L’Europe, c’est la chance de la France et des Français au XXIème siècle.
Une fois encore, contre vents et marées, je veux faire cette profession de foi européenne.
Je mesure bien le peu d’intérêt que nos concitoyens semblent
accorder au scrutin européen de la semaine prochaine. Cruel paradoxe:
alors que face à la crise, l’Europe a fait la preuve de sa capacité de
nous protéger, alors que le futur parlement européen aura des pouvoirs
fortement accrus dès que le traité de Lisbonne aura été ratifié, la
menace d’une abstention record ne faiblit pas.
Comment expliquer ce paradoxe? Sans doute par le comportement de
tous les décideurs, politiques, médiatiques, économiques, culturels…
qui ne parviennent pas à se débarrasser de l’habitude d’imputer toutes
nos difficultés à la bureaucratie de Bruxelles, même et surtout quand
elle n’y est pour rien. Alibi facile!
Et puis, dans notre univers médiatisé, l’électeur aime faire des
choix de personne: élire un président, ou, à l’autre bout de la chaîne,
un maire. L’élection européenne reste hélas! désincarnée.
Alors, jusqu’au jour de l’élection, il faut chercher à convaincre.
En rappelant d’abord que nous avons réussi à construire en Europe ce
qu’aucune autre région au monde n’a réalisé: une union de Nations qui
nous garantit stabilité et solidarité, qui nous protège dans un monde
imprévisible. Oh! je sais bien, la paix ne fait plus recette, tant elle
semble acquise aux yeux des générations qui n’ont pas connu la guerre.
C’est pourtant le premier demi-siècle de paix que nos vieux pays ont
connu au long de leur histoire contemporaine (ou même millénaire).
L’Europe, c’est surtout un lien de solidarité entre ses Etats les
plus avancés et ceux qui ont du retard. Dans aucune autre organisation
à travers la planète, on n’a mis en place d’aussi puissants moyens de
permettre aux seconds (l’Espagne, le Portugal, la Grèce, l’Irlande,
aujourd’hui les pays d’Europe centrale et orientale) de rattraper les
premiers. Avec succès et pour le plus grand bien de tous. Ce qui
explique l’attractivité de l’Union sur les candidats à l’adhésion. Mais
ce qui nous fait aussi obligation de ne pas dépasser notre capacité
d’absorption, sous peine de dénaturer la construction européenne. C’est
l’un des arguments majeurs qui me fait militer pour un partenariat
privilégié avec la Turquie, plutôt qu’une adhésion pure et simple (voir
mon débat avec Michel Rocard dans les colonnes du Figaro)
Pour l’avenir, et c’est là l’essentiel, l’Europe est porteuse d’un projet de civilisation original.
Et d’abord d’une “gouvernance” originale qui parvient à concilier le
rôle d’Etats-Nations fidèles à leur personnalité, et celui d’ instances
communes qui jouissent d’importants transferts de souveraineté
librement consentis. Et qui agissent de manière de plus en plus visible
sur la scène internationale. Je prends deux exemples très différents: à
l’OMC, dans les négociations commerciales; ou sur certains théâtres
d’opérations militaires quand la PESD (politique européenne de sécurité
et de défense) est mise en oeuvre (au Congo, au Tchad, au large des
côtes de Somalie…). Bien sûr , c’est compliqué, surtout depuis que nous
sommes 27. Il faut du temps et de l’énergie pour parvenir à des
décisions qui sont forcément des compromis. Mais, lorsque l’impulsion
politique est forte, ça marche: la présidence française au deuxième
semestre de l’année dernière en a apporté la démonstration.
Projet de civilisation aussi que la manière dont l’Union et ses
Etats-membres cherchent à concilier, d’un côté, l’économie de marché,
la libre entreprise, seuls vecteurs efficaces de création de richesses,
et, de l’autre côté, un haut niveau de protection sociale. Peut-on
citer une seule autre organisation régionale, un seul autre grand pays
où des progrès aussi considérables ont été faits sur ce chemin? Et où
la volonté de continuer est aussi grande? Ici encore, le défi est
considérable. Surtout dans une économie globalisée où la concurrence
est omniprésente. Mais, ça marche. Les Etats-Unis d’Obama ne se
sont-ils pas donné l’objectif de créer un système de protection sociale
plus efficace et plus juste?
Projet de civilisation enfin que l’engagement déterminé de l’Europe
dans le combat pour sauver la planète. Le succès du prochain sommet de
Copenhague (décembre 2009) dépendra largement de l’exemplarité de
l’Union et de sa capacité à entraîner l’Amérique et les pays émergents,
au premier rang desquels la Chine.
On mesure l’enjeu: recommencer après la crise comme avant, c’est
aller dans le mur. Il nous faut inventer un nouveau modèle de
développement et l’Europe peut être en première ligne, sans naïveté (la
compétitivité oblige) mais sans frilosité.
Ne nous méprenons pas: il va nous falloir vivre autrement. Nous
déplacer autrement en privilégiant, dans nos villes, les transports en
commun et les modes doux (vélo, marche…); aménager nos territoires
autrement pour mettre un terme à l’étalement urbain et au mitage de nos
espaces naturels; construire autrement des bâtiments qui produisent
autant d’énergie qu’ils n’en utilisent; produire autrement en
économisant les ressources non renouvelables; consommer autrement, en
réapprenant la sobriété et en recyclant tout ce qui peut l’être… etc.
Ce nouveau projet de civilisation dont l’Europe peut être porteuse
est aussi une promesse de bonheur: promesse d’une vie plus harmonieuse,
moins stressée, plus respectueuse de notre environnement naturel, mais
aussi plus conviviale, plus fraternelle dans des villes à taille
humaine à haute qualité de vie (Bordeaux… bien sûr! Mais, pas de
chauvinisme, beaucoup d’autres aussi).
Et si les prochaines élections européennes parlaient aussi à notre coeur, et pas seulement à notre tête?