LA GAUCHE PRISE AU PIEGE DE SES CONTRADICTIONS
31 mars 2015
Manœuvres et procrastination.
Sévèrement battu pour la troisième fois de suite et pris en tenaille entre les exigences de réformes libérales de Bruxelles et les jérémiades d’une partie de sa majorité pour plus de « gauche », François Hollande va encore se livrer à son exercice favori : attendre. Attendre pour ne rien faire qui puisse déplaire aux uns et heurter les autres. Attendre que les indicateurs économiques qui frémissent, commencent à faire décroître le chômage, attendre que les conditions d’un rafistolage à gauche soient réunies, comme si son optimisme pouvait transformer la réalité. Les « éléments de langage » distillés par ses proches pour commenter le désastre des départementales sont clairs : la politique du président de la République porte ses premiers fruits, il faut être patient et ne surtout pas en changer. Donc ne pas bouger !
Une crise politique est inévitable.
La crise politique ne peut que prospérer sur les tensions internes du Parti Socialiste et la préparation du congrès. La preuve de cette crise est toute simple : si des élections présidentielles avaient lieu aujourd’hui, Hollande serait battu. Fidèle à lui-même et certain de sa bonne étoile, il est convaincu qu’une reprise tardive mais plus soutenue qu’on ne le croit, va le sauver. Le gouvernement peut croire que les premiers résultats de sa politique vont commencer à apparaître, pour autant qu’il puisse s’en attribuer le mérite, n’étant pour rien dans la baisse de l’euro, du prix de l’énergie et des taux d’intérêt, mais on ne peut jurer de rien. La gauche de la gauche partage avec l’exécutif la responsabilité de cette crise qu’elle n’a cessé d’alimenter avec ses vieilles lunes, créant entre le PS, le Front de gauche et les écologistes, mais aussi au sein même du Parti Socialiste, des divisions qui, aujourd’hui, se révèlent délétères. La pression exercée sur la gauche par une impopularité présidentielle croissante crée une tension que seuls des effets d’annonce pourraient apaiser, ce à quoi Manolito s’emploie, toutes affaires cessantes. Il n’est pas certain que ce soit celles qui sont attendues par les contestataires. Il laisse entendre une petite musique différente : s’il affirme que même s’il n’a pas encore donné de résultat, le cap est compris par les Français c’est pour en déduire que leur vote n’appelle pas de coup de barre à gauche d’autant plus que dimanche dernier celui-ci a renvoyé chez eux quelques figures frondeuses. Il faut donc accélérer les réformes, aller vers plus de libéralisation, repousser les sirènes redistributrices des Frondeurs et autres Verts. Changer de cap maintenant reviendrait à ruiner les faibles efforts qui ont été déployés. Ce en quoi il n’a pas tort.
La gauche toute entière est désavouée, voilà la réalité.
Qui réclament des changements en profondeur ? S’il s’agit des abstentionnistes, ils n’avaient qu’à se déplacer pour le dire en votant. Ce serait toutefois surinterpréter leur absence aux urnes. Le scrutin ne montre absolument pas que la politique préconisée par l’extrême gauche ou celle que réclame Martine Aubry, toujours en embuscade, ou celle qu’exigeraient les « frondeurs », recueille l’adhésion d’une majorité, loin de là. Jérôme Guedj, président du département de l’Essonne, le bastion de Manuel Valls, et frondeur patenté, est battu. En Saône-et-Loire, fief d’Arnaud Montebourg, la droite l’emporte. Dans le Nord qui passe à droite aussi, Martine Aubry n’est pas plus adoubée. Et la liste des défaites se poursuit avec la Seine-Maritime de Laurent Fabius, les Deux-Sèvres de Ségolène Royal, la Corrèze de François Hollande ou les Bouches-du-Rhône : basculements historiques. C’est la gauche tout entière qui en prend pour son grade. Aucun élément n’oblige notre matamore à« gauchir » sa politique ou à faire entrer dans son gouvernement des frondeurs ou des écolos. Ce en quoi, sa position diffère avec celle de son chef qui a besoin « d’unité » pour rêver d’un second mandat.
15 mois sous tension.
Entre les deux têtes de l’exécutif, ce ne sont encore que des nuances, à peine des dissonances. Mais leurs intérêts politiques ne sont plus tout à fait les mêmes. L’un monte au front devant les députés pendant que l’autre se rend à Berlin. François Hollande ne pense plus qu’à sa réélection en vue de laquelle il doit rassembler à gauche. Manuel Valls, doit prouver que son socialisme plus moderne et ouvert représente l’avenir, même s’il doit perdre en route une charrette d’archaïques. L’ampleur de la défaite pose la question de la légitimité de l’exécutif, question qui va encore s’aggraver avec la nouvelle dérouillée aux Régionales en décembre, et à la clé, peut-être, la prise de trois ou quatre régions par le Front National à la faveur de la proportionnelle. On a tout lieu de craindre que ceux qui s’opposent au pouvoir de l’intérieur voudront récupérer pour eux-mêmes la grogne populaire. Les quinze mois qui viennent promettent de belles pages : comme on sait, plus la situation s’aggrave, plus les trahisons se multiplient, plus les ambitions augmentent. Le grand classique de la Vème République dont l’intrigue va inévitablement se nouer nous sera joué avec le bon peuple en spectateur impuissant. De quoi nourrir le scepticisme de l’électeur qui s’est abstenu, la conviction de celui qui a voté en faveur du Front, la rancœur de celui qui ne croit plus à la gauche et qui est dans une colère noire, mauvaise conseillère comme on sait.
Et si l’opposition de la droite et du centre en profitait pour se faire aimer en apparaissant comme l’alternative crédible ?