CHRONIQUE DES JOURS QUI PASSENT
01 août 2015
« MAIS QU’EST-CE QUE TU FABRIQUES ? »
C’est la question qui survient quand la maison est bien trop calme. Des enfants, ça vit : ça se chamaille, ça joue, ça va, ça vient d’une pièce à l’autre, ça crie ou ça chante. On est ainsi renseigné sur leur activité pendant que chacun vaque aux occupations domestiques. Evidemment tout cela est très variable en fonction de la progression en âge. C’est entre trois et six ans que l’on a en général les « usines à conneries ». Et alors là, il faut toujours avoir un œil sur ce qui se passe comme quand on a du lait sur le feu, et craindre par-dessus tout le silence s’il se prolonge et qu’on n’y a prêté attention tout de suite. En général, c’est le signe d’une occupation intense qui réclame de la concentration, et rarement sans « effets collatéraux ». Alors le tableau est facile à décrire : une mère ou un père, les mains sur les hanches dans l’embrasure d’une porte, en train de découvrir l’activité qui absorbe le gamin et surtout de constater les dégâts qu’elle occasionne : décoration murale inédite, découpage intempestif d’une revue à laquelle on tient, collage approximatif d’un objet endommagé… « Mais qu’est-ce que tu fabriques ! »
Ce n’est évidemment plus une question. L’enfant a bien senti dans l’intonation, comme un reproche de ce qu’il considérait comme une attitude noble : l’expression de son talent ou tentative de réparation d’un bris commis par inadvertance. Tout cela part d’un bon sentiment d’où l’intense décalage entre l’admonestation et sa bonne volonté : incompréhension qui se lit dans des yeux grands écarquillés par l’étonnement. Et là, de deux choses l’une, ou l’adulte pique une colère noire, ou il éclate de rire. Tout dépend de la gravité des dégâts et surtout de la répétitivité des actions considérées comme « délictueuses ».
Nous avons tous des souvenirs de bêtises faites par nos enfants. Il y en a un qui me revient à la mémoire en écrivant ces quelques lignes. Notre fille aînée devait avoir sept ou huit ans et avait invité une copine à jouer avec elle. Elle n’était pas du genre à collectionner les bêtises et nous lui faisions plutôt confiance. Ce jour-là, les deux filles jouaient dans la chambre à l’étage avec leurs poupées Barbie, alors très à la mode, avec toute la panoplie des vêtements à mettre et à retirer. D’habitude cela suffisait pleinement à les occuper un bon moment. Nous étions au rez-de-chaussée en train de bavarder. Toutefois, nous trouvions que l’animation à l’étage avait pris un tour bizarre. D’abord les voix nous parvenaient de la salle de bain et nous entendions l’eau couler puis cela s’arrêtait, puis recommençait. Prise d’un doute Paulette décida d’aller jeter un coup d’œil sur ce qui se passait. Elle ne fut pas déçue du voyage : les filles avaient décidé –qui en eut l’idée ?- de teindre les cheveux de leur poupée et n’avaient trouvé rien d’autre pour cela que … l’éosine !
« Mais qu’est-que-vous fabriquez ? » : le spectacle en valait la peine. Le bidet exprimait son émotion avec un rose uniforme que les deux dégourdies essayaient de faire disparaître à force de rinçages successifs. On comprend qu’elles l’aient utilisé pour faire une couleur, la parenté avec le bac du coiffeur est évidente et surtout, le bassin était bien commode par sa hauteur. Mais on les suivait à la trace dans toute la pièce : le formica blanc des meubles arborait les empreintes des délinquantes en de multiples endroits, sans parler des malheureuses poupées dont les cheveux rouge vif refusaient de reprendre une couleur plus convenable. Le lavabo et la baignoire n’avait pas échappé non plus à leur coupable activité. Bref, un désastre. On en rit encore aujourd’hui, même si récurer la salle de bain ne fut pas de tout repos.
Inutile de préciser que dans les petits enfants on a eu, et on a encore, quelques occasions de poser la question.
Commentaires