LES DOSSIERS DE L'ETE
09 août 2020
I / LA CRISE DE LA DEMOCRATIE FRANCAISE …
On est en droit de s’étonner que si peu d’intérêt ait été accordé par les médias et les politiques au fait majeur des élections municipales : le record des abstentions à une consultation qui traditionnellement recueillait l’intérêt de nos concitoyens. 58,4%, c’est 20 points de plus qu’en 2014 qui était déjà considéré comme un record en abstentions. Mettre ce résultat sur le dos de la crise sanitaire, même si le phénomène a pu jouer, c’est vouloir se rassurer à bon compte. Il faut surtout y voir une grave dégradation de notre lien civique, malheureusement, que les conditions matérielles du scrutin ne suffisent pas à expliquer. De fait, de nombreux facteurs y concourent. Quatre crises !
Le dépérissement du civisme fiscal.
Aujourd’hui, dans notre pays, 57% des ménages ne paient plus d’impôts sur le revenu ni de taxe d’habitation. La suppression de cette dernière qui était dédiée au financement des services publics communaux tels que écoles, équipements sportifs, culture, s’inscrit dans une longue série de décisions antérieures et qui remontent au quinquennat précédent, au nom du sacro-saint principe d’égalité très discutable. On comprend bien que le lien civique sans la relation fiscale qui incite le citoyen à s’intéresser à l’usage de l’argent public et à demander des comptes aux élus, n’a plus guère de contenu. Il reste bien la CSG et la TVA que tout le monde paie, mais ce sont des contributions qu’on identifie moins clairement. Plus d’un foyer sur deux n’a pas vraiment d’intérêt à aller voter. Et il est facile de mettre en corrélation le taux d’abstention avec le taux d’exemption fiscale… même si ça n’est pas si simple.
Le dépérissement de la démocratie représentative.
Convenons que le discours dominant porte une critique disproportionnée des procédures électorales. Or, il n’y a pas de système supérieur à la démocratie représentative au suffrage universel par désignation dans le secret d’un isoloir, qui constitue le seul moyen d’associer tout le monde à la décision, qu’on soit pour ou contre. Toutes les autres procédures qu’on nous présente comme supérieures : tirage au sort, démocratie participative, délibérative, ric ou rip, ont en commun de pousser dehors le plus grand nombre en réintroduisant le clivage entre les « entreprenants », experts autoproclamés, qui participeront, et la masse des simples électeurs qui ne se sentiront pas ou peu concernés. L’étude de ces pratiques montre que les citoyens se déplacent peu et ceux qui le font correspondent à des profils sociologiques particuliers. Les taux de participation en font foi. D’ailleurs, les villes qui pratiquent la démocratie participative n’ont pas eu des taux de participation plus mirifiques que les autres aux municipales. Le sujet c’est bien celui de la représentation : y a-t-il aux manettes des gens qui nous ressemblent ? Ce n’est pas un hasard si le taux d’abstention a été particulièrement élevé chez les ouvriers (70%) et les employés (65%), aux élections municipales. Et de fait, la transmission des valeurs démocratiques aux nouvelles générations est menacée.
Le miroir déformé de la représentation médiatique.
C’est probablement l’une des causes majeures du dépérissement du lien civique : la représentation médiatique en parfait décalage avec le réel. Les sujets débattus dans les médias ignorent ou minorent des réalités qui déplaisent ou qui ne sont pas appréciées à leur juste intérêt. Par contre le monde médiatique, peut-être parce qu’il est trop parisien (euphémisme), se montre trop souvent déterminé à promouvoir des irréalités dans lesquelles il nous demande de nous reconnaître. Par exemple, à l’occasion des élections municipales, la « vague verte » était annoncée dès janvier 2020 et le soir du second tour, c’est encore la « vague verte » qui fait la une de tous les médias. Or, il n’y a pas eu de « vague verte » ! C’est l’abstention historique qui aurait dû faire la une ! Et pourquoi les Français seraient-ils aller voter, puisque lorsqu’ils ne le font pas, leur absence est à peine remarquée. A cela s’ajoute, un succès éclatant de l’opposition, droite en tête, en dépit de la participation électorale. Sujet oublié, lui aussi. C’est donc un supplice pour le public qui n’a plus d’autre solution que de se tourner vers les réseaux sociaux pour chercher une représentation du monde qui ait du sens. Et que penser des polémiques violentes qui ont saturé l’espace public à propos du « racisme français », des « violences policières », du « déboulonnage des statues », instituant la « racialisation » du confit social alors que notre pays combine une puissante culture républicaine à un Etat providence parmi les plus généreux. On croit marcher sur la tête. La réalité tangible dans laquelle chacun peut se reconnaître est escamotée au profit d’un monde irréel qui n’est pas le nôtre, jusque dans les séries où l'on nous impose des représentations sociales marginales comme étant la règle alors qu'elles sont largement minoritaires. Au point que les Français ne reconnaissent plus leur propre pays dans le miroir médiatique qu’on leur tend !
L’évanescence du monde politique et les ravages du « en même temps ».
Si à ce phénomène médiatique on ajoute le sentiment le plus partagé selon lequel les « politiques sont impuissants » ou sont « tous pourris », on ne s’étonnera pas de l’érosion de la participation électorale. Les conditions sont réunies pour que cette défiance en la politique s’aggrave toujours davantage. Pendant les trois mois de la crise intense du covid 19, les plus hautes autorités ont martelé, avec des procédés qui relèvent de la propagande, que le « masque » était strictement inutile. Aujourd’hui, ces mêmes autorités le rendent absolument obligatoire… Ce « tête-à-queue » politique, nos responsables ont préféré le mettre sur le dos des experts scientifiques. Ils n’ont pas eu le courage d’assumer leurs responsabilités, voire de s’excuser. En apparence, la nation semble encaisser passivement, mais les Français n’ont pas été dupes. On retiendra des récents événements et du résultat des municipales que le bon vieux clivage gauche-droite demeure le plus pertinent quand il faut apprécier une politique. Le « en même temps » et l’exhortation à transformer et à se réinventer n’a pas résisté à la réalité. Mais ce qui compte par-dessus tout, c’est l’authenticité des convictions et pas la couleur de la « carte ». De ce point de vue, la montée des extrêmes s’explique surtout parce que les citoyens désabusés n’ont plus foi dans ceux dont les « ambitions » sont tentées par la comédie du pouvoir au détriment de leurs convictions qui paraissent alors secondaires. Les retournements de veste, les trahisons (appelons un chat, un chat), ceux qui sèment le trouble dans leur propre camp, paraissent banalisés, compris, acceptés, et même valorisés au plus haut sommet de l’Etat. Renier son camp et son parti politique pour un prestigieux maroquin, quoi de plus normal, de plus ordinaire ? Ainsi, M. Castex peut-il avoir été un loyal collaborateur de Nicolas Sarkozy et avoir été élu avec l’étiquette « Les Républicains », être nommé par un Président dont ce n’est un secret pour personne qu’il est de gauche, pour faire une politique démocrate-socialiste sous le contrôle de son directeur de cabinet Nicolas Revel, proche collaborateur de Macron, et finalement adhérer à LRem,. On comprend alors que c’est surtout un haut fonctionnaire qui poursuit son parcours, en bon technocrate tout terrain. La gauche et la droite ce n'est pas pareil : pourquoi les Régions gérées par la droite font-elles des économies et réduisent leur dette et pas les collectivités gérées par la gauche ? A force de faire croire que c'est la même chose, comment les électeurs peuvent-ils s’y retrouver. L’indifférence, quand ce n’est pas le dépit, d’un peuple blasé par les volte-face, les incohérences, les contradictions, les fausses représentations, semble dominer, mais on en mesure le prix au moment d’aller voter. On constate alors ce qu’en pense la nation dans ses profondeurs, que les sondages n’effleurent même pas.
Faut-il, comme interroge Maxime Tandonnet se demander si « l’apathie du pays dans ses profondeurs, est le fruit de l’indifférence, du déclin intellectuel, d’un authentique abrutissement de masse ; ou bien n’est-elle au contraire que le reflet de la surface des choses, entre reportages et commentaires lèche-bottes et sondages truqués, couvrant un mouvement de révolte, un grondement sourd dans les profondeurs de la France qui ne demande qu’à s’exprimer en la première occasion ? »
L’urgence est donc de résoudre cette quadruple crise démocratique.
Et ce n’est pas en nous vendant un scénario écrit à l’avance d’affrontement Macron/Le Pen que notre démocratie survivra. Quatre impératifs s’imposent : ranimer le lien civique, restaurer la souveraineté de l’élection, faire en sorte que l’espace public soit représentatif de nos réalités politiques et sociales, présenter un personnel politique fiable avec de vraies convictions.
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