LIRE REND INTELLIGENT !
12 novembre 2023
Michel Desmurget est docteur en neurosciences et directeur de recherche à l'Inserm. Le livre qu'il nous propose dont l'article ci-dessous reprend les idées, est solidement documenté et donc à prendre très au sérieux. Et la situation est dramatique. Il y a urgence !
Si lire rend intelligent, le contraire est vrai aussi : ne plus lire rend bête.
Il faut lire le dernier livre de Michel Desmurget « Faites-les lire !», si vous n’êtes pas convaincu. Il n’est pas abusif d’affirmer que le déclin de notre pays dans les classements internationaux, surtout par rapport aux pays asiatiques et les quelques exceptions ailleurs dans le monde, est lié à l’effondrement de la « lecture loisir » au profit des autres divertissements au premier rang desquels on trouve les « écrans » qui nous fabriquent des « crétins numériques ».
Une place centrale pour la lecture.
Rétrospectivement, je m’enorgueillis d’avoir fabriqué des générations de vrais lecteurs et lectrices par l’attachement que j’apportais à la pratique de la lecture dans mon enseignement. C’est d’ailleurs confirmé par les anciens élèves que je rencontre. A plusieurs reprises j’ai eu la bonne surprise de m’entendre dire « vous m’avez donné le goût de la lecture ! » venant surtout d’élèves féminines je dois l’avouer. Mais qu’on en juge ! Dans une semaine de cours de français pour une classe de 6ème/5ème, la lecture occupait une place de premier rang : l’heure de lecture expliquée qui permettait de prendre un texte d’auteur et de le décortiquer pour en extraire la « substantifique moelle » ; l’heure de lecture suivie et dirigée qui constituait chaque semaine un point d’étape dans la lecture d’une œuvre au programme, généralement un roman, avec questions sur le ou les chapitres lus d’une semaine sur l’autre ; l’heure de travaux pratiques consacrée chaque quinzaine au « laboratoire de lecture » qui consistait à choisir une fiche dans une boîte où elles étaient classées par niveau avec étalonnage et possibilité de progresser ; le moment pris sur l’emploi du temps en français pour choisir un livre dans la bibliothèque de la classe que j’avais aménagée et la présentation d’un ouvrage lu par un élève, en plus de l’offre du CDI ; sans compter avec l’heure d’orthographe dont le support était toujours un texte d’auteur choisi pour son intérêt littéraire autant qu’orthographique ou grammatical… Et l’heure de rédaction, ou « composition française » qui s’appuyait souvent sur des récits étudiés en amont. Bref, la lecture occupait une place centrale. Et j’avais en face de moi, des élèves lecteurs : telle élève avait lu la plupart des pièces de Molière, telle autre m’apostropha en me demandant si j’avais lu la « Fée carabine » de Pennac … Il faut dire qu’à cette époque-là, les classes bénéficiaient de 6 h de français par semaine et parfois avec une heure dédoublée. Je doute que la génération actuelle des profs ait autant de motivation pour faire lire leurs élèves. D’ailleurs, lisent-ils eux-mêmes ? J’entends déjà la parade : je devais enseigner dans un de ces établissements privilégié à la clientèle choisie. Que nenni, j’ai passé 30 années dans un collège de zup, dans le quartier de la Roseraie à Angers.
La lecture, vecteur essentiel de développement.
Michel Desmurget l’affirme : depuis l’émergence du langage, l’humanité n’a rien inventé de mieux que la lecture pour structurer la pensée, organiser le développement du cerveau et civiliser notre rapport au monde. Le livre construit littéralement l’enfant dans la triple composante intellectuelle, émotionnelle et sociale. En affirmant l’importance essentielle de la lecture pour le développement de l’enfant et en soulignant combien ce dernier a besoin d’un étayage familial solide pour devenir lecteur, il ne s’agit nullement de stigmatiser les parents, encore moins de les critiquer. Il s’agit seulement de leur fournir les éléments de choix et ce faisant de nourrir leur liberté éducative. Et inutile de se lamenter, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Par chance, au royaume des livres, rien n’est jamais perdu : quel que soit l’âge, le sexe, les réticences potentielles ou l’embarras scolaire, l’accès aux bénéfices (et plaisirs) de la lecture reste toujours ouvert.
Lire commence très tôt.
Le goût de la lecture n’a rien d’inné. Il s’inculque et se transmet lentement. Pour les parents, il est important de lire avec son enfant, dès le plus jeune âge, mais aussi après, même à l’adolescence. La plupart des enfants croisent des livres bien avant de savoir lire. Les formes sont multiples : la lecture partagée, le jeu symbolique quand l’enfant fait semblant de lire, la manipulation d’ouvrages graphiques tels les imagiers et albums sans textes… Elles posent les bases des usages ultérieurs en inscrivant le livre et la lecture dans le champ des habitudes quotidiennes. Les enfants aiment qu’on leur lise des histoires. Même les adolescents affectionnent la pratique dans des proportions surprenantes. Aussi est-il important, pour les parents de continuer la lecture partagée bien au-delà de l’apprentissage de la lecture. Et quand ils l’abandonnent, en fait ils renoncent à superviser et encourager les activités livresques de leur progéniture, au moment où la tentation de la « récréation numérique » est la plus forte. Il est démontré que plus les membres du foyer sont exposés aux écrans récréatifs, moins le temps offert aux échanges intrafamiliaux, dont la lecture, est significatif. D’autant plus que l’expérience montre que le fait de cesser de lire des histoires aux enfants pour favoriser leur autonomie et stimuler leur pratique personnelle est une fausse bonne idée. C’est le contraire qui est vrai : loin de s’amputer l’une l’autre, les consommations solitaires et partagées ont tendance à se soutenir et s’additionner. Plus l’enfant est exposé à la lecture partagée, plus il a tendance à lire seul. Conclusion : si vous voulez que vos enfants lisent seuls, lisez-leur des histoires quel que soit leur âge, et même (surtout) lorsqu’ils approchent de l’adolescence.
Fermez les écrans, ouvrez les livres !
La concurrence de la télé s’est avérée être la cause la plus évidente du déclin de la lecture. Il a été démontré que la fréquence de la lecture diminue lorsque les enfants ont un accès accru aux outils numériques, même lorsque ces outils sont dotés de fonctions e-reading (livres numériques). Les écrans récréatifs sont un ennemi féroce et ancestral de la lecture. Ainsi, la Région des Pays de la Loire qui croit bien faire en distribuant des ordinateurs à tous les lycéens pour réduire la « fracture numérique », a tout faux, car elle contribue parallèlement à faire régresser drastiquement la lecture. L’expérience montre en effet que les applications ludiques l’emportent massivement dans l’utilisation de ces ordinateurs au détriment notamment du temps passé à lire. Si nos ados offraient chaque jour à la lecture la moitié du temps qu’ils consacrent à leurs jeux vidéo et contenus audiovisuels, ils pourraient lire chaque année autour de cent vingt romans moyens ou une grosse cinquantaine de pavés tels Germinal, le Capitaine Fracasse ou Notre-Dame de Paris.
De plus en plus de livres et de moins en moins de lecteurs.
Pour celui qui voudrait lire, il n’y a pas d’excuses. Notre époque offre de véritables temples voués aux livres, en plus des librairies dites « spécialisées ». Il suffit de parcourir les magasins Cultura ou FNAC, ou d’aller sur Amazon pour les inconditionnels d’internet, pour se trouver face à l’embarras du choix. Et il m’arrive encore d’y trouver un ouvrage que je n’avais pas prévu d’acheter. Abondance et profusion, donc, mais pour qui ? Si l’on en croit les statistiques sérieusement établies, le nombre des lecteurs diminue. L’affaissement brutal de cette activité au sein des nouvelles générations constitue un véritable désastre pour la fertilité collective de notre société et ce d’autant plus que la disparition de la lecture s’effectue au profit d’une culture numérique récréative dont le caractère abêtissant est aujourd’hui irrévocablement démontré par un vaste ensemble d’études scientifiques. Les influences négatives sont avérées sur le langage, la concentration, l’impulsivité, l’obésité, le sommeil, l’anxiété et la réussite scolaire. Après on s’étonne de la violence …
Allez, vite un livre !
Commentaires