682 JOURS !
20 février 2023
Un style inimitable.
C’est du Roselyne Bachelot pur sucre. Rendre compte de sa charge ministérielle au jour le jour aurait pu rapidement devenir un pensum fastidieux, en fait, c’est un vrai régal. Notre ex-ministre de la culture raconte comme elle parle, sans détour, avec sa faconde et sa franchise proverbiales, dans un style inimitable qui n’appartient qu’à elle. Ce n’est pas par hasard si elle a mis en sous-titre « le bal des hypocrites ». Voilà un récit qui mélange allégrement tous les modes d’expression, les figures familières : « en prendre plein la gueule », « dont tout le monde se contrefout », les « clampins », le « canasson » y côtoient les « mirliflores, les besogneux et les midinettes », les « politiciens guignolos » (Trump) ou encore pour les préliminaires, quand il y en a : « tout cela n’était que zakouskis », sans oublier le registre propre à Roselyne : « pas de ça Lisette », « faut pas pousser Roselyne dans les orties », et évidemment : « faut pas me prendre pour un con ! » ; cette trivialité cohabite avec des formules plus savantes abusant quelque peu de l’épithète homérique : « falsifications misérables », « choc esthétique absolu », « symbole psychopompe », et hyperbolique : « ébouriffant de virtuosité », agrémenté de sorties descriptives telle « la camarilla des intégristes sanitaires » pour désigner tous les prêcheurs qu’on a vu défiler sur les plateaux télévisés pendant la Covid ou encore « mettre à quia les féodaux ». Le sacerdoce ministériel impose souvent aussi de « donner sa livre de chair » pour parvenir à ses fins. On touche parfois au complexe : je doute que beaucoup de lecteurs soient familiers des « prolégomène », « prolepse » et autre « ultracrépidarianisme ». Le panorama ne serait pas complet sans les emprunts à la langue anglaise qui émaillent notre expression contemporaine. Ainsi, concernant la campagne de Pécresse : « ça poquait la loose », et je passe sur les « business as usual », « storytelling », casting », et autre « road-movie ». Inévitables aussi les latinismes tels « in petto » ou « pro domo ». Enfin, les adeptes d’Audiard trouveront des emprunts au style du maître : « Voilà que j’m’énerve… revenons à nos beautés » parodiant une séquence célèbre. Ce livre permet de découvrir les multiples facettes d’une femme cultivée et à l’aise dans son époque.
Un compte-rendu méticuleux.
Le cœur du sujet est évidemment de rendre compte de son action rue de Valois. On feuillette avec elle son agenda. Je n’entrerai pas dans le détail. Pour faire Simple Roselyne a fait du Bachelot : quand on lui confie une mission, elle ne rechigne pas à taper dans la butte : des journées de 14H suivies de nuits à éplucher les dossiers pour ne pas laisser la main aux technos de Bercy. Je suis bien placé pour le savoir, ayant été le secrétaire départemental de l’UMP quand elle était présidente de la fédération de Maine-et-Loire et … Ministre de la Santé. Après une semaine éreintante à Paris, elle rentrait dans le département où, pour les besoins de la cause, je lui avais préparé un road-movie de réunions à animer qui la menait aux quatre coins de l’Anjou. Je ne l’ai jamais entendue se plaindre. Sans compter qu’elle me faisait totalement confiance. Aussi, ceux qui espéraient trouver ici quelques lignes désagréables à son égard en seront pour leurs frais. Même si depuis, je n’ai pas partagé tous ses choix, je les respecte et je ne m’arrogerai pas le droit de la juger. Elle rêvait du Ministère de la Culture déjà à l’époque. Aussi a-t-elle pris très à cœur son portefeuille et la bataille fut rude compte-tenu du contexte. Déjà que la culture n’était pas une priorité, avec la crise sanitaire et le quoi qu’il en coûte, on pouvait craindre le pire. La fermeture des salles avec le confinement lui a terriblement compliqué la tâche, mais elle a défendu bec et ongles son périmètre pour protéger les artistes en priorité, qui ne lui en ont pas toujours été très reconnaissants et les médias se sont jetés comme des fauves sur « la tartine beurrée des deux côtés » de Biolay ou les sarcasmes de Clara Luciani, comme si c’était l’essentiel. Le récit de la cérémonie des Césars que nous en fait la Ministre vaut aussi le détour. Pour les décisions et le bilan, le langage se fait plus technocratique, car évidemment, Roselyne connaît son ministère par cœur et ses dossiers sur le bout des doigts. Je pense qu’elle aurait bien voulu égaler Jack en réputation. Le bilan de son action est loin d’être mince, mais les temps ont proposé trop d’événements qui ont accaparé l’actualité entre les rebondissements de la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, pour que la culture puisse y trouver son compte. Quand ça veut pas… Au moins, celle qui lui a succédé au Ministère ne lui fera pas d'ombre, c'est toujours ça !
Une place pour les inévitables anecdotes.
Le livre vaut aussi pour les anecdotes, les analyses politiques et les inévitables retours sur le passé. Roselyne Bachelot découvre les ravages fait par le non cumul des mandats qui a contribué largement à couper les élus locaux du pouvoir central et elle a l’honnêteté de faire son mea culpa, elle qui militait pour le non cumul. La rencontre avec le Président, se veut soft même si on sent une réticence sur le style du « jeunot ». Elle a aussi l’occasion de rendre justice à la IVème République pour son bilan trop méconnu de reconstruction de la France dans tous les domaines après la 2ème guerre mondiale. De la part d’une gaulliste, c’est pour le moins inattendu. Sur le mode de la confidence, on apprend que la petite Roselyne trouvait le moyen de se cacher sous la table de la salle à manger pour écouter les conversations quand ses parents recevaient « les comploteurs », à savoir André Malraux, Jacques Chaban-Delmas et autres qui préparaient le retour au pouvoir du Général. On comprend qu’elle occupe une place à part dans le Panthéon gaulliste. Elle se fait plus ironique quand elle évoque son ancien parti n’hésitant pas à saisir une saillie de Xavier Bertrand refusant de « monter sur le Titanic », en parlant du gouvernement pour comparer avec LR, devenu « radeau de la méduse » pour l’occasion.
Vous l’avez compris, vous ne perdrez pas votre temps à lire cet ouvrage. On ne s’ennuie jamais.
Vous retrouverez Roselyne sur BFM, RTL et Forum Opéra. Elle hante aussi les Grosses têtes…
682 JOURS, le bal des hypocrites, chez Plon.
Commentaires