Dieu existe, mais si je vous dis que je l’ai rencontré, vous ne me croirez pas. Et vous aurez raison. Par contre, comme des millions de Français je suis allé voir « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? », dès sa sortie, parce que j’avais eu l’occasion de voir la bande annonce. Et quand on a vu le film, on peut croire au « bon dieu ».
Une comédie réussie
D’abord parce que ce film est un régal par toutes ses facettes : les acteurs, le scénario, les situations, les dialogues… Une perle de précision et d’équilibre. Et un vrai moment de détente. Clavier en notaire coincé, gaulliste de province version 1958, et Chantal Lauby en bourgeoise type, non moins provinciale, jouent leur partition avec finesse et justesse. Il n’y a pas à regarder bien loin autour de nous pour retrouver ces stéréotypes bien vivants. Les filles et les gendres ne sont pas en reste avec un florilège de poncifs racistes dénoncés avec humour, de ces idées toutes faites qu’on véhicule volontiers dans les dîners en ville pour rigoler, mais qu’on évite désormais en public de crainte d’être jeté en pâture à l’inquisition officielle de la Licra ou de SOS racisme, quand ce n’est pas du CRAN… On s’étonne que le film soit alors un défouloir.
Le prototype social que le film nous propose est plausible et tout-à-fait contemporain. Qu’est-ce qui peut expliquer que quatre filles de bonne famille se retrouvent dans la situation d’épouser un mari en dehors de leur cadre conventionnel ? Tout simplement parce qu’elles ont reçu une éducation catholique qui ne les a pas enfermées dans un intégrisme et des interdits religieux. A cela il faut rajouter la cohérence sociale fournie par la poursuite d’études et le brassage que permet l’université laïque. Ensuite, le fait qu’il y ait un juif, un musulman et un asiatique sur lesquels viendra se greffer un catholique noir n’est que prétexte à la comédie.
Nous sommes tous concernés
Comme dans une pièce de Molière, il y a peu de chances qu’on rencontre dans la vie réelle ce cas extrême. Par contre des mariages de ce genre sont loin d’être exceptionnels. On remarquera que les maris en question sont certes attachés à leur identité et à leurs traditions mais ont pris une certaine distance vis-à-vis d’elles, parce que leur niveau d’études leur permet de les relativiser, ce qui permet la coexistence voire la complicité, une fois qu’on a dépassé les clichés racistes. Les deux temps forts, la Marseillaise chantée la main sur le cœur et la messe de Noël confirme avec humour que l’éducation républicaine et celle de la tolérance ont fonctionné et ont permis une certaine « assimilation ». Et si le film reçoit cet accueil, c’est parce qu’il correspond à une réalité qui concerne plusieurs générations d’immigrés et quantité de familles françaises. J’ai envie de dire : nous sommes tous concernés.
Tout le monde a en tête le fameux sketch de Muriel Robin quand la fille annonce à sa mère son mariage avec un… noir. Une de mes connaissances avait l’habitude de dire, « qu’un de mes garçons me ramène une noire ou une arabe ne me pose aucun problème, mais si c’est ma fille, j’aurai toujours peur de la retrouver voilée ou emmenée en Afrique ». Cette prévention est dépassée par nos enfants. C’est pourquoi, dans le film, le rôle donné aux femmes est à souligner. C’est par elles que se fait l’émancipation. Ce n’est pas un hasard. C’est la prise en compte d’une réalité observée. Dans la lutte contre l’emprise communautariste, ce sont elles qui ont le plus à gagner ou à perdre.
Un antidote à la tentation communautariste
Il ne faut pas nier pour autant que la tentation communautaire se développe dans de trop nombreux quartiers avec ses séquelles ségrégationnistes et stigmatisantes. On voit bien que la pression intégriste qui s’exerce sur les femmes notamment est de plus en plus forte et de plus en plus voyante. Et le film « Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu » est un antidote à cette pression. Car, finalement, les Français de « souche » ne sont pas les affreux xénophobes dépeints par SOS Racisme, la méfiance vis-à-vis de l’autre n’est pas que leur fait, elle est aussi celle des français ayant d’autres origines et d’autres traditions.
Comme l’explique Alain Finkielkraut, dans « l’identité malheureuse » le problème de fond tient beaucoup dans ce sentiment d’appartenance collective. Pour faire simple : par exemple, quand je suis dans un pays musulman, il ne me vient pas à l’esprit de protester contre le port du voile, même si je le réprouve, car je ne suis pas chez moi. Par contre, la même situation vécue en France conduit au réflexe dévastateur : « Je ne suis plus chez moi ! » parce que nos moeurs ne sont pas des options facultatives si on veut vivre chez nous, souligne l’auteur. Il parait que l’affirmer n’est pas politiquement correct. Pourtant, c’est pourquoi le législateur a interdit le port du niqab ou de la burqa parce qu’il s’agit de défendre un mode d’être, une forme de vie, un type de sociabilité qui façonnent une identité commune.
Un succès populaire qui est aussi un message
Le parallèle avec « Intouchables » vient à l’esprit. La sympathie qu’a inspirée ce film tient pour une grande part au rôle joué par Omar Sy. La preuve que la grande majorité des Français n’est pas raciste ni xénophobe. Et si ces Français de toutes catégories sociales, de tous âges et de tous milieux confondus, en se pressant dans les cinémas qui projettent le film de Philippe Chauveron, voulaient envoyer le message aux intégristes de tout poil et de toutes religions qui nous pourrissent la vie : « Voilà l’intégration que nous aimons ! »
De ce point de vue, « Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu » est une bénédiction !