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31 juillet 2013
TUER LE TEMPS
Voici venir le mois d’août pendant lequel de nombreux Français vont se livrer à leur sport favori : « tuer le temps ». Depuis quelques jours déjà, ils ont soigneusement répertorié leurs armes pour être sûr de ne pas rater la cible. La paire de tongs, le drap de bain ou serviette de plage, les lunettes de soleil pour mieux viser, le flacon d’ambre solaire dont il faut s’enduire pour approcher le gibier. Certains se munissent d’armes lourdes : chaise longue, tente parasol voire cabine d’affût en dur.
La chasse au temps qui passe se pratique de multiples façons. On peut le tuer à l’heure du pastis avec les amis, à la plage en lisant un bon polar, sur la place du village avec une bonne partie de pétanque, en profitant d’une mer d’huile pour faire la planche ou simplement allongé sur le sable à se faire dorer le cuir. Le principal c’est de tromper l’ennui, principal allié du temps qu’on veut tuer.
C’est qu’en cours d’année, on a rarement l’occasion de « tuer le temps ». On court plutôt après et on n’arrive pas à le rattraper. Pourquoi ? Voyons, tout le monde sait bien que « le temps c’est de l’argent » ! (Alors pourquoi vouloir le tuer ?) Il importe donc de l’utiliser au maximum de façon à ne pas s’apercevoir qu’il passe. Il n’y a que lorsqu’on n’a rien à faire qu’il se met à s’écouler lentement et à nous narguer, de telle sorte qu’on a rapidement envie de le tuer… en se trouvant une occupation.
« Tuer le temps », n’est-ce pas tirer le fil sur le bobineau de la vie, pour arriver plus vite au moment d’après, sans penser qu’une fois tout débobiné… Là, on touche à l’angoisse profonde de l’être humain dans son rapport avec le temps. Pourtant, nous ne pouvons pas tuer le temps : cela voudrait dire qu’il s’arrêterait. C’est impossible ! Nous ne tuons que des parcelles de temps, des moments. D’où cette course sans fin pour s’enivrer, l’oublier, car nous avons tous conscience que chaque minute qui passe nous rattache à notre destin de mortel. Tous les moyens sont bons pour occuper ces tranches de vie avec de multiples activités : on est capable de courir pour courir, de suer pour suer, lire, rêver, « ipader » à longueur de temps, le tout étant d’échapper à la vacuité de l’inoccupation, autrement dit l’ennui. C’est lui l’ennemi en fait. C’est avec lui que nous sommes pris de langueur, d’angoisse existentielle, ce que d’aucuns nommaient le « spleen ».
Avez-vous remarqué comme une période occupée pleinement passe bien plus vite que la même si on n’a rien à faire ? Einsten en a conclu à la relativité du temps. Et pour accentuer la torture, rendre l’ennemi bien visible, l’Homme a inventé la pendule. Essayé de vous passer de votre marqueur de temps : vous y reviendrez toujours. L’heure est présente partout : au poignet, dans les bistrots, au fronton des gares, sur votre portable, sur le tableau de bord de votre voiture… C’est du masochisme.
Pour mieux tuer le temps, on l’a matérialisé concrètement. Mais c’est un mirage : tirer sur la pendule n’empêche pas le temps de continuer son cheminement. Vous perdez votre temps, et le temps perdu ne se rattrape pas. On peut tout juste partir à sa recherche avec Proust… si vous aimez les madeleines.
En écrivant ces lignes je n’ai pas vu le temps passer. Je n’ai donc pas perdu mon temps !
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