AU THEATRE CE SOIR
16 décembre 2021
La pièce était un peu longue, plus de deux heures, et parfois un peu ennuyeuse par ses longueurs. Mais le décor, le jardin d’hiver de l’Elysée new look revu et corrigé par l’architecte Isabelle Benabou sous la férule de « Bribri », s’il n’était pas de Roger Hart, offrait ses 1000 m2 qui ont désormais l’élégance et le glamour d’un hall d’hôtel 5*, avec en plus la jolie lumière d’une production TF1. Le tout aux frais du contribuable, transformé en sponsor bien malgré lui.
Le sujet : Macron chez le psy.
Ou comment faire oublier les épisodes du quinquennat qui sont autant de boulets dont il voudrait se débarrasser pour sa campagne. Il fallait bien une séance d’introspection pour exorciser l’affaire Ben Alla, la photo indigne de la Guadeloupe, les Champs-Elysées en feu des Gilets jaunes (pas les vrais, les gauchistes), et les nombreuses petites phrases exprimant un mépris des Français, ces gaulois réfractaires, ces gens de riens … Comme chez le psy, les mots avaient parfois du mal à sortir face aux deux « accoucheurs » ; pour faire plus sincère, le Président, qui se décrit comme un « affectif, mais qui le cache », nous révèle qu’il a appris à « mieux aimer » les Français, et on est ravi de l’apprendre parce qu’eux ils ne s’en étaient pas aperçu. Par contre il nous inquiète lorsqu’il ajoute qu’aujourd’hui, il « aime encore plus follement la France » qu’en 2017. Et on n’arrive pas à le croire quand il se dit « connecté à l’Histoire de France », dont il a sans cesse présenté une vision déformée et inquiétante, comme le « crime contre l’humanité » perpétré en Algérie, vision proche de la « cancel culture ».
Du mauvais théâtre.
On est au théâtre, sauf que ce soir, tout est faux, on n’est pas en direct. On nous diffuse, sur deux chaînes simultanément, le film institutionnel, joliment monté à partir de trois heures d’enregistrement, ce qui permet toutes les corrections et toutes les coupes ou améliorations des séquences qui auraient pu faire « taches ». Une véritable « mise en scène » qui permet tous les artifices. Tout est faux et jeu de scène. La production avait dépêché les élégantissimes Audrey Crespo-Mara et Darius Rochebin pour jouer les rôles des journalistes. Pour la circonstance, ils ont l’œil humide de l’extrême connivence. C’est le scénario choisi : ils sont là pour faire passer les plats en douceur afin de complaire à l’hôte. Et ça commence bien : d’entrée on demande à l’intéressé s’il veut bien qu’on lui pose toutes les questions, même les dérangeantes… Les amateurs d’interview punchy à l’anglo-saxonne en auront été pour leurs frais. Nous sommes aux antipodes du regard haineux que Léa Salamé adressait à un autre candidat il n’y a guère : Audrey a le sourire conquis et énamouré et Darius se confond en componction. La pièce se transforme en exercice marketing d’autosatisfaction narcissique d’un candidat tout seul avec lui-même. Evidemment on évite soigneusement les sujets qui fâchent comme les déficits excessifs et l’explosion de la dette. Macron aura été le président le plus dépensier et les dépenses de son quinquennat battent même celles de celui de Hollande.
Tranches de vie et mea culpa…
L’épisode sur « l’équipe formidable qui l’entoure », assorti d’un hommage hypocrite à Agnès Buzyn nous fait franchement rire tant il est vrai que tout un chacun connait les noms de tous ses ministres par cœur, tellement ils sont connus et efficaces. En fait, l’émission sert à poser des contre-feux qu’il est aujourd’hui nécessaire d’activer et qui ont été clairement identifiés par les équipes de com, présentés tels des albums de Martine : « Macron a appris à aimer les Français », « Macron connait l’Histoire de France », « Macron a une équipe formidable », « Macron a transformé la France »… Ce n’est plus du théâtre, on donne dans le documentaire, c’est « Echappées belles en Macronie ». Des longueurs, de l’autojustification, des mea culpa plus ou moins appuyés qui relèvent de l’humilité théâtrale, avec l’utilisation répétée de l’expression « J’ai appris », des questions téléphonées, une attention particulière à citer les vrais gens croisés sur le parcours - les infirmières « désespérées » de Mulhouse, « le conducteur de poids lourd », « l’auxiliaire de vie » -, transparaît alors le jeu bien rodé du futur candidat qui ne le dit pas encore, et la déclaration d’amour bien sûr, à la France et aux Français. On comprend alors que la France a perdu beaucoup de temps avec un Président qui ne savait pas et qui a dû apprendre.
De toute évidence dans cet exercice qui apparait comme la dernière marche avant une entrée en campagne, Emmanuel Macron voulait effacer les mauvais épisodes et défendre son action. Malgré les crises et les difficultés, il a réformé, a-t-il martelé, la « Révolution » promise en 2017 s’est bien enclenchée. Mais va-t-elle dans le bon sens ? Et puisqu’un tel mouvement nécessite du temps, -« On ne transforme pas un pays en cinq ans »-, ben voyons, il faudra la poursuivre, en citant notamment l’hôpital et la « révolution démocratique » -n’ayons pas peur des mots ! Sur ce point on peut craindre le pire avec Bayrou dans les parages…
L’hypocrisie comme art de faire.
La défense et illustration du bilan ne se fait pas sans attaquer celle qui est devenue la principale adversaire, dont il se serait bien passé. Valérie Pécresse le bouscule sur son bilan, conteste l’ampleur des réformes, déplore la dérive des finances publiques, le force à rendre des comptes. A l’adresse des électeurs venus de la droite qu’elle semble séduire, il développe un discours sur la bureaucratie que tient aussi sa rivale. Mais celui qui a mis l’hypertechnocratie au pouvoir n’est pas crédible. Dans la crise sanitaire, « la machine a montré qu’elle était trop lourde. La norme et la complexité ont trop de place. On doit réussir à simplifier », dit-il, mais pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Ah, j’oubliais, simplifier, oui, mais dans l’humanité, on l’aura compris. Derrière les 150 000 suppressions de postes que Valérie Pécresse propose, « il y a des hommes et des femmes », dit-il. Sauf qu’il n’est pas question de les mettre à la porte mais simplement de ne pas les remplacer à leur départ en retraite. C’est tellement plus facile de caricaturer l’adversaire en la faisant passer pour ce qu’elle n’est pas. Même la réduction qu’il avait promise de 20 000 postes dans la fonction publique, Macron n’a pas été capable de la tenir.
Inéquité !
Un peu plus de 3 millions d’auditeurs, moins que Koh Lantha, ça en dit long sur la « fatigue » des Français. Et on ne sait pas combien ont suivi l’émission jusqu’au bout. Une chose est certaine : cet énorme clip de propagande diffusé à nos frais avec grand cynisme par un « non candidat » qui le sera « d’évidence », est un procédé totalement inéquitable par rapport aux autres candidats. Rappelons-nous la pression du CSA sur Eric Zemmour qui a été obligé de quitter CNEWS, alors qu’il n’était même pas candidat.
Au fait, vous avez compris où va la France ?
Une fois de plus, on a pu avoir le sentiment d’être pris pour des cons !
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