LA PROPORTIONNELLE DE TOUS LES DANGERS.
14 février 2021
Le vieux serpent de mer des décadents refait surface : le temps presse. La loi oblige à voter la réforme du mode de scrutin avant juin 2021, après ça ne sera plus possible, à moins d’un an des élections législatives de 2022. Si les études d’opinion montrent qu’une majorité des Français y est favorable, peut-être à cause de ce que Macron a fait de l’Assemblée nationale avec sa majorité introuvable, ça n’est pas une raison suffisante pour rendre ce mode de représentation utile au bon fonctionnement de notre démocratie. D’autant plus que la situation actuelle dans le pays est suffisamment compliquée pour ne pas y rajouter encore la déstabilisation inévitable de la gouvernance politique qu’elle provoquerait s’il était institué. Encore faut-il savoir de quelle proportionnelle il s’agirait.
Le mauvais souvenir de la IVème République.
Il n’y a guère que les vieux qui peuvent encore témoigner des désagréments du scrutin proportionnel intégral , des tripatouillages de ce qu’on appelait les « apparentements », et de l’instabilité gouvernementale qui faisait que les groupes charnières de quelques députés exerçaient un chantage à la majorité inversement proportionnel à leur influence réelle dans le pays. Tout le monde se souvient d’un gouvernement Félix Gaillard investi un matin et mit en minorité le soir même. Cela n’a pas empêché la République de survivre de 1946 à 1958, mais c’est de là qu’est venue la tradition de la haute fonction publique : les gouvernements passent, les fonctionnaires restent… Notre technocratie déjà omnipotente n’a guère besoin du renfort supplémentaire d’un parlement affaibli qui sortirait immanquablement d’un scrutin à la proportionnelle dans une France divisée comme jamais, même avec le scrutin majoritaire actuel. Le fait est que, à ce jour, jamais l’Assemblée nationale n’a connu autant de groupes parlementaires, et jamais autant de transfuges d’un groupe à l’autre en cours de mandat.
La dose de proportionnelle.
L’idée est déjà ancienne. Sarkozy l’avait envisagée, Hollande l’avait promise, Macron l’avait inscrite à son programme. Les conseils municipaux des villes moyennes et grandes, les conseils régionaux sont élus selon un mode de scrutin panaché, majoritaire avec une part de proportionnelle qui permet aux oppositions d’être mieux représentées. Le Sénat lui-même est soumis aux deux modes d’élection selon les départements. Alors pourquoi pas l’Assemblée nationale ? Mitterrand s’y était risqué, au prix d’une augmentation du nombre des députés passés de 465 à 577. La droite, dès son retour au pouvoir rétablit le scrutin majoritaire en redécoupant les circonscriptions pour garder le même nombre de députés afin de ne pas renvoyer chez eux nombre de ses propres élus. L’avènement du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral avec les législatives dans la foulée de l’élection présidentielle ont faussé le résultat de ce mode de scrutin qui provoque inévitablement le renforcement du fait majoritaire dont l’élection de 2017 a été la caricature. Cette anomalie plaide pour un rééquilibrage. Par contre, la transformation du paysage électoral avec une extrême-droite autour de 30% exige la plus grande prudence. Notre démocratie n’a rien à gagner à se retrouver avec une Assemblée nationale où le Rassemblement national serait le groupe le plus important. D’où la prudence de Macron qui envisageait l’introduction d’une dose de 25% de proportionnelle, avec une réduction du nombre des élus. Pour y parvenir, le temps manque désormais.
Le projet dans les tiroirs.
Convenons-en : le scrutin proportionnel intégral donne la représentation la plus juste. Son inconvénient majeur, c’est la fragmentation politique spécifique à la France et l’impossibilité de majorités stables pour soutenir le gouvernement. Le second défaut, c’est le scrutin de listes concocté par les états-majors politiques qui font des députés « hors sol ». C’est pourquoi, le Général De Gaulle avait préféré instaurer le scrutin uninominal majoritaire à deux tours qui avait l’avantage d’inscrire l’élection dans les territoires avec des députés de circonscriptions. Au premier tour on choisit, au second on élimine. Un système mixte pourrait donc faire l’affaire, pour peu qu’on calibre correctement la part de proportionnelle afin de ne pas empêcher l’émergence de majorités stables. Mais là est la difficulté. Car désormais le temps est compté pour élaborer un projet de loi viable et respecter toutes les procédures de concertation.
Dans le premier projet de loi présenté en 2018, l’exécutif prévoyait d’élire 15% des députés sur une liste nationale pour une assemblée dont l’effectif global aurait été réduit de 30%. L’affaire Benalla avait obligé à suspendre les travaux. L’année suivante, Il avait relevé le seuil à 20% pour un nombre total d’élus réduit de 25%, mais le processus parlementaire avait été une nouvelle fois interrompu par le « grand débat ». Le problème, c’est qu’avec une dose nationale de proportionnelle et le maintien de circonscriptions territoriales partout, ces projets envisagés nécessitaient un redécoupage de toutes les circonscriptions, travail colossal qui n’a pas été fait et impossible à réaliser d’ici juin. Reste la possibilité de calquer le système sénatorial : la proportionnelle dans les départements peuplés, le scrutin majoritaire dans les autres. Avec le seuil équivalent à celui du Sénat, un département sur deux voterait à la proportionnelle, ce qui conduirait à désigner trois députés sur quatre élus selon ce mode de scrutin, l’inverse de la proportion souhaitée. Le « seuil Bayrou » de 25% correspondrait aux neuf départements élisant douze députés et plus. Mais aux dernières nouvelles, Bayrou, conscient que le temps est compté, préconise une loi électorale simple, proportionnelle, départementale, avec un seuil de 5% pour l’éligibilité (on n’a pas fini de voir les listes « Théodule » apparaître). Emiettement garanti au palais Bourbon. Avec un referendum à la clé pour que les Français donnent leur avis. Retour à la IVème République dont le parti centriste a toujours été nostalgique. Mais où caser un tel referendum dans le calendrier électoral déjà bien chargé. Il y a déjà celui sur le climat à organiser.
L’opportunité politique.
Proposer une telle modification du mode de scrutin, en tant de crise sanitaire, s’avère hautement risqué, surtout après l’annonce de l’augmentation que les parlementaires se seraient votés. Difficile, mais pas impossible. Néanmoins, on peut s’interroger sur la subite pression que le Modem met sur le chef de l’Etat, alors qu’il n’a même pas utilisé sa niche parlementaire, il y a une dizaine de jours, pour inscrire la proportionnelle à l’ordre du jour, préférant la gestion du service des eaux en Guadeloupe ou l’indemnisation des catastrophes naturelles. Comme l’Elysée fait le dos rond, les centristes se rabattent sur l’agitation politicienne, en rameutant la carpe et le lapin : le RN, les Verts, la France insoumise … à leur cause. Ils ont réussi à faire sortir du bois Darmanin et Legendre. L’union des déclinistes et des démolisseurs de la Vème République. On n’aura pas de mal, le télescopage avec les inquiétudes liées au Covid aidant, à faire le procès au gouvernement de gâcher un temps précieux pour « tripatouiller » un mode de scrutin par seule peur d’une défaite en 2022, surtout si les départementales et régionales signifient une nouvelle déroute de LREM. Il n’échappe à personne que le changement de règle électorale favoriserait le mouvement de Bayrou. Mais celui-ci se trompe quand il imagine redonner à notre vie publique, par ce moyen, davantage d’ouverture et de possibilités de rassemblement. Ce sera, à n’en pas douter, davantage de dispersion et de confusion, de négociations d’arrières-cuisines, avec des accords qui se font en général sur le dos des électeurs, une fois les élections passées. Si les citoyens peuvent avoir des raisons d’être mécontents d’une assemblée où une majorité d’entre eux n’est pas représentée, leur offrir le système qui permet le plus les « tripatouillages » post-électoraux n’est peut-être pas le meilleur moyen de les réconcilier avec la démocratie représentative, qui en sortira affaiblie encore un peu plus.
Les technocrates se frottent les mains !
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