LA PRESIDENTIELLE EN SOLITAIRE …
04 février 2020
Ces temps-ci les médias dissertent sur les 1000 jours de Macron à l’Elysée. C’est à qui glosera sur les mérites comparés du président et de ses concurrents potentiels ou de ses prédécesseurs. Les plateaux n’en finissent plus des bavardages de pseudos-experts avec des animateurs dûment abreuvés aux éléments de langage en provenance du château. Je ne me risquerai donc pas à énoncer un quelconque avis qui serait aussitôt taxé de parti-pris par les uns et applaudi plus que de raison par les autres. Par contre je vais exercer mon libre-arbitre en vous faisant la synthèse de quelques sentences livrées par Nicolas Baverez ou Jean-Pierre Robin (du Figaro).
L’exercice solitaire du pouvoir.
La formule est de Valéry Giscard d’Estaing en 1967 quand il stigmatisa la formule tonitruante du Général en voyage au Canada : « Vive le Québec libre ! », prononcée sans crier gare. On sait que De Gaulle avait son « domaine réservé », notamment la politique étrangère et la défense. Pour le reste, il était entouré de ministres qui n’étaient pas des inconnus… Ses successeurs ont conservé peu ou prou la même manière de gouverner. Mais Macron a poussé la « verticalité » à son paroxysme. Il aime les formules qui choquent, comme : « l’Otan est en état de mort cérébrale », qui a valu une réaction de Merkel : « jugement intempestif ! ». Difficile de faire plus : il a la main sur tout, parle sur tout, décide de tout. Il s’est entouré comme ses prédécesseurs de conseillers on ne peut plus capés : son conseiller économique est un polytechnicien passé par Harvard. Mais l’énarque ne l’écoute guère. Et pourquoi recourir à des experts quand on est soi-même capable d’avoir des idées sur tout : on l’a vu pendant le grand débat. Ce centralisme exacerbé se retrouve dans l’organisation verticale du pouvoir. L’Elysée contrôle le moindre détail. Ainsi c’est lui qui décide du recrutement du nouveau directeur de l’Opéra de Paris après un entretien de 45 mn avec l’intéressé ; le conservatoire national supérieur de musique et de danse a dû attendre 6 mois la nomination de son directeur ; la Villa Médicis à Rome attend depuis 16 mois une décision de Jupiter et est dirigée en attendant par un intérimaire. On se demande à quoi sert le Ministère de la Culture. Ainsi les ministres ne peuvent publier leurs agendas tant que le président n’a pas publié le sien. Et ils sont réduits à répéter du matin au soir sur les radios et chaines de télé les « éléments de langage » émanant du sommet. On en voit les effets comiques avec Murielle Pénicaud. On dit les équipes gouvernementales tétanisées et elles sombrent souvent dans le ridicule, comme le rétropédalage imposé au sujet de l’allongement du congé parental en cas de décès d’une enfant. Il en résulte une instabilité ministérielle record avec 16 départs pour des raisons diverses depuis mai 2017, et une absence totale d’esprit critique au sein de l’exécutif qui se paie au prix fort. C’est ainsi que de maladresses en aveuglements, personne n’a vu venir la révolte des « gilets jaunes » contre la taxe carbone. Quant au parcours de la réforme des retraites c’est un modèle du genre en matière d’atermoiements, d’allers-retours, d’hésitations et d’amateurisme… Les ministres sont muselés, il n’y a aucun conseiller de poids à l’Elysée : Emmanuel Macron est le président le plus solitaire de toute la Vème République.
La verticalité conduit au populisme.
On pourrait voir dans la verticalité du Président, une volonté de pouvoir personnel, autoritaire. De fait la Vème République confère au Président une sorte « d’irresponsabilité » dans la mesure où il n’a de comptes à rendre à aucune assemblée. D’un autre côté, avec l’euro, il peut faire fi de la sanction des marchés en laissant filer les déficits. Troisième volet de l’illusion : Macron est seul face à Le Pen, feignant de croire (et faisant tout pour), qu’il n’y a rien entre eux. Ce contexte l’a conduit évidemment à privilégier les mœurs populistes : s’adresser directement au peuple (il aime pérorer), stigmatisation des uns contre les autres (les retraités contre les jeunes, les régimes spéciaux érigés en privilégiés…) pour diviser les Français afin de (mieux) régner. Le président de la République pourrait enrager contre l’amateurisme des siens s’il ne contribuait pas lui-même à cette confusion : il s’immisce dans la bataille de Paris avec un bras d’honneur en réponse, il se laisse prendre en photo avec un T-shirt provocateur pour la police qu’il prétend défendre, il mélange la mémoire de la Shoa et la guerre d’Algérie dans une confusion mémorielle … Tous ces « couacs », maladresses et situations humiliantes contribuent à l’affaissement de son autorité. Macron copie les mots et les attitudes de Mélenchon et Le Pen, mais les emprunts aux extrêmes ne sont pas que dans le vocabulaire, ils sont aussi dans la méthode. Il s’est présenté comme un « antisystème » et n’hésite pas à surjouer l’empathie avec le peuple, surtout depuis l’épisode des gilets jaunes, décrétant par exemple, tout seul, 12 milliards de cadeaux, accordés dans une déclaration télévisée. « Nous sommes de vrais populistes, nous sommes avec le peuple tous les jours » avait-il dit (nov. 2018). Macron a inventé le « bobopopulisme », d’ailleurs l’expression est de Darmanin, un spécialiste du genre. La verticalité se traduit par le mépris des corps intermédiaires qu’il n’hésite pas à manipuler en cas de besoin, par la caporalisation du groupe parlementaire à l’Assemblée nationale au point de dégoûter une douzaine de députés qui en sont partis, et par l’excitation des ressentiments au sein de la population pour manipuler l’opinion… Mais l’exercice a ses limites : il se mesure à l’impopularité du Président.
Décidément, la solitude est mauvaise conseillère.
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