LE JEU TROUBLE D’ERDOGAN
08 mars 2020
Avec Recep Tayyip Erdogan, président de la Turquie, on n’est jamais déçu.
Il avait menacé de lâcher les réfugiés qu’il abrite sur son sol moyennant six milliards d’euros en deux ans, versés par l’Europe pour qu’il les garde. Et il a tenu parole. Il crée ainsi un chaos humanitaire de grande ampleur, utilisant comme diplomatie le chantage à l’abandon dans la nature des personnes dont il a officiellement la responsabilité. Obnubilé par la chasse aux Kurdes, il a engagé une offensive dans la région d’Idlib, causant de nombreuses pertes civiles et militaires et ses forces subissent des revers sous les bombes russo-syriennes. Etrange quand on sait que, bien qu’appartenant à l’OTAN, il est allé chercher ses armes en Russie. Le renversement des alliances d’un jour à l’autre a déclenché la confusion générale.
Une série de zig-zags.
Les réfugiés syriens et autres paient les frais de cette étrange diplomatie de la Turquie, ce pays qui n’est pas plus fiable aux yeux de Poutine et qui ne l’est pas plus à ceux des Européens ou des Américains. Comme Erdogan bout de passion de colère, de haine et d’aversion pour d’éventuels médiateurs, il n’écoute que lui-même, de sorte qu’il revient rarement à la raison. Son offensive au nord de la Syrie est un fiasco, mais il continue à y croire. Et furieux de ne pas avoir le soutien de l’Europe il entend le lui faire payer d’une manière ou d’une autre. Notamment en laissant passer tous les réfugiès en annonçant qu'il cessait de respecter l’accord de mars 2016 avec l'Union européenne prévoyant que les migrants restent en Turquie, en échange d'une aide financière européenne à Ankara. Des milliers de migrants ont donc tenté de passer la frontière entre la Turquie et la Grèce depuis le 29 février. Les autorités grecques ont annoncé que plus de 1.700 d'entre eux étaient arrivés sur les îles grecques, venant s'ajouter aux 38.000 déjà présents qui surpeuplent les camps de réfugiés dans des conditions de plus en plus précaires.
En Europe, c’est la politique du verrou.
Cette situation tendue a réveillé en Europe le souvenir de la crise migratoire de 2015. Elle a envoyé aussitôt un message dissuasif aux migrants : « N'allez pas à la frontière. La frontière n'est pas ouverte », a déclaré le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, alors que le ministère turc des Affaires étrangères réclamait que Bruxelles applique strictement l'accord de 2016 et dénonçait cyniquement le soutien exprimé à la Grèce par les 27 lors d'une réunion ministérielle à Zagreb. « Il est malheureux que l'UE agisse en contradiction avec ses propres principes en soutenant la Grèce qui viole la législation internationale sur les droits de l'Homme », affirmait le ministère en accusant l'UE de faire preuve d'hypocrisie et de politiser le dossier migratoire. Les marges de manœuvre au sein de l’Union, en ce domaine sont minces, de nombreux états étant sous la pression des partis ou groupes populistes hostiles à toute immigration. C’est donc la fermeté qui s’est manifestée, les Grecs s’autorisant même des actions de dissuasion sur les embarcations des migrants et les repoussant manu militari à la frontière terrestre. Pour tenter de sortir de l'impasse, M. Erdogan s’est entretenu au téléphone avec la chancelière allemande Angela Merkel, qui avait piloté les négociations ayant abouti à l'accord de 2016. La Grèce de son côté se défend « d'user d'une force excessive » contre les migrants. Athènes n'a fait « que réagir aux provocations qui ont eu lieu à la frontière», a affirmé son Premier ministre Kyriakos Mitsotakis sur CNN, qui avait aussi accusé Ankara d'aider les migrants à passer en Grèce par la voie terrestre et par la mer.
Les Européens ne sauraient s’exonérer de leurs responsabilités dans cette affaire.
Ils ont eu raison de trouver un arrangement avec Erdogan qui a entraîné la chute notable de l’immigration. Mais ils ont eu tort de lui faire confiance sur le long terme. Ils ne pouvaient ignorer que, tôt ou tard, celui-ci les trahirait. C’est en effet un spécialiste de la trahison, qui s’entoure de terroristes pour combattre les Kurdes qu’il accuse de terrorisme, qui a fait alliance avec la Russie en croyant qu’il avait ainsi obtenu une carte blanche l’autorisant à ravager un peu plus la Syrie et qui compte maintenant les morts turcs qui ont péri dans les bombardements syriens ou russes. Il croit pouvoir jouer le rôle d’une grande puissance qui peut mettre les Européens devant le fait accompli. Il n’a réussi qu’à souder toute l’Union face à ses délires. Le petit dictateur a dû réviser ses plans.
Le revirement.
Le président turc a donc changé de pied et a donné l'ordre à ses garde-côtes d'empêcher les migrants de traverser la mer Egée, confirmant une accalmie dans la crise migratoire entre la Turquie et l'Union européenne. « Sur ordre du président (...) aucune autorisation ne sera donnée aux migrants de traverser la mer Egée en raison des dangers que cela comporte » (sic), a indiqué le service des garde-côtes sur Twitter. Et à nouveau, Erdogan est à Moscou pour discuter avec Vladimir Poutine. Le président russe ne sait plus quoi faire de cet « allié » encombrant qui, incapable du moindre scrupule, bombarde indifféremment alliés et ennemis, quitte à défier la puissante Russie. Aussi, face au Kremlin, a-t-il dû jouer l’apaisement pour essayer d’obtenir une trêve sur le front syrien.
Jusqu’au prochain délire…
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