LES RAVAGES DES PEDAGOGISTES
20 février 2019
Ce que j’ai lu hier dans le journal me glace d’effroi, mais je n’en suis pas étonné. Ainsi, « la maîtrise du français est devenue un défi majeur pour nos entreprises » ! Ainsi 78% des Français admettent faire des fautes d’orthographe, de conjugaison, de grammaire et, plus grave, de syntaxe, c’est-à-dire de construction des phrases. Beaucoup de nos concitoyens ne mesurent pas les conséquences de ces carences et pourtant, 52% des DRH avouent avoir écarté une candidature à cause d’une mauvaise expression écrite et 92% pensent qu’une mauvaise expression écrite de certains salariés peut nuire à l’image de l’entreprise, mais seulement 12% des actifs pensent que leur carrière a été freinée par leur niveau en expression écrite. Et combien d’inconscients ? Triste bilan. Il a une explication.
L’enseignement avant les années 90.
J’ai passé la plus grande partie de ma carrière à enseigner notre langue selon un schéma presque immuable, excepté le rétrécissement progressif du nombre d’heures hebdomadaires qu’on devait lui consacrer : de 7H (avec une heure dédoublée) dans les années 60 dans une classe de 6ème à 4H en 2003. Un déficit de près de 50%. Pourtant dans le même temps, on nous serinait déjà le sempiternel refrain de mettre l’accent sur les « savoirs fondamentaux » ! Alors qu’on faisait le contraire. L’enseignement du français c’était par semaine: une heure de « lecture expliquée », une de « lecture dirigée » d’une œuvre au programme, une « d’orthographe », une de « grammaire-conjugaison » et deux de « rédaction ». Cela permettait d’avoir un enseignement didactique bien identifié ce qui permettait d’être structurant et méthodique. Je pense encore aujourd’hui que cela était un « confort » pour les élèves qui avaient toujours besoin de repères, surtout au collège. Il m’arrive encore de rencontrer, près de 25 ans après, des élèves qui me remercient pour les efforts que je leur demandais à l’époque dans l’apprentissage de notre conjugaison, pour laquelle j’étais intraitable. Ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres témoignages. J’ai eu la chance d’enseigner avec les beaux textes de nos grands auteurs, de faire apprendre des récitations telles que les fables de La fontaine, des poèmes de Jacques Prévert, des passages de Corneille, Racine, Molière, la tirade du nez de Cyrano, sans oublier Victor Hugo, évidemment.
La déconstruction de l’apprentissage du français.
Au milieu des années 90, les « pédagogistes » ont pris le pouvoir dans le Ministère de la rue de Grenelle. Les « docteurs » ont alors imposé un enseignement non plus par discipline mais par « séquences » que je qualifiais à l’époque de « fourre-tout » où , à partir d’un thème et de quelques textes, on faisait au gré des rencontres un peu de grammaire ou un peu d’orthographe, un peu de syntaxe. L’explication de texte devenait « analyse actancielle » : inutile d’entrer dans le détail. Il y avait le versant du « sachant » et celui de « l’apprenant ». Le langage « éducnat » connut ses heures de gloire. Il devenait ringard de faire apprendre par cœur : plus de conjugaison, plus de récitation… Sur l’emploi du temps hebdomadaire, il n’y avait plus que la mention « français ». J’ai très vite observé que ça ne marchait pas, et, n’ayant plus rien à attendre de ma carrière à quelques années de la retraite, j’ai continué à appliquer mon découpage et mes méthodes, en les « habillant » de pseudo-séquences. J'ai continué à faire de la conjugaison systématique et à faire apprendre des récitations et pire, des dictées hebdomadaires ! D’ailleurs un enseignant célèbre raconte dans un de ses livres, « Le Portique », qu’il avait fait le même constat et réagi de la même façon : il s’agit de Philippe Delherm. Plus de vingt ans après, on récolte le résultat. Si on rajoute à ces errements pédagogiques les ravages des écrans et des smartphones et l’utilisation du langage texto de plus en plus tôt par les jeunes, on ne peut pas s’étonner de l’effondrement de la connaissance de la langue française. Malheureusement le mal ne concerne pas que le français, il est général et concerne toutes les disciplines et a commis des ravages dans les connaissances notamment en histoire et en géographie.
Le retour partiel au bon sens.
Le summum de la tentative de déconstruction a été atteint sous le ministère de Najat Belkacem, qui a rajouté à l’hérésie pédagogique les errements de la déconstruction du genre. Sans parler des Trissotins qui ont voulu imposer l’écriture « inclusive », ce nouvel obscurantisme culturel diligenté par l’idéologie féministe exacerbée. L’arrivée de Jean-Michel Blanquer a remis un peu d’ordre dans la « grande maison ». D’abord en virant de la direction du ministère les pédagogistes et en mettant en place Stanislas Dehaene, neurobiologiste dont les travaux sur le fonctionnement du cerveau pour apprendre font autorité. Mais le chemin du redressement sera long. De nombreux partisans du « pédagogisme » sont restés en poste, de nombreux enseignants endoctrinés continuent d’en appliquer les théories inefficaces et combattent leur Ministre. Il suffit de voir comment la méthode globale d’apprentissage de la lecture perdure malgré la démonstration de ses méfaits. Et c’est là où le bât blesse : Stanislas Dehaene le démontre dans son ouvrage « Apprendre », les pédagogies constructivistes type Freinet, dites « de la découverte » ou « pédagogies actives », sont inefficaces car laissés à eux-mêmes les enfants éprouvent les plus grandes difficultés à découvrir les règles qui gouvernent un domaine et ils apprennent beaucoup moins bien, voire pas du tout. Le recul du classement de la France dans les évaluations internationales n’est pas une vue de l’esprit. Il sanctionne des années d’errements pédagogiques qui ne sont pas terminées. Et le Ministre actuel doit composer avec les députés du « nouveau monde » pas si nouveau que ça -on vient de le voir avec l’épisode « parent 1 et parent 2 »-, ce qui ralentit la prise des décisions nécessaires qui permettraient un redressement significatif des résultats. Au rythme où il réforme, il faudrait qu’il reste vingt ans en poste…
Car contrairement aux apparences, le tout-numérique n’a pas affaibli le rôle de l’expression écrite. La maîtrise de l’orthographe, et de la grammaire est même devenue un enjeu crucial pour les entreprises et pas seulement. Il y va donc de l’employabilité de bon nombre de personnes sur le marché du travail : envoi de centaines de mails par jour, commentaires sur les réseaux sociaux, … l’expression écrite continue de faire partie du quotidien de nombreux salariés avec le développement des nombreux outils technologiques. Comme on pouvait s’y attendre, l’enquête montre que ce sont les jeunes actifs de moins de trente ans qui sont en première ligne. Ce chiffre est, malheureusement, appelé à grossir, car la machine de la rue de Grenelle ne se réforme pas rapidement. C’est pourquoi les entreprises prennent de plus en plus l’initiative pour tenter de remédier à la situation, notamment pour combler les lacunes en orthographe, en finançant des formations que 80% des salariés se déclarent prêts à suivre.
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