LES DOSSIERS DE L'ETE
22 août 2020
4 / UNE RECESSION BIEN FRANCAISE !
Tous les pays du monde connaissent un repli de leur PBI à cause de la crise sanitaire. L’Europe n’échappe pas à la règle. Mais pourquoi en France, la récession est-elle plus forte qu’ailleurs ? Le Royaume-Uni qui cumule les atermoiements de Johnson et les conséquences du Brexit fera peut-être pire que nous, mais ça n’est pas certain.
Ce constat est d'autant plus perturbant que, traditionnellement, notre économie, du fait de l'importance de son secteur public et de ses mécanismes de redistribution protecteurs, est moins exposée aux chocs internationaux que nos partenaires de l’Union. Si l’on en croit les chiffres du début de l’été, qui peuvent encore bouger, l’OCDE a annoncé que la France pourrait connaître une récession de 11,4 % (246 milliards d'euros) à 14,1 % de son PIB en 2020. C’est en France, juste devant l’Italie et l’Espagne, pourtant plus touchés par l’épidémie, que la crise économique pourrait donc être la plus forte. Car pour le moment, si les Français sont inquiets, ils n’ont pas encore vraiment subi les effets de la crise économique. Le pire est devant nous quand les amortisseurs sociaux cesseront inévitablement de tendre leur filet protecteur : chômage partiel, prêts, paiements de charges différés, etc… Cette chute, liée au confinement pendant près de huit semaines, est presque mécanique : quand on a 35 % de l’économie en pause pendant deux mois, ça ne se rattrape pas pendant les mois qui suivent. Au global, l’OCDE prévoit que l’économie mondiale va se rétracter de 6 % cette année. Ce sera encore pire dans la zone euro (entre 9 et 11 %). Le contexte est donc morose pour tout le monde.
Alors que s’est-il passé ?
- La France a été prise au dépourvu.
Les déclarations successives de nos responsables en disent long. Inutile de revenir sur les propos qui se sont enchaînés dont Sibeth N’Diaye a été le porte-drapeau risible. Non seulement personne ne croyait une pandémie possible, mais notre dispositif de santé, le meilleur du monde, était complètement inadapté pour y faire face. Quand l’épidémie est arrivée sur le continent européen, nous avons tardé à réagir et la prise de conscience a été brutale. Ce n’est qu’au pied du mur, qu’on a mesuré que la vague des malades allait submerger nos hôpitaux, en manque de lits dédiés, de respirateurs, de matériel basique de soins. Manque de masques, de blouses, de tests, … Le seul moyen pour éviter la catastrophe, a été le confinement général, décidé en toute hâte, alors que les élections municipales étaient déjà programmées.
- La France cumule deux handicaps majeurs : la centralisation excessive et une technocratie toute puissante.
Chez nous tout part d’en haut, et tout le monde doit faire pareil. Le nombre de prises de paroles du Président de la République pour commenter la situation est la partie visible de l’iceberg. L’exemple du confinement est emblématique de notre système centralisé : il s’est appliqué uniformément sur tout le territoire, Paris et Mende logés à la même enseigne. Au moment du déconfinement, nous avons eu droit aux territoires à couleurs variables, avec des procédures de circulation très codifiées, inventées par nos technocrates jamais en mal d’inspiration. Le fameux Conseil scientifique n’était en fait qu’un assemblage de médecins bureaucrates, pas toujours en phase avec la réalité. Pire, l’Etat qui ne connaît d’habitude que ses Préfets s’est pris les pieds dans le fouillis entremêlé de ses services déconcentrés entre le Ministère de la Santé, l’Agence France santé, les ARS, … au point d’enrayer les initiatives prises par les collectivités territoriales plus réactives et plus souples que l’Etat obèse. Si nous avons connu la pénurie des masques, on le doit principalement à notre technocratie. Depuis « la Bercysation » de notre système de santé, il a fallu trouver les économies à réaliser, c’est ainsi que les stocks de masques périmés n’ont pas été renouvelés… Simple calcul de technocrate. Même embolisation pour les commandes de masques. Une autre des particularités françaises est la centralisation de son économie autour de deux régions, l'Ile-de-France et l'agglomération lyonnaise : « Vous avez à peu près 40% de l'économie française » résume Jean-Marc Daniel. « Quand vous bloquez les transports dans des régions qui sont aussi concentrées, vous avez un effet qui est l'incapacité de déplacement de la main d'œuvre. » Nouvel effet démultiplicateur.
- Le secteur public n’a pas joué son rôle amortisseur.
D’habitude le secteur public n’est pas touché par la crise qui atteint majoritairement le secteur privé. Les fonctionnaires continuent de consommer et permettent au moteur de la « consommation des ménages » de continuer à tourner. Mais cette fois-ci, avec le confinement, cet effet d’amortissement n’a pu avoir lieu. Et en plus, certains services ont dysfonctionné et contribué à paralyser ce qui continuait de marcher : La Poste, les transports publics, notamment …
- Le confinement a touché nos points forts.
Soulignons d’abord que la France a été l’un des pays où le confinement a été le plus long, près de deux mois donc, et où le déconfinement est des plus progressifs. Et ce confinement sanitaire a touché tous les points clefs ou les points forts de l’économie française. Les secteurs de services ont été plus atteints que les activités industrielles, en particulier le tourisme, les loisirs et toute la filière de la «mobilité». Or, en temps normal, ce sont les points forts de l'économie française, de l'aérien à la restauration, de la construction automobile au musée du Louvre. D'où l'impact immédiat et massif sur toutes ces activités dans notre pays. Le tourisme a été sapé dans ses fondements par le confinement. Le secteur est très important en France, comme pour l’Espagne et l’Italie. Car, même si on ne retrouvera pas tout de suite les touristes étrangers qui viennent par millions chaque année en France, le tourisme interne à lui seul représente les deux tiers des recettes touristiques. Sans réouverture totale du secteur on ne retrouvera pas les niveaux d’avant crise. L’industrie aéronautique se retrouve clouée au sol. Et plus globalement les secteurs exportateurs de la France que sont la chimie, l’agroalimentaire et le luxe. C’est vrai qu’en temps normal notre balance commerciale est déjà déficitaire. Mais le facteur aggravant c’est que ce sont les secteurs où la France est bien positionnée qui ont été touché. Arrivent ensuite l’automobile, la France n’est pas l’Allemagne mais a quand même un secteur important. La construction, qui compte pour 6 % dans le PIB français, a, elle aussi, été globalement à l’arrêt pendant deux mois. Il s'agit là de données objectives auxquelles on ne pouvait se soustraire. C’est pourquoi le gouvernement a déjà présenté un plan pour l’automobile, pour le tourisme et l’aéronautique.
- Une économie qui tourne à l’envers.
En France, nos hauts responsables sont persuadés que c’est l’Etat qui crée la richesse et que donc il suffit de distribuer du pouvoir d’achat. La consommation des ménages est considérée comme le principal moteur de la croissance tricolore. Pour la financer, l’Etat a recours à l’impôt qui donne lieu de ce fait à une « redistribution » qui brime les plus aisés. Comme l’impôt a atteint des seuils de saturation fiscale, il a eu recours à l’emprunt faisant grossir régulièrement la dette, qui dépassait au début de l’année 100% du PIB. En conséquence, la capacité des investissements par le privé est amoindrie et insuffisante pour financer la recherche et l’innovation, et le poids des charges rendent nos entreprises peu compétitives. Nous perdons régulièrement des parts de marché à l’export et notre balance commerciale est gravement déficitaire. A l’inverse, des pays comme l’Allemagne sont plus tournés vers l’export et veillent à garder leurs entreprises compétitives. Tant qu’on ne comprendra pas que « le pouvoir d’achat » est la résultante de la capacité des entreprises à créer de la richesse, on continuera de creuser nos déficits. Nous avons abordé la crise sanitaire dans les pires conditions : dès le début de l’année, la croissance était en berne contrairement aux affirmations de Bruno Le Maire. C’est pourquoi, avec la fermeture de nombreux commerces, la capacité même à consommer a été largement amputée. Le résultat ne s’est pas fait attendre : dès mars, avec seulement deux semaines de confinement, on est revenu au niveau de consommation de l’an 2000. Une chute vertigineuse. Mais le taux de croissance du 1er trimestre était en recul de 5%, alors que le confinement n’est intervenu qu’à la mi-mars !
Dans son rapport, l’OCDE voit une reprise très nette, et même plus forte qu’ailleurs, en France en 2021. Mais il faudra a priori attendre fin 2022, dans l’état actuel des choses, pour retrouver le niveau économique du début de l’année 2020.
- Une relance keynésienne serait suicidaire.
J’entends par là, une relance qui tablerait essentiellement sur une reprise de la consommation. Il faudrait profiter du contexte actuel « d’argent facile » pour financer massivement la recherche-innovation, aider les entreprises à investir en baissant significativement leurs charges- toutes leurs charges. Bruno Le Maire semble en avoir conscience mais les gestes qu’ils prévoient restent à des niveaux très faibles : baisse de 10 milliards des charges de production sur 70 milliards, renouvellement pendant deux ans des baisses d’impôts sur les sociétés. Pas de quoi bouleverser la donne de la création de richesse.
Notre système de protection sociale est efficace pour amortir le choc de la crise quand elle survient. Le système de chômage partiel – coûteux mais nécessaire – a permis de conserver le capital humain des entreprises. C’est ce qui leur permettra de repartir plus vite que si elles devaient engager et former de nouvelles personnes. Aussi louables soient-ils, les dispositifs d'aide publique, en incluant les prêts des banques centrales, ont eu pour seule vertu de soutenir les revenus des personnes et les comptes financiers des entreprises. Ce sauvetage était nécessaire. Mais en tant que tels, ces dispositifs n'ont pu compenser les pertes de production et de consommation elles-mêmes, d'où ce paradoxe effarant avec, d'un côté les ménages qui ont accumulé une sur-épargne de près de 100 milliards d'euros et de l'autre un pays qui s'apprête à supprimer 800.000 emplois faute de perspective d'activité, selon les prévisions de Bruno Le Maire lui-même, le ministre de l'Économie et des Finances. Or, contrairement à ce que nous raconte le discours ambiant, la reprise de la consommation ne doit pas être la seule clef de la croissance dans les mois à venir. Certes, l’épargne a doublé pendant le confinement, c’est colossal ! Les ménages ont des marges de manœuvre de consommation. Reste à savoir si les ménages auront suffisamment confiance en l’avenir pour faire chauffer la carte.
Si la France subit aujourd'hui la récession économique la plus violente d'Europe et du monde, cela tient à la fois à la façon dont elle y est entrée et à sa sortie. Après avoir mis en place le confinement le plus draconien, l'exécutif et les Français eux-mêmes, anesthésiés par leur paperasserie, peinent à s'en extraire. Or c'est là que le bât blesse dans l'Hexagone, qui reste engoncé dans ses règlements pointilleux, ses protocoles sanitaires abracadabrantesques, ses délais de réflexion et de communication extravagants entre l'Élysée, Matignon et Bercy.
Voilà ce que traduisent les chiffres de l'OCDE : une certaine exception française au pire sens du terme. Le plan de relance concocté par Bercy risque de ne pas viser les bonnes cibles et on peut craindre une coloration par trop électoraliste, ce qui serait la pire des options. L’urgence serait de recréer de la richesse « hexagonale » en réinstaurant un cycle vertueux, et pas de la transférer ailleurs, par la consommation qui augmente inévitablement nos importations et fait travailler les autres, en Asie, par exemple.
Merci pour cette analyse que je partage.
Cela pose la question de notre relation au risque et à l'échec.
Le risque se gère, se dose, s'évalue et à un moment donné s'accepte. Notre allergie au risque et à l'échec qui pourrait en découler nous affaiblit d'année en année.
Cela a pour conséquence dans une économie saine de rater des opportunités, ce qui est en soit déjà très préoccupant. Mais dans une économie malade, c'est dramatique.
Soit l'état souhaite porter le risque et il doit y mettre les moyens, soit il le délègue au privé dont c'est la spécialité, et il l'accompagne fortement à tous les niveaux.
Toute position intermédiaire va à minima nous faire rater l'opportunité qu'est cette crise pour la France de reprendre une place d'architecte dans l'économie mondiale et au pire nous enfoncer dans des crises économiques, financières, sociales et politiques aux conséquences difficiles à mesurer aujourd'hui.
Nous vivons un moment d'histoire, j'espère qu'il restera gravé comme une chance que nous avons saisi.
Rédigé par : Ivainbignonet | 23 août 2020 à 14:04
Malheureusement nous sommes trop habitués à notre Etat-nounou dont nous attendons tout .... Il va être très difficile de revenir sur nos mauvais réflexes quand 57% des ménages ne paient pas d'impôts directs.
Rédigé par : Daniel | 23 août 2020 à 18:08