Voici un article très intéressant et en même temps inquiétant pour
l’économie de notre pays. Autant s’y préparer.
Par Eric Le Boucher,
Editorialiste aux Echos.
Les
réformes structurelles, vues en France comme une obligation imposée
d'ailleurs, sont très structurellement la seule stratégie politique pour
retrouver la croissance.
Les points à retenir
- Le chef de l'Etat
pense que la croissance remontera inéluctablement avant la fin de son
mandat. Tout porte à croire qu'il a déjà perdu son pari.
- Sous l'effet de la crise, la croissance se retrouve à un niveau
nettement plus bas que sa tendance antérieure.
- Or de la politique budgétaire à la consommation, en passant par l'investissement
privé, tous les moteurs sont à l'arrêt.
- Plus inquiétant encore, notre « croissance potentielle » est plus
faible qu'auparavant, car notre productivité est en déclin.
« La fin du tunnel » est la promesse favorite des dirigeants
politiques. Depuis 1973 et les chocs pétroliers, qui ont renvoyé la belle
croissance des Trente Glorieuses aux manuels d'histoire, tous les gouvernements
se sont livrés au rituel « le pire est passé ». En général, ils
croient à leur prophétie. Il ne peut en être autrement : la lumière au
bout du tunnel viendra, et elle viendra forcément avant l'heure électorale.
François Hollande est de ceux-là. Le chef de l'Etat pense que la croissance
remontera inéluctablement comme la mer revient toujours dans le port pour
mettre à flot tous les bateaux. Le fameux « cycle », n'est-ce
pas ? Son programme électoral tablait sur 1,7 % de croissance en
2013, 2 % en 2014 et ensuite 2 à 2,5 % par an, par retour à la
tendance de précrise (le PIB a crû en moyenne de 2,2 % de 1995
à 2007). L'attente du chef de l'Etat s'est déjà chargée de frustrations :
2013, au lieu de voir redécoller la France, l'a mise dans la récession. L'an
prochain s'annonce positif, certes, mais bien peu : le gouvernement table
sur un chiffre officiel de croissance de 1,2 % du PIB, la Commission
européenne prévoit seulement 1,1 %, le FMI avance 0,9 % et le
consensus des économistes un tout petit 0,7 %. Mais il faut pousser le
diagnostic au-delà de 2014. L'économie n'est pas la mer qui va et vient.
Tout laisse penser que, en l'état actuel, la croissance française est
cassée pour longtemps. Ce pour trois séries de raisons françaises et
internationales.
La crise d'abord.
Elle a été d'une violence inouïe (plus dure que 1929, au départ) et elle
dure depuis cinq ans. Elle a conduit dans tous les pays développés à « une
contraction massive des potentiels de croissance », résume Laurence
Boone, chef économiste en charge de l'Europe chez Bank of America Merrill
Lynch (1). Des entreprises ont fait faillite, en particulier dans
l'industrie, et les entreprises qui survivent ont, dans l'ensemble, beaucoup
réduit leurs investissements. Total : la croissance se retrouve à un
niveau nettement plus bas que sa tendance d'hier, elle a été amputée de
10 points, selon Patrick Artus, chef économiste de Natixis (2). Avant
de retrouver le rythme d'avant-crise, il faut accélérer pour remonter ce gap.
Les freins ensuite.
Or, deuxième raison, beaucoup de freins sont mis. La politique budgétaire
est devenue, partout, restrictive. Un autre moteur, l'investissement privé, est
lui aussi à l'arrêt, voire bloqué en marche arrière. L'amélioration des marges
des entreprises est le préalable à leur confiance dans l'avenir, hélas, elles continuent
de se dégrader. Quant à la consommation, le troisième moteur, elle va subir les
chocs négatifs des réformes structurelles et des ajustements budgétaires, comme
le souligne Patrick Artus. Et, plus globalement, les salaires sont durablement
sous pression. Résultat, conclut Laurence Boone, la France se classe plutôt
parmi les pays méditerranéens pour lesquels il n'y a pas beaucoup de chances
que le PIB réel rattrape le retard qu'il a accumulé pendant la crise depuis
2008.
Le potentiel de
croissance enfin.
La troisième raison est fondamentale et plus inquiétante encore. La
croissance de la France, comme de tous les autres pays, est plus ou moins en
retard par rapport à la tendance antérieure, comme on vient de le voir. Mais
cette tendance elle-même, nommée « croissance potentielle », est
égale à la multiplication de deux facteurs : la croissance du nombre
d'heures travaillées par la population, multipliée par la croissance de la
productivité horaire.
L'examen du premier facteur ne laisse pas beaucoup de possibilités. Comme
l'explique Gilbert Cette, professeur associé à l'université d'Aix-Marseille-II,
il faut remonter le taux d'emploi des sous-employés en France : les
seniors, les jeunes et les non-qualifiés. Les précédentes réformes des
retraites ont eu déjà un effet remarquable puisque seuls 29 % des plus de
55 ans étaient encore au travail en 1995, ils sont 41 % aujourd'hui.
Pour les jeunes, grave sujet de débat aujourd'hui, il faudrait imaginer des
cumuls originaux études/emploi. Pour les non-qualifiés, tout dépendra de la
réforme de l'éducation et de la formation permanente.
Mais c'est l'autre facteur, la productivité, qui apporte du neuf. Dans une
étude inédite (3) qui va faire beaucoup de bruit, Gilbert Cette montre que
les gains de productivité sont en déclin dans le monde développé. Il y a en
cours un phénomène structurel fondamental qui serait dû à un épuisement de la
révolution numérique. Ce constat va contre le sens commun, l'Internet a envahi
nos vies. Mais les statistiques collectées par Gilbert Cette sont
imparables : la productivité (dite productivité totale des facteurs) aux
Etats-Unis, pays de référence en technologie, est passée d'un rythme de
1,82 % l'an de 1995 à 2004, à 0,46 % l'an, depuis. En France, elle
est même devenue négative !
Pourquoi ? La célèbre loi de Moore (doublement des capacités des puces
tous les dix-huit mois) bute sur un prix devenu exorbitant. « On est
dans un creux technologique », avance l'auteur, qui pense qu'une
nouvelle génération viendra dans cinq-dix ans qui fera rebondir les
productivités. La conséquence est fracassante : le monde ne reviendra pas
aux belles années d'avant-crise.
Conclusion.
La France, qui n'a pas la même productivité en niveau que les Etats-Unis, a
une issue : profiter d'un rattrapage en facilitant la diffusion des
nouvelles technologies, notamment dans les services. Elle a aussi un atout
démographique. Mais le pari de Hollande est perdu, la reprise ne viendra plus
« toute seule ». Les réformes structurelles, vues en France comme une
obligation imposée d'ailleurs, sont très structurellement la seule stratégie
politique pour retrouver la croissance. Il n'y a pas de bout au tunnel, il faut
en creuser entièrement un neuf.
Cela prendra plus qu'un quinquennat.
On peut aussi changer l'équipe qui est en place, au plus vite. Mais c'est une autre affaire.
(1) Europe : when will growth
return ? European Economic Viewpoint, 15 février, avec Ruben
Segura-Cayuela et Nick Bate.(2) Combien de temps une croissance très faible en
France ? Flash économie 30 mai. Avec Jean-Chistophe Caffet.(3) Does
TIC remain powerful engine for growth. Presidential Adress devant l'AFSE,
25 juin.