POUR LR, C’EST UN AVC
11 avril 2022
L’infarctus que je redoutais a bien eu lieu : avec plus de 26% d’abstentions, les partis populistes de droite et de gauche totalisent 55% des voix. Le paysage traditionnel qui structurait notre vie politique depuis plus de 50 ans est balayé.
Pour Les Républicains, la réalité est là : avec moins de 5% c’est une déroute électorale, un véritable AVC. Valérie Pécresse n’a pas réussi à rendre crédible un programme pourtant complet et financé. Il faut donc croire qu’il était inadapté à la situation. Le suffrage universel a rendu son verdict. Mais ce n’est qu’un aspect de la défaite.
Les causes d’une telle catastrophe sont forcément multiples.
Depuis la primaire, qui s’était bien déroulée, le famille politique LR est à la peine, dans un pays où quatre électeurs sur dix se situent pourtant à droite et au centre, ce qui est un paradoxe. La campagne s’est transformée en un chemin de croix, dont les trahisons d’Eric Woerth et de Guillaume Peltier, l’un parti chez Macron, l’autre chez Zemmour, ont été les épines emblématiques, le non soutien de Nicolas Sarkozy vécu comme un abandon, les disruptions macroniennes sur le projet, semeuses de confusion… La candidate LR s’est retrouvée sous le feu croisé et nourri des camps de Macron et de Zemmour sur les plateaux et les réseaux sociaux, et accablée par le travail de sape de certaines revues comme Gala, ou par des commentateurs patentés, comme Yves Tréhard, reprenant au mot près les éléments de langage fournis par l’Elysée. Difficile d’exister quand on perd l’audimat et que le moindre propos est disséqué, interprété, déformé par les pseudos experts plus ou moins partisans qui hantent à longueur de journées les chaines en continu. On ne fait pas mieux pour dévaloriser ceux qui acceptent encore de faire de la politique.
La guerre en Ukraine a fait le reste, amenuisant la campagne électorale et captant l’essentiel de l’attention. La preuve en est, même les écologistes emmenés par Yanick Jadot, n’ont jamais réussi à décoller, alors qu’ils avaient réalisé 13% aux régionales et que les rapports du GIEC tombaient à point nommé pour apporter de l’eau à leur moulin. Malgré tout, Valérie Pécresse a fait une campagne tenace jusqu’au bout, forçant l’admiration et ses concurrents de la primaire lui ont apporté un soutien exemplaire jusqu’au bout, là où d’autres n’auraient pas attendu pour cracher dans la soupe. Rendons-en leur grâce, car c’est quand même un bel exemple de serment tenu ! Ils ont fait honneur à leur parti.
La droite n’est pas encore morte.
Il est trop tôt pour signer une autorisation d’inhumer. Les Républicains peuvent encore s’appuyer sur un important réseau d’élus locaux et régionaux et de parlementaires. Le choix de maintenir une ligne indépendante pour les législatives n’est pas plus risqué que de se fondre dans un parti unique ou une majorité macroniste. Il restera à trouver de bonnes raisons pour convaincre les électeurs de la droite de revenir au bercail : ce sont 450 batailles qui vont être livrées dans les territoires avec une centaine de sortants qui ont travaillé leurs circonscriptions. Ne pas mettre ses œufs dans le même panier peut intéresser les électeurs, mais ce ne sera pas une promenade de santé au milieu des candidats qui vont se disputer les mandats : les France insoumise portés par la 3ème place de Mélenchon, les candidats Lrem qui voudront donner une majorité au Président s’il est réélu, les « Reconquête » de Zemmour qui tenteront de donner à leur mouvement une chance de survivre, les Philippards d’Horizons qui chercheront à faire exister leur parti… La concurrence va être rude et bien malin qui peut dire ce qui sortira de ce chaudron en ébullition. Le 24 avril sera une étape décisive qui donnera la coloration des consultations du mois de Juin. Car le RN cherchera lui aussi à tirer son épingle du jeu.
Pour préserver son unité, Christian Jacob a réussi à faire adopter une ligne commune privilégiant l’abstention, avec cette mise en garde : aucune voix ne doit se porter sur Marine Le Pen, sans que le parti appelle explicitement à voter pour Emmanuel Macron. C’est donc à chacun de se déterminer dans son for intérieur. Mais cette volonté d’indépendance est-elle le meilleur moyen de survivre ? Ne convient-il pas de s’interroger sur la cause profonde de cet échec, qui ne tient pas qu’à la candidate. Certes elle a raté un rendez-vous primordial au Zénith, qu’une retransmission son défectueuse a transformé en calvaire pour les milliers de téléspectateurs qui étaient au rendez-vous et qui en ont conclu définitivement qu’elle n’était pas à la hauteur. Certains avaient déjà noté qu’après l’emballement du lendemain de sa désignation, comme pour François Fillon, la découverte du projet a commencé à faire chuter les sondages.
Le projet est en cause.
Les français ne veulent plus entendre la vérité sur l’état du pays ou ne la comprennent plus. Qui tomberait amoureux d’une telle potion amère : reculer la retraite à 65 ans quand d’autres proposent le retour à 60 ans, supprimer 200 000 fonctionnaires, promettre une hausse des salaires de 10% sur le quinquennat, une aumône quand les démagogues dénoncent les super profits des actionnaires, proposer aux jeunes une banque spécifique pour les aider à démarrer dans la vie quand d’autres font miroiter un revenu sans travailler, abolir les droits de succession qui ne s’adresse qu’à une frange de nantis, nombreuse mais certainement pas majoritaire. Et que dire de l’autonomie des écoles ou d’une nouvelle étape de décentralisation, notions qui ne correspondent à rien dans la tête du plus grand nombre, abreuvé de prestations par l’Etat providence… Les Républicains ont bien travaillé, mais avec un logiciel hors de notre époque.
Comme l’explique fort bien Erwan Le Noan dans l’Opinion, depuis la fin du siècle passé, trois grands chocs ont renouvelé les dynamiques économiques. Les deux premiers sont au cœur de la dynamique capitaliste de circulation de l’information et ont accéléré les échanges : la mondialisation, permise par la chute de la dictature communiste, et la numérisation, portée par le développement extraordinaire d’Internet. Le troisième est un défi d’autant plus grand qu’il implique des frictions avec l’essence des sociétés démocratiques, donc de marché, que sont la croissance et le mouvement : l’émergence de la priorité environnementale. Ces trois chocs portent en eux des transformations des modèles économiques qui ont bouleversé les organisations sociales. Le projet des Républicains ne les a pas suffisamment pris en compte. Au long de l’histoire industrielle moderne, des structures d’accompagnement ont émergé pour fluidifier ces changements, transcrivant les mutations économiques dans le champ politique : l’Etat Providence a ainsi déployé ses « filets de sécurité ». Depuis les années quatre-vingt-dix, toutefois, il est à la peine et laisse seuls ceux qui sont les plus affectés par les révolutions économiques. Cet effondrement a pour double effet néfaste de fragiliser le lien social, l’angoisse du déclassement se diffusant, et d’alimenter la guerre de tous contre tous, chacun luttant pour récupérer des miettes de redistribution faute de se voir proposer de nouvelles opportunités. Ainsi se déploient le populisme et l’individualisme. Le « quoi qu’il en coûte » a pansé partiellement les maux de notre société, mais il n’a pas apporté de vrai remède aux classes moyennes hantées par la peur de l’aspiration vers le bas et la précarité. Le chemin pour retrouver une société apaisée risque d’être long.
Les défis demeurent.
Comment faire pour que notre identité soit préservée, la notion de famille a-t-elle encore un sens, le travail peut-il encore permettre l’accomplissement d’une vie, l’école peut-elle redevenir le vecteur privilégié de l’ascenseur social, la priorité écologique est-elle compatible avec la société libérale de croissance … ? Du pain sur la planche pour les législatives.
En attendant, il faut faire face au second tour de la présidentielle. Si Emmanuel Macron veut que les LR encore disponibles votent pour lui, il faudrait au moins qu'il fasse quelques gestes en leur direction. Ils ne viendront pas tout seuls.
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