L’AVIS DU SPECIALISTE
18 septembre 2013
LA REFORME AYRAULT DES RETRAITES
Ce pourrait être la « complainte pour la non-réforme des retraites ». Eric Woerth*, ancien ministre du travail et auteur de la réforme de 2010 nous explique ici pourquoi celle du gouvernement socialiste, c’est plus d’impôts, plus de déficits, plus d’injustices.
« La réforme des retraites présentée par Jean-Marc Ayrault fin août réalise un triple exploit : accroître les impôts des Français de 10 milliards d’euros, creuser les déficits des régimes de retraite, créer de nouvelles injustices. Je veux seulement rappeler que les plus de 6 milliards d’impôts nouveaux annoncés par le gouvernement le 27 août s’ajoutent aux cotisations destinées à financer sa mesure de retour « partiel » à la retraite à 60 ans à l’été 2012 : voilà au total plus de 10 milliards d’impôts prélevés sur les Français pour financer les retraites et non les investissements dans l’économie de la connaissance ou les autres dépenses d’avenir dont notre pays aurait besoin. La part de la richesse nationale consacrée aux retraites (près de 14 % du PIB) est déjà parmi les plus élevées au monde : il faut l’augmenter encore, nous dit Jean-Marc Ayrault. On se demande bien à quoi bon se réjouir de la démographie favorable de notre pays, si c’est pour dilapider cet avantage.
Le gouvernement se concentre sur les 7 milliards d’euros de déficit du régime général et laisse de côté les régimes complémentaires, le régime des fonctionnaires de l’Etat et les régimes spéciaux. Les régimes complémentaires ne sont pas son affaire, nous explique-t-il. Peut-être tentera-t-il aussi de convaincre les Français, lorsque ces régimes devront augmenter les cotisations pour réduire leurs propres déficits, qu’il ne s’agit pas de prélèvements obligatoires ? Quant au déficit du régime des fonctionnaires, c’est plus simple encore : ce n’est pas un problème, puisque l’Etat le comblera. La lignée intellectuelle entre le gouvernement et le sapeur Camembert apparaît plus évidente que jamais.
On me dira : ce trou est le signe que la réforme que vous avez portée en 2010 n’a pas permis de réduire les déficits des régimes de retraite. Cet argument abondamment utilisé par le gouvernement socialiste est faux. L’impact de la réforme des retraites que j’ai conduite en 2010, qui s’est traduite par une réduction de 30 milliards d’euros des déficits à horizon 2020, dont 25 milliards d’euros par des économies sur les dépenses, n’a été contesté par personne. Sans notre réforme, le gouvernement devrait donc faire face non à 20 milliards de déficit, mais à près de 50. D’où viennent ces 20 milliards de déficit ? Pour partie de l’aggravation de la situation économique, à laquelle est en train de grandement contribuer l’action du gouvernement Ayrault. Elle explique que les recettes des régimes ne sont pas au niveau attendu.
Plus d’injustices enfin. Le gouvernement en donne une parfaite illustration avec son dispositif pénibilité, qui, nous dit-il, permettra de compenser les différences d’espérance de vie entre catégories professionnelles. Comment procède-t-il ? En attribuant des points en fonction de l’exposition à des facteurs de pénibilité. Imaginons le fonctionnement concret de ce dispositif : un maçon qui porte des charges de 20 kilos se voit attribuer des points, tandis que son collègue dont les charges se limitent à 15 kilos n’en bénéfice pas. Cela porte un nom : c’est la création de nouveaux régimes spéciaux de retraite. Alors qu’il s’agissait de poursuivre l’effort que nous avons fait pour les rapprocher du droit commun, le gouvernement Ayrault choisit de les étendre.
Est-ce à dire qu’il ne convient pas de tenir compte des différences de carrière ? Bien sûr que si. Je rappelle que c’est la réforme de 2003 qui a introduit le dispositif carrières longues. C’est d’ailleurs l’existence de ce dispositif qui explique que le dispositif pénibilité que nous avons créé en 2010 n’ait concerné qu’un petit nombre de gens : la plupart des travailleurs ayant eu des carrières réellement pénibles bénéficient déjà du dispositif carrières longues !
Plus d’impôts, plus de déficits et plus d’injustices : le triple exploit réalisé par Jean-Marc Ayrault dans le cadre de sa non-réforme des retraites rend notre pays toujours moins crédible sur la scène internationale et grève son action dans la compétition mondiale. »
Les arguments avancés par Eric Woerth sont incontestables, notamment en ce qui concerne les déficits actuels dus largement au différentiel entre la croissance sur laquelle la réforme a été calculée (1,5%, proposé par le COR) et la croissance réelle (0% en 2012, 0,1% cette année)… C’est le problème de toutes les réformes : on les assoit toujours sur des prévisions démographiques et de croissance trop optimistes. La combinaison avec la montée du chômage en général et des seniors en particulier constitue un cocktail explosif. Il est difficile pour autant d’en vouloir à un gouvernement de se fier aux prévisions des grands organismes économiques. Une excuse que ne peut invoquer Jean-Marc Ayrault !
*(tribune parue dans Les Echos du 18 septembre 2013)
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