LA FRANCE A LA GODILLE
11 février 2024
Des nominations qui inquiètent.
Le gouvernement est enfin au complet. L’accouchement aura été laborieux. Le pays est-il dans de bonnes mains ? : j’en doute. Je me contenterai d’évoquer le psychodrame de l’attribution du ministère de l’Education. Après le feuilleton improbable Oudéa-Castera le voilà confié à une gaucho sur le retour d’âge, Nicole Belloubet, dont la sympathie pour les thèses « pédagogistes » sont bien connues. La ligne Attal risque bien de connaître un mauvais sort. Déjà que malgré ce nouveau cap, le système éducatif avait peu de chances de se relever, compte tenu de la mauvaise volonté manifestée par les syndicats professionnels, avec ce nouveau coup de barre en sens inverse, l’effondrement va continuer. Autrement dit, c’est une nomination à but thérapeutique. Macron cherche avant tout à calmer la grogne chez les enseignants.
Le procès des groupes de niveaux.
On aura eu droit, au passage, à la litanie des leaders syndicaux contre la mise en place des groupes de niveaux. Toujours le même discours depuis 50 ans. Ils ont beau camper sur un tas de ruines, il ne faut rien changer. Péremptoires, ils affirment que c’est une procédure pédagogique qui ne marche pas et qui ne peut qu’accroître les inégalités entre les élèves. L’égalitarisme a ses exigences, non mais ! D’abord, ils ont tort, ça marche. Ensuite, pour les inégalités, tout dépend du point de vue selon lequel on se place.
Les groupes de niveaux, je les ai expérimentés dans les années 1975-80 au Collège Jean Vilar à Angers. L’établissement bénéficiait d’un statut particulier qui permettait de mettre en place un fonctionnement atypique. Les classes étaient réparties par niveau en « groupes d’ancrage » et à certaines heures, les alignements de l’emploi du temps permettaient de modifier la répartition des élèves entre les profs d’une même discipline. Nous pouvions donc mettre en place des groupes de niveaux matière, comme en Français. L’équipe avait dans son emploi du temps, une heure de concertation par semaine, absolument indispensable pour répartir les tâches, fixer les objectifs communs et procéder au tri des élèves. Le principe : fournir à chaque élève un contenu accessible susceptible de le faire progresser. Il fallait donc définir les contenus par niveau, évaluer les compétences des élèves pour les répartir correctement, se mettre d’accord sur les objectifs à atteindre et les contrôles de connaissances en fin de séquence. Pas de groupes de niveaux sans travail d’équipe et concertation. A ces conditions, les groupes de niveaux produisent de bons résultats. Mais voilà, les bons sont toujours meilleurs et les plus modestes progressent, mais à leur rythme plus modeste. Conclusion : les écarts s’accroissaient, ce qui était insupportable à nos égalitaristes. Il a fallu abandonner sous la pression des syndicats. Il faut reconnaître que ça demandait un énorme travail de préparation à toute l’équipe. Le prétexte a donc été : il faut plus d’heures de concertation dans le temps de travail (les 18 heures de cours) ce que l’établissement était bien incapable de fournir. Attal s’est donc avancé un peu vite en lançant l’idée des groupes de niveaux. Je vois deux obstacles à leur mise en place : la mauvaise volonté des enseignants qui sont idéologiquement contre, le manque de moyens en personnels. J’ajouterai en outre qu’il faudrait leur dispenser auparavant une formation pédagogique appropriée.
Le Français menacé.
Autre problème que l’actualité met sous les projecteurs et qui a lui aussi, son importance : la primauté du Français en France. « Comment peut-on vouloir être un grand pays exportateur, si on n'est même pas capable de vendre notre propre langue, une grande langue internationale ? » s’émeut l'Association Francophonie Avenir (Afrav). « Choose France » , « French Tech », « Next 40 » : les mots anglais « choose », « french » et « next » étant parfaitement traduisibles en français, « ces marques » contreviennent à la loi linguistique de notre pays, dite loi Toubon. Les défenseurs de la langue française ont donc poursuivi le gouvernement. Si l’Afrav vient de perdre, en appel, trois procès qui l’opposaient à l'État au sujet de ces marques en anglais dont il est le créateur et le propriétaire, un comble, elle ne baisse pas les bras : l’association a décidé de faire un recours devant le Conseil d'État, et son avocat travaille à une QPC (question prioritaire de constitutionnalité). Car, apparemment, les juges se sont contentés de chercher parmi les 9 000 termes présents dans le registre terminologique de la « Commission d'enrichissement de la langue française », souligne Régis Ravat, président de l’Afrav. « Choose », « french » et « next » n'ayant pas d'équivalents en français dans ce registre, ils en ont conclu qu’ils ne contrevenaient pas à la loi Toubon. La langue de la République est le Français (article 2 de la Constitution) et l’article 14 de la loi Toubon est très clair, qui dispose que « l'emploi d'une marque de fabrique, de commerce ou de service constituée d'une expression ou d'un terme étrangers est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu'il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l'enrichissement de la langue française ». Les juges n’ont pas fait correctement leur travail. Il leur appartenait de prendre en compte la mission de la Commission qui est, comme son nom l'indique, d'enrichir la langue française en créant des mots pour nommer de nouveaux concepts, qui ne sont pas encore désignés en français. Cela a été le cas, par exemple, pour le mot « e-mail » :lorsqu'il est apparu en France, la Commission a proposé« courriel » comme équivalent.
C’est pour que l’esprit de la loi Toubon soit respecté que les associations sont prêtes à aller jusqu’au bout. Organisme fédérant 120 associations francophones dans le monde, l'AFAL va dans le même sens : « Pourquoi l'État n'utilise-t-il pas des expressions françaises ?, s'offusque son président, l'ancien ministre Jacques Godfrain. Quitte à les traduire quand on s'adresse à un public étranger ! Cette décision de la cour d’Appel révèle clairement les lacunes de la loi sur l'emploi de la langue française, trente ans après son adoption. Et montre bien la nécessité de revoir cette législation. Nous allons d'ailleurs rendre prochainement un rapport sur le sujet aux pouvoirs publics, pour les inciter à une réforme d'ensemble rapide. »
On a fait une loi pour protéger la langue française, ce serait bien que l'Etat donne l'exemple en la respectant scrupuleusement. Il est temps que Macron arrête de se complaire dans le "globish" pour illustrer son concept avorté de "Start-up Nation". Sa navigation à la godille et l'anglomanie ne font pas illusion. En matière de modernité, l'habit ne fait pas le moine.
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