acheter maintenant dans des boutiques et on peut s’en servir pour faire des achats sur quelques plates-formes numériques. Elle n’est émise par aucune banque centrale et n’existe que par rapport à une communauté du web ce qui lui confère une valeur hautement volatile. C’est avant tout une monnaie spéculative : on achète du bitcoin dans l’espoir de faire une grosse plus-value et comme les transactions se font sur le « shadow marché », elles échappent à toute imposition. Le bitcoin vaut désormais plus de 10.000 dollars. Dix fois plus qu'au début de l'année ! Comment expliquer une telle progression ? Deux experts donnent leur avis.
Jean Tirole.
Dans une tribune au « Financial Times », l'économiste français, prix Nobel en 2014, s'inquiète de la montée en puissance de la cryptomonnaie, et a décidé de prendre la plume et d'exposer ses craintes sur un phénomène qu'il qualifie de « pure bulle » financière. Il s'inquiète de la frénésie qui s'est emparée des particuliers et des acteurs financiers et pose une série de questions sur la soutenabilité et l'intérêt économique du bitcoin et des cryptomonnaies. Pour le chercheur, qui rappelle que le bitcoin a vu sa valeur être multipliée par 30.000 depuis 2011, la monnaie virtuelle est une bulle financière. C'est un « actif sans valeur intrinsèque », rappelle-t-il, soulignant l'absence de réalité économique derrière le Bitcoin lancé en 2009. Et surtout, il prévient que rien ne protège les particuliers et les acteurs financiers d'un éventuel effondrement : « Son prix pourrait tomber à zéro si la confiance dans le système venait à disparaître. » Et si Jean Tirole reconnaît toutefois que « certaines bulles », comme celle de l'or notamment, n'ont jamais explosé, c'est pour rappeler qu'il n'en ferait pas le pari, avec ses « économies ». Pour lui, la démesure du phénomène se retrouve notamment dans l'explosion des levées de fonds en cryptomonnaies. Celles-ci ont dépassé les 3 milliards de dollars en 2017. « Annoncées comme un instrument de désintermédiation financière, les « ICO » négligent les fondamentaux de la finance : l'utilisation d'intermédiaires fiables et bien capitalisés pour suivre les projets ». Mais outre la question de la réalité financière du phénomène Bitcoin, l'économiste, s'interroge aussi sur le rôle « social », selon lui, « insaisissable » de la monnaie 2.0. Pour le Nobel 2014, la création de monnaie devrait bénéficier à « la communauté » à travers un gouvernement, qui dirige un budget. « La création monétaire fournit traditionnellement au gouvernement des ressources supplémentaires. » Au lieu de ce système, on assiste, selon le chercheur, à une privatisation de la monnaie. « Les bitcoins sont concentrés dans des mains privées ». Ce qui pose aussi la question des politiques publiques « pour quiconque voit la monnaie comme un complément nécessaire aux économies de marché ». Une monnaie pour jouer avec le feu en quelque sorte et qui n’alimente en rien l’économie réelle.
Jean-Marc Vittori.
Pour l’économiste et chroniqueur régulier des Echos la flambée de la cryptomonnaie peut s'expliquer par la découverte d'un gisement de richesses incroyablement prometteur, ou par la formation d'une bulle. D’après lui, le premier motif est a priori exclu. Le Bitcoin, cette monnaie électronique décentralisée qui circule sur les réseaux informatiques, existe depuis près d'une décennie. Aucune percée majeure cette année ne saurait justifier une telle poussée des cours : le bitcoin est une formidable bulle, qui va éclater un jour ou l'autre comme toutes les bulles. Jean-Marc Vittori avance cinq raisons pour expliquer cette flambée : La première est l'attrait de la nouveauté qui se développe après plusieurs années de diffusion, dans ce qui ressemble à une première maturité. La deuxième raison est l'appât du gain : sur des marchés financiers où les obligations ne rapportent pratiquement rien et où les actions semblent déjà chères, beaucoup d'investisseurs et d'épargnants ont logiquement envie de placer une petite partie de leur argent sur des placements qui les font rêver, même s’ils sont à haut risque. La troisième raison, qui est apparue cette année, est le succès des « ICO », ces levées de capitaux où des actions d'un nouveau genre, les « jetons numériques », sont vendues en cryptomonnaies comme le Bitcoin. D'où la quatrième raison : une demande très forte sur une offre à base étroite, de moins de 200 milliards de dollars - moins du quart de la valeur d'Apple, ou la masse monétaire d'un petit pays. Il existe aussi une cinquième raison qui est d'une autre nature et ne peut pas se mesurer : c'est le recours intensif au Bitcoin pour faire des opérations de fraude ou de blanchiment.
L’émergence d’un nouvel ordre monétaire ?
Les deux analystes financiers semblent se rejoindre pour constater l'émergence d'un nouvel ordre monétaire, radicalement différent de celui qui s'est instauré depuis des millénaires. La frappe de la monnaie a toujours été une marque de pouvoir. Ces trois derniers siècles, ce pouvoir a été centralisé par les Etats, qui l'ont délégué récemment aux banques centrales. Mais la société numérique qui s'amorce est organisée très différemment. Même si leur rôle est indispensable, les Etats auront du mal à y résister comme on le voit déjà avec la levée de l'impôt, auquel les géants du numérique échappent trop facilement. Des monnaies numériques, en concurrence, avec des usages très différenciés, constituent sans doute un horizon logique de ce nouveau monde. Les banques centrales pourront bien sûr émettre leurs propres monnaies électroniques, mais elles ont perdu de leur crédit ces dernières années, avec les politiques « non conventionnelles », en créant des immenses masses d'argent pour lutter contre les dégâts de la crise financière. La « blockchain », cette gigantesque base de données décentralisées où toutes les transactions sont enregistrées et accessibles au public, est une véritable révolution, nous prévient Marc Fiorentino : « Aujourd'hui, tous les acteurs sérieux de la finance travaillent sur le sujet. Les monnaies virtuelles en général se sont également inscrites dans le paysage financier. Et elles vont y rester. Elles ne vont plus disparaître. Elles ont leur utilité, certains pays comme le Japon les adoptent, toutes les banques centrales travaillent sur le sujet et on se demande si à terme chaque monnaie réelle n'aura pas sa e-monnaie, sa monnaie virtuelle. On ne peut plus aujourd'hui balayer ces sujets en disant que c'est une escroquerie et que tout va disparaître du jour au lendemain ». Mais aujourd'hui c'est le far-west le plus total. Par essence on est dans un marché sans aucune réglementation, sans aucun encadrement, d'une opacité totale et dont on sait pertinemment qu'une partie de l'utilisation est frauduleuse. Et nul ne sait quelles monnaies survivront demain, le Bitcoin, l'Ethereum ou des autres centaines de monnaies virtuelles existantes. Dès lors, on aura à court terme des accidents, des explosions de bulles. C'est normal, c'est la règle dans toute innovation.
Le succès du Bitcoin traduit peut-être une fuite en avant de la monnaie version XXIe siècle. Ainsi, la capitalisation totale du Bitcoin s'élève à environ 180 milliards de dollars. Une hausse qui ne semble pas prête de s'essouffler quand on lit certaines projections sur le cours de la cryptomonnaie. Un analyste prédit un Bitcoin entre 50 000 à 100 000 dollars dans les six à 18 mois, sans qu’on puisse en être certain. On comprend que les Français qui ont des liquidités se jettent dessus pour fuir leur enfer fiscal. Ce qui est certain c’est qu’il est impossible de se faire une opinion sur sa valeur tant le trading est ultra spéculatif. Au point que certaines plateformes (de trading) ont arrêté de proposer des produits dérivés sur le Bitcoin, un peu effrayées par les volumes et par la volatilité. Il vaut peut-être 50 ou 100 000 dollars… ou zéro !
Sauf que l’explosion de la bulle, comme celle des assignats en son temps, pourrait refroidir les ardeurs pour un bon moment. Les répercussions économiques ne sont guère à craindre étant donné la déconnection de la monnaie virtuelle avec le réel. Quelques spéculateurs ruinés, bah, ça leur fera les pieds !