LES DOSSIERS DE L'ETE
19 août 2020
3 / MEDITERRANEE : ENDIGUER ERDOGAN !
Escalade en Méditerranée.
Notre mer intérieure n’est plus la « Mare nostrum » des Romains. Lieu de rencontre des grandes civilisations, et particulièrement celles du « Livre », elle devient aujourd’hui une zone de tensions majeures, marquée par l’extension du désordre qui domine le Moyen-Orient et sa côte sud, et la montée en puissance de la démocrature (pour ne pas dire la dictature) turque. L’effondrement du Liban et le jeu trouble de l’Iran, la décomposition de la Libye qui s’enfonce dans une guerre intestine sans fin où se mêlent conflits tribaux et importation des conflits régionaux avec l’intervention de la Turquie et du Qatar du côté Tripoli, de l’Egypte, de l’Arabie saoudite, des Emirats et de la Russie du côté Haftar, n’arrangent pas la situation. Mais c’est peut-être la rivalité entre les Etats pour le contrôle des espaces maritimes, et l’appropriation des ressources qui vont avec, qui risque de déclencher des conflits.
La découverte du gisement est-méditerranéen dont les réserves de gaz sont estimées à 3 500 milliards de m3 rend la situation proprement explosive (sans jeu de mots). Sans compter que la Méditerranée voit transiter ¼ du trafic maritime mondial et constitue l’une des zones de migrations les plus intenses. On comprend avec regrets pourquoi le projet de Nicolas Sarkozy de créer « l’Union Pour la Méditerranée » était si stratégique. Il avait réussi à réunir autour de la même table tous ceux qui s’affrontent aujourd’hui, plus de 40 dirigeants, pour en faire une zone de paix et de coopération autour de quatre thématiques : la dépollution de la Méditerranée, la construction d’autoroutes maritimes et terrestres, le développement d’une protection civile méditerranéenne et l’installation d’une université euro-méditerranéenne en Slovénie. Les « printemps arabes » bouleversèrent les données, et surtout, François Hollande abandonna le projet, probablement parce qu’il n’en voyait pas l’intérêt ou ne se sentait pas à la hauteur, ou les deux. Sans la France, L’Union européenne ne pouvait que se désengager. La place est vacante pour laisser libre cours à tous les appétits !
L’inquiétante Turquie d’Erdogan.
Mais dans ce paysage aux soubresauts tumultueux, c’est l’évolution de la Turquie qui devrait nous inquiéter le plus. Entre les mains d’Erdogan, le régime ne cesse de se durcir. La liberté d’expression n’y est plus qu’un souvenir : les avocats sont soumis à un contrôle renforcé, on ne compte plus les députés de l’opposition déchus de leur mandat, de nombreux journalistes sont poursuivis pour « espionnage politique » ou pour des révélations qualifiées de « secrets d’Etat » et il ne fait pas bon critiquer le régime, il faut rajouter les procès à rallonge de personnes qualifiées « d’activistes », la destitution des maires élus du parti pro-kurde. En juin, une loi a été votée pour renforcer les pouvoirs des milices de quartier qui seront désormais armées. Les « Bekci », en chemise caramel rappelleraient à certains le temps des « chemises brunes ». Ils veillent sur les villes et les villages dès la nuit tombée. L’AKP leur a donné le pouvoir de contrôler et de fouiller, de porter une arme et d’en faire usage en cas de besoin. Une véritable armée au service du régime est en train de se mettre en place. Le pays va être pris dans un véritable étau dont Erdogan serre la vis. Fin juillet, le parlement a de nouveau frappé en élargissant l’emprise du pouvoir sur twitter et Facebook. Les réseaux sociaux sont d’une importance capitale pour de nombreuses personnes qui les utilisent pour s’informer, faute de médias libres. Désormais, la censure en ligne est possible. Sous son action politique, la Turquie ne cesse de s’islamiser et dans une nécessité qui lui a paru sans faille, il a récemment transformé la basilique Sainte-Sophie d’Istanbul en super mosquée. Et pendant ce temps-là, l’arrogant dictateur gesticule et multiplie les provocations à l’égard de l’Europe, pour faire oublier la crise économique qui sévit chez lui et exacerber le nationalisme turc. Un engrenage que l’on connaît bien.
Il faut "endiguer" Erdogan.
Après son intervention dans le conflit syrien contre les Kurdes, Erdogan se mêle de la Libye tout en maintenant le chantage aux immigrés sur l’Europe moyennent finances. Maintenant, il mulitplie les violations de l’espace grec notamment au prétexte de chercher du gaz. Car la Méditerranée orientale en regorge, et la Turquie, confinée sur ses côtes par les eaux territoriales grecques, n’entend pas être tenue à l’écart de ces richesses. C’est l’un des enjeux de ses interventions ces derniers temps dans les eaux chypriotes et grecques. Le gaz est la nouvelle pomme de discorde entre la Turquie et Chypre. Les projets gaziers chypriotes irritent particulièrement Ankara, car la Turquie ne reconnaît pas les limites maritimes validées par l’ONU. Il y a quelques jours, elle a signé un accord avec la Libye qui délimite de nouvelles zones maritimes entre les deux pays. Elles ne sont, bien sûr, pas reconnues par les autres pays, mais elles auraient pour effet de bloquer un projet de construction d’un gazoduc long de près de 2.000 km, baptisé « EastMed » qui relierait les champs gaziers d’Israël, d’Egypte et de Chypre à la Grèce, ouvrant les portes du marché européen. Bruxelles y est favorable, mais beaucoup doutent de la viabilité économique de l’opération, évaluée à 6 milliards d’euros alors que l’Europe est déjà bien approvisionnée en gaz par pipeline et en GNL bon marché. Cela n’empêche pas la Turquie de tout faire pour torpiller le projet EastMed et la situation peut réellement déraper.
Les derniers développements ont conduit l’UE à réagir : Josep Borrell, chef de la diplomatie, a convoqué les Etats-membres. Les 27 devraient exprimer leur solidarité avec La Grèce avec un ton plus dur. Une fois n’est pas coutume, mais j’approuve la décision du Président Macron de renforcer la présence militaire française en Méditerranée orientale. Deux chasseurs Rafale et deux bâtiments de la Marine se sont rendus dans les zones de tensions. Il faut montrer ses muscles pour ne pas avoir à s’en servir. Erdogan est comique quand il l’accuse de jouer au « Caïd ». Il n’y a aucune raison de ménager le « Caudillito » d’Ankara qui tente par tous les moyens d’imposer la présence turque en Méditerranée et qui multiplie les incidents avec les Grecs en envoyant drones, bateaux et soldats sur leur sol ou dans leurs eaux.
Angela Merkel a engagé des négociations. Un compromis serait possible, car les Turcs peuvent légitimement revendiquer un droit d’accès aux richesses, pour peu qu’ils soient raisonnables… Et l’Europe ne manque pas de moyens de rétorsion : elle est le plus grand partenaire commercial de la Turquie et pourrait créer un énorme problème à son économie déjà mal en point. Mais dans l’immédiat, il est urgent d’endiguer Erdogan. Et compte tenu du sort qu’il réserve à la démocratie dans son pays, le mieux serait de mettre fin officiellement aux négociations pour son entrée dans l’Union européenne qui n’ont aucune chance d’aboutir. Ce n’est pas avec une attitude belliqueuse qui pue la haine de l’Europe et les ambitions impérialistes, en piétinant la démocratie, en s’adressant aux autres avec un langage de charretier et en exacerbant le sentiment nationaliste de sa base, qu’Erdogan parviendra à ses fins. Ou alors, ça rappellerait de biens tristes souvenirs comme ceux de 1938.
Heureusement, l’Histoire, dit-on, ne se répète jamais.
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