LE VOYOU SAISI PAR LA DEMESURE
12 février 2025
Le divorce avec la démocratie.
Le duo formé par Donald Trump et Elon Musk n’a pas attendu pour entamer le divorce de l’Amérique avec la démocratie qui encadrait son histoire depuis 1787.Ils mettent en place une administration sous le signe de l’ingénierie du chaos, plongeant dans l’incertitude les entreprises, les marchés et les alliés des Etats-Unis, menaçant l’Occident d’implosion et provoquant l’ensauvagement du monde par le modèle qu’ils montrent.
Le plébiscite du voyou.
L’élection triomphale de Trump doit beaucoup à sa rhétorique ordurière. Repris de justice, objet de multiples inculpations, condamné au pénal pour 34 faits de falsifications de documents comptables, soupçonné d’être l’instigateur d’une tentative de coup d’état, il se permet d’insulter ses adversaires en toute impunité. Il permet ainsi à ses partisans de s’affranchir de tous les tabous qui régissent la vie collective d’un peuple. Or, les jugements que nous portons sur nos adversaires ou nos rivaux, en démocratie, doivent respecter la décence minimale que nous nous devons dans les sociétés civilisées. Les outrances de Trump ne sont pas des dérapages, elles font partie d’une stratégie délibérée. Si celle du wokisme ont favorisé l’irruption du trumpisme, le rejet du « politiquement correct » ne peut pas être le politiquement abject.
La domination de l’hubris.
Tribun clownesque et néronien, admirateur des brutes de ce monde, Poutine, Xi Jinping, Kim Jong-un, Trump a remplacé la courtoisie, de mise en démocratie, par le dévergondage pulsionnel, l’injure servant d’argument, les attaques ad hominem, les menaces de mort, la trivialité la plus salace, et se comportant en mafieux plus qu’en responsable politique. Assoiffé de vengeance jusqu’à remettre en cause les décisions de justice, la seconde administration Trump s’annonce tout entière placée sous le signe de l’hubris, cette démesure qui mêle passion, orgueil, outrage et transgression. Elle s’achèvera, comme toujours par l’anéantissement des hommes qui y succombent. C’est ce que nous enseigne l’Histoire et comme disait Hérodote : « Le ciel rabaisse toujours ce qui dépasse la mesure » !
La violation de l’Etat de droit.
On ne s’étonnera pas que tout dans le déferlement des décisions dans tous les sens prises par le nouveau Président, beaucoup sont illégales. Nombre d’entre elles relèvent de la compétence du Congrès des Etats-Unis. Délibérément illégales, elles ont été déférées aux tribunaux fédéraux, qui à l’instar de la Cour suprême, sont biaisés par la nomination de juges politiques. Le respect de la Constitution, indissociable de la séparation des pouvoirs, se trouve ainsi annihilé, limitant les possibilités de recours de la société civile. Ainsi, Elon Musk, qui ne dispose d’aucune fonction officielle dans le gouvernement des Etats-Unis, a investi avec ses équipes, l’agence qui gère les programmes d’aide au développement ainsi que le centre de paiement des agents de l’Etat fédéral. Les décisions qu’il a imposées sont parfaitement illégales, son statut de « Special Government Employee » ne l’autorise en rien à se substituer au pouvoir exécutif ou législatif. En plus, le conflit d’intérêts est frontal avec ses activités de chef d’entreprise, alors que ses sociétés font l’objet d’une vingtaine d’enquêtes administratives par une dizaine d’agences fédérales. Les « raids » qu’il conduit visent plus à détruire l’Etat fédéral qu’à le réformer, en violation ouverte de l’Etat de droit.
Le primat de la force sur le droit.
Le projet d’une grande Amérique s’étendant du Pôle Nord à Panama, intégrant le Canada et le Groenland, assorti de menaces contre ceux qui s’y opposeraient, les mesures protectionnistes mises en œuvre dans la plus grande confusion, les expulsions de migrants et les marchandages qui les accompagnent, la poursuite de l’aide à l’Ukraine en échange de métaux rares, la proposition improbable de la mise sous administration américaine de la bande de Gaza avec le départ forcé de plus de 2 millions de Palestiniens pour la transformer en côte d’Azur du Proche-Orient, ne s’encombrent pas de principes : forte de sa puissance, l’Amérique entend imposer ses volontés. Pour l’instant elle récolte une levée de boucliers mondiale. La hausse des droits de douane de 25% avec le Canada et le Mexique a dû être suspendue face aux mesures de rétorsion et à la chute des marchés.
La fin du progrès.
Si pour l’instant Trump fascine parce qu’il s’est affranchi de tous les interdits, fort de ses caprices qui ont force de loi, prêt à faire régner la terreur pour mieux satisfaire son ego, il est bien parti pour ruiner l’hyperpuissance qu’il se propose de reconstruire. L’imprévisibilité et l’irrationalité de ses décisions créent une incertitude radicale pour les entreprises et les marchés, poussent à la hausse des taux d’intérêt, pénalisant les investissements et l’innovation. Le retour à un capitalisme de prédation, totalement dérégulé et la fusion des dirigeants politiques avec les milliardaires renouent avec les excès des années 1920 qui débouchèrent sur le pire krach financier de l’histoire. L’euphorie spasmodique de Wall Street n’annonce rien de bon. D’autant plus que la violation délibérée de la Constitution, le mépris pour la règle de droit et l’affaiblissement de l’Etat fédéral transforment les Etats-Unis en démocratie illibérale.
Le rejet des Lumières.
C’est parce que l’Etat de droit a remplacé l’absolutisme, fruit de longs efforts depuis le siècle des Lumières, que nous avons accompli d’immenses progrès qui ont défini la modernité. Ces efforts nécessitaient que la vérité prime sur l’obscurantisme, que l’expertise dans les affaires humaines soit valorisée, que la connaissance scientifique soit partagée et admise. L’un des aspects les plus inquiétant de la « révolution MAGA » réside dans son rejet pur et simple des valeurs des Lumières.
Make America Weak Again…
Les Américains sont dirigés par un personnage sans limites, grand climato-sceptique, et pourraient bien déchanter. Car les vrais gagnants sont Moscou, Pékin et Téhéran. Russes Chinois et Iraniens peuvent se frotter les mains : leur cheval de Troie est au pouvoir. Il peut bien tempêter, fulminer, menacer, il ne fera rien et surtout pas la guerre. Il ne peut pas annuler le principe de réalité sur lequel ils se fracassera tôt ou tard. Rappelons-nous l’Afghanistan dont Joe Biden a essuyé les conséquences de l’accord signé par Trump. La fin du progrès aux Etats-Unis aura-t-elle des répercussions à l’échelle mondiale ? C’est quasiment certain. L’éclatement de l’Occident et l’affrontement permanent avec les partenaires et les alliés ne peuvent qu’affaiblir les Etats-Unis et ouvrir des espaces dans lesquels la Chine et la Russie ne manqueront pas de s’engouffrer.
La grande perdante pourrait être la vieille Europe. Ce même principe de réalité doit la conduire à sortir au plus vite de sa passivité et de ses divisions et prendre son destin en main avec pour projet de défendre la liberté et le droit international face aux dérives tyranniques et à la démesure des empires. Avec ses 450 millions d’habitants, elle en a les moyens. Ce sera l’objet du prochain article… à suivre !
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