ASTERIX ET L’AIR DU TEMPS
05 novembre 2019
Peut-être comme moi, avez-vous lu le dernier album d’Astérix : « La fille de Vercingétorix » ? Le 38ème album de la série a été présenté par les médias comme très réussi. Je crois savoir pourquoi. Tiré à 5 millions d’exemplaires, dont 2 rien que pour la France, l’éditeur est confiant dans le destin de cet opus qui paraît pour la soixantième année d’existence de la série. Un joli destin pour notre cher petit gaulois et son village d’irréductibles. Les deux repreneurs depuis 2013, Ferri et Conrad, continuent de s’inscrire dans la veine Goscinny-Uderzo, sans tout-à-fait parvenir à leur hauteur, au moins pour le scénario et les textes. Pour les dessins, la main de Conrad excelle à reproduire l’univers de la série.
Je ne vais pas vous raconter l’histoire, pour préserver votre découverte si vous ne l’avez pas lu. Je me contenterai de quelques commentaires. Le scénario est relativement simpliste et contingente Astérix et Obélix dans un rôle finalement assez secondaire. Ils ne sont pas les moteurs de l’histoire et semblent plutôt la subir. La fille de Vercingétorix en est évidemment l’héroïne, mais campée dans une posture d’anti-héros, en adolescente récalcitrante. Quelques gags sont bien dans la veine, notamment les références en filigrane à la seconde guerre mondiale et à la résistance, avec un « Monolitix » dont le physique fait penser irrésistiblement à De Gaulle, et la volonté de se réfugier à Londres, mais le filon s’épuise vite et se perd rapidement en chemin. On retrouve forcément des soldats romains toujours aussi peureux et aussi peu motivés, l’espion repoussant à souhait, le bateau des pirates et son équipage toujours aussi malchanceux… Il est bien question de résistance, mais on sait depuis le début de la saga que le village gaulois résiste mais n’a aucune intention de reconquête de la Gaule. Alors la fille de Vercingétorix en Jeanne d’Arc de la reconquête : c’est raté ! D’ailleurs, l’adolescente est pacifiste. De ce point de vue l’histoire tourne court, là encore.
En fait, et c’est pour ça que ce 38éme album plait à la gent éditoriale, le véritable sujet tourne autour de la jeune fille. C’est une caricature de féministe, fugueuse, rebelle dont les idéaux sont très contemporains et elle coagule autour d’elle les jeunots boutonneux du village que l’on découvre au passage. Les Végans ne sont pas loin non plus : ainsi l’appétit d’Obélix menace d'extinction l’espèce des sangliers, et elle rêve de vivre sur l’île de Thulée, l’île légendaire évoquée par Hérodote - le rêve hippie ?-. C’est plutôt Greta Thunberg pour les leçons aux adultes. Pour rester dans les thèmes d’aujourd’hui, n’a-t-elle pas été élevée par deux papas ? Elle ne veut pas s’habiller en fille (allusion à la guerre du genre ?) et à la fin, en guise d’épilogue, après être partie sur toutes les mers, elle revient avec une progéniture très contemporaine… et évocatrice. Je ne vous en dis pas plus.
On hésite pourtant entre la volonté prosélyte d’inscrire cette histoire dans l’air du temps et la caricature. D’aucuns crieront à l’influence gauchiste. Et c’est vrai que les auteurs y cèdent par plusieurs traits. Mais on peut y voir aussi une satire des progressistes. Quoi, De Gaulle-Monolitix en couple homosexuel avec un Ipocalorix larmoyant, pour élever la fillette, ça ne marche pas vraiment ! On a abandonné le cliché du village concentré de l’esprit gaulois qui correspondait à la France du milieu du 20ème siècle. Les archétypes qui le peuplent sont toujours là, Abraracourcix, Agecanonix, Bonnemine, Ordralfabétix et Cétotomatix, mais ils deviennent subitement démodés : par les critiques de leurs enfants, par leurs réflexes qui paraissent désuets. Bref, comme si l’alchimie identificatrice Gaule-France ne fonctionnait plus. Difficile de se référer à la France périphérique contemporaine, avec ses ronds-points et ses zones commerciales. Pas plus qu’à sa fragmentation communautaire. Restent la pratique du décalage, l’humour et le détournement (parcimonieux) des références historiques.
On regrette néanmoins le côté potache qui animait les personnages de l’époque Goscinny. On perd de vue ce qui était la substance de la série : une réelle volonté de résistance franchouillarde. La Gauloise venant entonner l’air du féminisme ne colle pas vraiment avec le duo Astérix-Obélix et de fait il se trouve marginalisé. « Représentants d’un monde d’arriérés ! » dit même le traître Adictosérix, partisan du ralliement aux Romains. Une manière d’illustrer le débat conservateurs-progressistes ? Quant à la vignette du retour d’Adrénaline, dans la dernière page, je vous laisse deviner à quoi elle fait allusion. Et aussi, une bizarrerie : si les enfants évoquent le barde, il n’apparaît pas du tout dans l’histoire et même pour le banquet final, sa silhouette n’est pas suspendue dans l’arbre. Un oubli ?
Pour moi, cet album n’est pas franchement génial bien qu’il puisse figurer honorablement dans la saga du Gaulois récalcitrant.
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