Voilà un excellent discours prononcé au nom du
Groupe PPE par Alain LAMASSOURE, lors du
débat du Parlement européen avec François Hollande, à Strasbourg le 5 février
2013. Il permet de comprendre pourquoi le compromis adopté à Bruxelles et
auquel la France s’est soumis, n’est pas bon.
« En Europe, la France est un pays normal, mais ce n'est
pas un État ordinaire. Et dans cette période d'incertitude, l'Europe attend
deux choses d'elle.
I - D'abord, qu'elle soit exemplaire chez elle ! Qu'elle honore les
engagements qu'elle a pris. Qu'elle joue en harmonie
dans le concert européen. Elle en a accepté la partition commune et l'Europe
vous en est reconnaissante. Mais cette partition, votre gouvernement l'exécute
avec de curieuses dissonances. Et là l'Europe s'étonne.
Quand la durée de la vie s'allonge, la France
d'aujourd'hui rajeunit l'âge de la retraite, entre 62 et 60 ans. Quand la
fiscalité, partout, est mise au service de la course aux emplois, aux capitaux,
aux talents, la France donne l'impression d'imposer toutes les formes de
réussite, et même de punir ceux des salariés qui osent travailler plus de 35
heures par semaine. Ses partenaires taillent dans les dépenses administratives
à la hache : la France s'y attaque avec une lime à ongles. Son gouvernement
s'est engagé à ne pas réduire d'un seul, pour les 5 prochaines années, le
nombre de ses 5 millions de fonctionnaires.
Alors, dans la 2ème puissance économique de l'Union,
en ce moment même, la production s'arrête, les usines ferment, le chômage
augmente, les talents s'en vont. Et l'Europe s'inquiète.
II - On attend aussi de la France qu'elle
éclaire la voie de l'Europe, avec ses partenaires les plus engagés. Vous l'avez
fait au Mali, Monsieur Le Président, le Parlement européen l'a salué. Cela
suppose une condition : la France n'est
écoutée que lorsqu'elle propose une vision pour toute l'Europe, au-delà de ses
seuls intérêts nationaux immédiats. C'est ainsi que tous vos prédécesseurs
ont joué un rôle clef dans les grandes étapes de l'aventure européenne.
L'Europe a désormais ses institutions, ses
compétences, ses droits fondamentaux, sa monnaie, ses disciplines communes, son
gouvernement économique. Ce qu'il nous faut maintenant inventer ensemble, c'est
son modèle de solidarité.
Votre chance, c'est que c'est maintenant qu'il
nous faut décider du budget européen jusqu'à la fin de la décennie. Notre
malheur, c'est que, à ce jour, de l'aveu même du Président Van Rompuy, autour
de la table du Conseil, personne ne défend l'Europe. Chacun ne parle que de
lui.
On le voit bien sur les montants. La seule
question qui se pose est de savoir si, en 2020, le budget européen sera
redescendu au niveau où il était en 2007, avant la crise financière, ou à son
niveau de 2004, avant le grand élargissement à l'Est.
Vous avez convaincu le Parlement européen : il
vous reste à convaincre le Président de la République française.
Certes, le Royaume Uni a un droit de veto. Mais
la France aussi. Mme Thatcher l'avait aussi, et elle n'était guère fédéraliste.
Seulement voilà : François Mitterrand et Helmut Kohl aimaient l'Europe et ils
se sentaient responsables de l'Europe. Ils ont su accommoder la Dame de Fer,
tout en doublant les fonds régionaux.
Sur les priorités européennes, vous l'avez dit
nous en sommes d'accord, la valeur ajoutée d'un budget européen, c'est de nous
permettre d'atteindre la masse critique là où la mondialisation la rend
nécessaire : les grands investissements d'avenir, d'un côté, et l'influence de
l'Europe dans le monde - "peser sur le destin du monde" avez-vous dit
- de l'autre.
Alors, tremblez, concurrents d'Asie ou d'Amérique !
Tremblez terroristes de tous les continents ! La proposition qui est mise sur
la table affecterait à la recherche européenne 8/10 000è de PIB, et 7/10 000è à
son action extérieure. Et la France, en coulisses, s'emploie ardemment à
raboter encore ces chiffres pour améliorer son retour comptable.
Au moins, ce budget sera-t-il équitable ? Dans
votre discours d'investiture, à Paris, vous avez dit que la justice, l'équité,
serait le premier critère de toute votre action.
Voilà une occasion de mettre ce principe en
pratique. Car le système actuel de financement de l'Union est le plus injuste
qui soit : 5 des pays les plus riches paient relativement moins que les 10 pays
les plus pauvres qui sont tous des nouveaux membres. Le Parlement a proposé une
réforme d'ensemble, fondée sur de nouvelles ressources propres. Et la France en
retient le principe et elle se bat. Mais elle se bat surtout pour plafonner sa
propre contribution - donc, pour aggraver la charge des pays pauvres !
Du côté des dépenses, la potion magique qui est
concoctée secrètement par les alchimistes du Conseil européen aboutirait à
réduire, je dis bien à réduire, pour les sept années qui viennent, les fonds de
cohésion alloués, par exemple, à des pays comme la Grèce, le Portugal,
l'Espagne, la Hongrie. Jamais ces pays n'ont eu autant besoin de l'Europe.
Jamais ils n'ont autant souffert. Jamais ils n'ont fait autant d'efforts. Et
c'est maintenant qu'on déciderait de les aider moins ? Silence, les pauvres !
De toute façon, ils n'ont pas les moyens politiques de dire "non".
M. le
Président, accepter un compromis élaboré sur de telles bases, ce serait
prétendre faire l'Europe de la solidarité, à commencer par l'Europe sociale,
pendant toute la durée de votre mandat, avec le budget européen de M. Cameron.
Quel socialiste pourrait-il l'accepter ?
Le groupe
PPE, lui, ne l'acceptera pas. »
Alain Lamassoure est président de la commission des budgets au Parlement
européen. A la suite du sommet de Bruxelles, il a recommandé de ne pas accepter
l’accord en l’état : « Je recommanderai au Parlement de remettre en
cause les résultats autant que la méthode".