PLANCHE A BILLETS ET COMPAGNIE …
11 août 2016
L’Histoire ne se répète jamais, dit-on. Il arrive quand même qu’elle bégaie. Surtout, l’être humain, cet incorrigible, devrait savoir que les mêmes causes entraînent toujours les mêmes effets. Ce principe est immuable et a été maintes fois vérifié, y compris dans notre Histoire de France. Vous vous demandez bien où je veux en venir…
Le « Q.E. » n’est pas si nouveau.
Evidemment, ce que je vais vous raconter a un lien direct avec notre époque. Toutes les banques centrales pratiquent le « quantitative easing », expression savante pour dire en raccourci : faire tourner la planche à billets. Cet « assouplissement quantitatif » inonde le monde entier de milliards de liquidités. Un système dans lequel les Américains sont entrés les premiers, suivis par la BCE, mais dont on ne connaît pas vraiment la porte de sortie, faute d’expérience, dit-on. Et pourtant, l’expérience, elle est là, comme dirait le pingouin. Il suffit de connaître un peu son Histoire, ce dont je doute pour un certain Mario Draghi, cet Italien inventif, qui préside la Banque européenne. Et pourtant, il y a trois cents ans, on a fait tourner la planche à billets en France. C’était sous la Régence de Philippe d’Orléans, en 1716, peu après la mort de Louis XIV. Comme on sait, le Roi Soleil avait laissé les finances de son royaume en bien piteux état : dettes, impôts élevés … Une situation pas aussi dégradée que celle d’aujourd’hui, mais tout de même. C’est alors qu’un écossais exilé chez nous proposa ses services : il défendait l’idée d’un papier-monnaie, convertible en or et en argent, dont l’abondance permettrait de relancer le crédit, stimuler le commerce, développer l’économie. Avec en corollaire l’assainissement des finances de l’Etat. Il n’eut pas de mal à convaincre le Régent qui lui accorda toutes facilités pour mettre en œuvre son projet. En 1719 circulaient donc des coupures de 10, 100, 1 000, 10 000 livres et les affaires prospéraient comme par miracle, assises sur le fabuleux essor de la « Compagnie des Indes » qui contrôlait la quasi-totalité du commerce maritime français et la « ferme » des tabacs. Ainsi, les particuliers apportaient à la banque or et argent et recevaient en échange du papier avec lequel ils souscrivaient aux émissions de la compagnie, espérant des dividendes annoncés comme « fabuleux ». D’ailleurs la Compagnie avait entassé un tel trésor qu’elle se mit à prêter de l’argent à l’Etat ! La machine s’emballa : argent, or, billets de banques, titres de rentes, actions au porteur s’échangeaient à un rythme effréné. En retour, on bâtissait, on investissait, les carnets de commandes étaient pleins, et les loyers flambaient… Aujourd’hui, cela porte un nom : on appelle ça « une bulle ». Tout allait si bien que l’Ecossais en question fut promu Surintendant des finances du royaume.
Les facilités ne durent qu’un temps.
En janvier 1720, brutalement la confiance disparut. Les particuliers, profitant de la convertibilité totale, commencèrent à échanger leur papier-monnaie contre de l’or et de l’argent qu’ils investirent dans des biens fonciers et immobiliers, placements plus sûrs mais figés. Sans entrer dans les détails, tout se mit à aller mal, et très rapidement. Les correctifs apportés : cours forcé des billets, limitation des retraits, manipulation des cours et des taux ne firent que précipiter la chute et furent source de violences, d’émeutes, … En octobre, Philippe d’Orléans mit fin à l’expérience et dut rétablir l’ordre avec sévérité. Le magicien en question, c’était John Law, et il dut s’exiler. Même si l’expérience n’eut pas que des effets négatifs, -l’état se désendetta partiellement et l’expérience eut des répercussions keynésiennes avant l’heure sur le commerce, le bâtiment, l’artisanat et même l’agriculture-, il n’en est pas moins vrai qu’elle retarda en France l’avènement d’une banque d’état et la mise en œuvre des techniques financières telles que titres au porteur, marchés boursiers… La méfiance des Français pour la finance n’est donc pas nouvelle. Law avait commis une erreur monumentale, celle de ne pas avoir régulé la création monétaire au rythme de la croissance de l’économie réelle.
Conclusion.
Tiens, tiens, justement, c’est la même erreur que celle que sont en train de commettre nos grands sorciers des banques centrales. Le déversement de monnaie ne profite guère à l’économie réelle et alimente plutôt soit la spéculation, soit la thésaurisation en or, par exemple. Sauf que la banqueroute qui nous guette serait infiniment supérieure à celle de 1720. La crise de 1929, qui sert encore de référence et celle de 2008 nous apparaîtront alors comme de modestes incidents de parcours.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça n’est pas rassurant.
A suivre mardi : « Trois fois rien, c’est quelque chose ! »