LA POLKA DU CODE
24 février 2016
La loi El Khomry prévoit de s’attaquer au code du travail.
Bravo ! On trouve même dans son projet des avancées modestes qui pourraient passer pour audacieuses telles que le déverrouillage des 35 heures qu’on abolirait ainsi sans le dire, ou une plus grande facilité pour licencier, ce verrou qui empêche tant d’embauches mais qui, on ne le dit pas assez, contraint aussi beaucoup d’entreprises au « suremploi ». Mais voilà, les grandes orgues de tout ce qui existe à gauche se sont mises à jouer sous la baguette discrète mais efficace de Laurent Berger, de la CFDT, avec reprise en chœur par la CGT, FO et consorts. Allez, on prend les paris : un pas en avant, trois pas en arrière, le débat parlementaire ce sera la « polka du code ».
L’espoir aura été de courte durée.
Manolito l’a proclamé : « il ira jusqu’au bout ! »… Au bout de quoi ? La promesse d’une avancée réformatrice sur le code du travail secoue toutes les « forces de gauche » qui se mobilisent : escouades de parlementaires ébouriffés par le texte, auxquels s’ajoutent les professionnels de la pétition, les associations bidules et machin, et même, allez savoir qui les excite, les représentants d’une partie de la jeunesse menaçant de descendre dans la rue. Tout cela ne tiendrait pas si ne se joignaient pas aux récriminations les « consciences » (« consciences de gauche », mais faut-il le préciser ?). Tout ce qui compte comme protestataires dans le pays est sur le pied de guerre. Il y a gros à parier que la marche arrière est déjà enclenchée.
Elément de langage : « déséquilibré » !
Car tous se sont donné le mot : le projet du gouvernement est « dé-sé-qui-li-bré ». Et pour le « ré-é-qui-li-brer », ils s’inspireront de la doctrine prônée par Laurent Berger qui justifie ainsi son opposition à la réforme : « Ce qui nous guide, dit-il, c’est l’intérêt des salariés ». Voilà bien le malentendu : la loi El Khomri est pensée dans l’intérêt des chômeurs et a pour principal objet de lever la peur de créer des emplois. C’est une tentative intéressante de tourner le dos à notre trop fameuse « préférence française pour le chômage » qui pèse sur le pays depuis trente ans.
N’exagérons rien.
Même s’il se trouve des députés de l’opposition, principalement chez Les Républicains et au centre, pour trouver la copie digne d’examen, les débats parlementaires promettent surtout un joli bond en arrière. Et c’est Alain Juppé qui fait la meilleure analyse. Le maire de Bordeaux considère qu’il y a des choses qui vont dans la bonne direction, mais il s’attache surtout à dénoncer les défauts d’un projet qui ne mérite pas autant d’enthousiasme que celui affiché par Frédéric Lefebvre. L’ancien premier ministre a malicieusement souligné que le gouvernement, pris d’une sorte de frénésie de législation, « essayait de piquer des idées plutôt à droite qu’à gauche, signe d’une improvisation extraordinaire », d’autant plus qu’elle s’accompagne d’une absence totale de consultation avec les organisations syndicales, ce qui est un comble. Ce texte qu’il qualifie d’inspiration libérale est très insuffisant : « rien sur le compte pénibilité, rien sur les seuils sociaux, rien véritablement sur les 35 heures qui sont simplement contournées… Et ce texte ne concerne pas vraiment les PME qui sont pourtant ne première ligne pour la création d’emplois ! ». Dans ces conditions, on peut imaginer que le soutien à ce texte de l’opposition sera d’entrée de jeu, très mesuré, et évoluera certainement en fonction des amendements proposés par la majorité (enfin s’il y en a encore une).
Elan ou paralysie totale ?
On s’interroge sur la position du chef de l’Etat qui se pavane aux antipodes. Manolito a-t-il le feu vert ou force-t-il le destin en profitant de l’éloignement présidentiel … Il y a de fortes chances que l’intéressé, qui n’est pas suicidaire, sifflera la fin de la récrée à son retour. Il inventera nécessairement des contreparties. Ou alors, il est vraiment prêt à tout pour tenter d’inverser la courbe du chômage. Pari perdu d’avance si c’était le cas, car même votée en l’état, la loi El Khomry ne produirait des effets qu’à dix-huit mois ou deux ans, avec, inévitablement, en premier effet, un délestage des postes en suremploi dans les entreprises (environ 250 000 chômeurs de plus), avant qu’elles se mettent à réembaucher. C’est, comme le dit sèchement Manuel Valls, le combat de « la gauche passéiste, celle qui s’attache à un passé révolu et nostalgique » contre « la gauche du réel », la gauche réformiste de gouvernement. Cet affrontement est devenu inévitable, il peut procurer un dernier élan avant 2017 ou achever de détruire ce qu’il reste de la majorité présidentielle.
Ainsi va la polka de la réforme en France, toute avancée faisant l’objet d’un scrupuleux donnant-donnant qui invente de nouvelles contraintes à chaque tentative d’en éliminer quelques-unes. Le décalage n’a pas fini de se creuser entre la France et ses principaux concurrents. On n’est pas près de mettre les phares !
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