LE CONTRE-COUP ECONOMIQUE
30 mars 2020
La crise sanitaire a mis la France quasiment à l’arrêt. Le fait qu’elle ne soit pas toute seule dans cette situation est une piètre consolation. En plus, nous devons être bien conscients que le confinement ne résout pas le problème et la propagation du virus menace de flamber à nouveau dès qu’on lèvera le couvercle. Même si on peut espérer un affaiblissement de la pandémie, l’urgence tient dans la solution qu’apportera la médecine qu’il s’agisse de médicament ou de vaccin. De l’évolution qui suivra dépend en effet l’importance du contre-coup sur notre économie, sur celle de nos partenaires et évidemment sur l’économie mondiale dont les deux plus gros PIB sont aujourd’hui en apesanteur : la Chine et les Etats-Unis. Tout dépendra donc de notre capacité collective à bloquer la pandémie.
Pour évaluer l’ampleur de la crise économique à laquelle nous somme d’ores et déjà confrontés, j’ai croisé le regard de quatre experts économiques et financiers : Nicolas Bouzou, Marc Fiorentino, Jean-Pierre Robin (Le Figaro), et Eric Le Boucher (Les Echos).
La crise est-elle de même nature que celle de 1929, comme l’affirme Bruno Lemaire ?
Le consensus est établi : tout le monde est d’accord pour affirmer que nous sommes en face d’une crise qui ne ressemble en rien à celle de 1929, pas plus qu’à celle de 2008. Pour JP. Robin comme pour Marc Fiorentino, il ne faut pas s’étonner de l’effondrement des marchés financiers. Une correction était attendue de toute façon après près de 10 ans de croissance continue des indices. Ce qui frappe précise Marc Fiorentino, c’est l’ampleur de la chute, près de 40% à Paris, passant de 6117 au plus haut à 3632 points au plus bas, et sa rapidité, qui fait que le krach ne ressemble à aucun autre. Mais, il n’y a pas d’explosion du système financier ni de crise de l’euro comme en 2008. Ce qui frappe aussi, c’est que c’est l’économie mondiale qui est pratiquement à l’arrêt.
De quels moyens dispose-t-on pour contrer les effets de la crise sanitaire ?
Il faut bien comprendre que nous ne sommes pas dans une crise de surproduction. C’est la crise du "Covid 19" qui a obligé à arrêter certaines activités et à réorganiser le travail, avec une partie importante de la main d’œuvre en chômage partiel ou total du fait du confinement. Celui-ci touche 10 à 20 millions de salariés, d’indépendants et de patrons de PME souligne JP Robin. Marc Fiorentino décline les secteurs touchés : le tourisme, l’événementiel, la restauration, le bâtiment, mais aussi les startups en phase de décollage encore fragiles financièrement. Pour éviter des conséquences dévastatrices et garder un maximum d’entreprises viables, on a assisté à une intervention rapide et massive des banques centrales. Car le choc est violent : l’Insee a mesuré que notre économie ne tourne plus qu’à 65% de son PIB (200 milliards/mois), soit un trou de 140 à 150 milliards d’euros si l’arrêt se prolonge sur deux mois. Tout le monde fait le même constat : 3 points de PIB par mois, c’est tenable sur une courte période. Pour Eric Le Boucher, même appréciation, les milliers de milliards qui se déversent sur les économies parient sur une parenthèse brève. Il s’agit de sauvegarder intact le tissu économique. Pour JP Robin, comme pour Marc Fiorentino, le choc paraît surmontable : la BCE a débloqué 750 milliards d’euros pour les 19 pays de la zone euro, ce qui représente 6% du PIB de la zone euro (12 500 milliards). Le patrimoine de la France en fait un pays dont la richesse immobilisée (tout compris) est de 15 482 milliards d’euros et les Français détiennent 350 milliards sur leurs comptes en banque non rémunérés… De fait, le déficit budgétaire et la dette passent au second plan, explique Marc Fiorentino. Eric Le Boucher met un bémol : il rappelle que les dettes publiques et privées étaient déjà excessives avant le déclenchement de la crise et représentaient 225% du PIB mondial. Donc tout grain de sable dans la machine risquerait de faire remonter les taux d’intérêts qui déclencheraient alors une catastrophe mondiale. Mais l’arrosage est conséquent : Berlin décaisse 500 milliards contre 60 en 2008, Paris 300 milliards contre 50. Bref, les banquiers mondiaux et les chefs d’Etats ont voulu anticiper la crise économique. Qui paiera ? personne ne sait. En fait ce sont les banques centrales qui vont détenir les dettes des Etats qui eux-mêmes les contrôlent. Ce n'est pas le sujet pour le moment.
Quels scénarios pour la suite ?
Pour Nicolas Bouzou, la baisse du PIB était inévitable. Marc Fiorentino aurait préféré que les bourses soient fermées pendant la période pour éviter des transactions hors sol. Tout est faussé pour les marchés, et il faut à tout prix éviter les mouvements irrationnels à la fois pour les entreprises et pour les épargnants. Autrement dit éviter que l’on perde beaucoup d’argent inutilement. Il se veut rassurant concernant les banques et les assurances : aucun risque d’effondrement de ce côté-là, selon lui. Le consensus se fait sur un rebond rapide et fort, probablement en septembre. Mais une reprise forcément progressive dès la fin de l’épisode épidémique, qui dépendra largement de l’environnement international. La reprise de la consommation sera rapide dans un premier temps, grâce à un effet euphorique et de rattrapage sur une demande interne inhibée par le confinement et le climat anxyogène. Le reste repartira plus lentement à cause d’une demande externe amoindrie pour de nombreuses raisons, fermeture des frontières, remise en route de la production qui ne se fait pas d’un claquement de doigts… Nicolas Bouzou dessine trois actions à mener par la France et l’Union européenne pour accompagner le rebond : les outils digitaux que nous avons utilisés et qui se révèlent indispensables pendant la crise doivent faire l’objet d’une reprise en main industrielle par l’Europe afin d’avoir elle-même ses géants du numérique ; le télétravail devra continuer et être encouragé comme une nouvelle forme d’organisation et de gestion du temps de travail ; enfin il ne faudra pas contrarier le climat d’euphorie accompagnant la reprise par des décisions politiques inadéquates par exemple de fiscalité ou des réformes anxyogènes … Marc Fiorentino imagine un redémarrage en U probable, avec remontée progressive de l'activité mais privilégie l’hypothèse d’une reprise en W pour tenir compte des décalages internationaux inévitables : redémarrage fort suivi d’une nouvelle rechute puis d’une nouvelle reprise, parce que de toute façon il faudra que ça reparte d’une manière ou d’une autre. Tout dépendra de la manière dont réagira l’économie US. Sans compter qu’à l’automne les Américains voteront pour élire le président.
En attendant …
L’arrêt de l’économie est une réalité. Des statistiques vont le mesurer avec leur cortège de chiffres sur le chômage, la croissance, etc … dont il ne faudra pas trop tenir compte parce qu’ils seront forcément provisoires. Il émerge une certitude : l’économie repartira. Malgré le déversement de milliards de liquidités, il n’y a pas trop à craindre non plus une hyperinflation. Nous subissons un tel choc déflationniste avec une économie mondiale à l’arrêt, auquel il faut ajouter la guerre du pétrole et les cours très bas des matières premières, que la masse des liquidités n’est pas susceptible de faire monter les prix. Par contre, tempère Eric Le Boucher, le climat international sera primordial, il espère une coordination internationale aussi forte que possible (G7, G20, UE, OCDE…) pour que les marchés ne paniquent pas. Pour lui, le plus grand danger viendrait des poussées nationalistes ou populistes qui empêcheraient une réponse mondiale organisée.
Vous l’avez compris, l’année 2020 ne sera pas une sinécure pour les gouvernants. Pour Macron, on peut dire que la fin de son quinquennat est chamboulée, avec une année 2020 qu’on peut déjà mettre entre parenthèses et une stabilisation du pays au mieux à l’horizon de la fin du premier semestre 2021… et à l’automne commenceront les « hostilités » de la campagne présidentielle de 2022 ! (si elles ne démarrent pas avant).