BREXIT : UNE VICTOIRE A LA PYRRHUS POUR BOJO !
08 janvier 2021
Une « victoire à la Pyrrhus » est une victoire tactique, obtenue au prix de pertes si lourdes pour le vainqueur qu'elles compromettent ses chances de victoire finale. Allusion à Pyrrhus Ier, roi d’Épire qui fut vainqueur des Romains aux batailles d’Héraclée en 280 av. J.-C. et à celle d’Ausculum en 279 av. J.-C. avec des pertes telles que son royaume ne put s’en remettre.
A la fin, c’est l’Europe qui gagne !
Ursula von der Leyen a fait un joli coup double pour les fêtes. La présidente de la Commission européenne a envoyé les Européens réveillonner avec un accord de coopération pour l’après-Brexit en poche, et les a cueillis au sortir des agapes de Noël avec une campagne de vaccination lancée le même jour sur tout le continent. De ces deux victoires pour le projet européen, il faut retenir une leçon : à la fin, c’est l’Europe qui gagne. Malgré les assauts répétés des Anglais, les Vingt-sept auront fait bloc jusqu’au bout et négocié un compromis de manière unie. Cette unité retrouvée sera utile alors que de nombreux défis l’attendent déjà. On ne peut pas en dire autant pour le Royaume-Uni qui largue les amarres, avec une crise économique comme il n’en a jamais connue, une crise sanitaire qui redouble de violence et qui a dû finalement se résoudre à un accord avec l’U.E qui ne coche pas tous les cases de ses exigences, loin s’en faut.
Le poker menteur jusqu’au bout.
Bojo aura pourtant tout tenté. Fidèle à sa stratégie du tout ou rien, il a multiplié les coups, les chantages, les revirements, négociant âprement les différents points. L’objectif : avoir le beurre et l’argent du beurre, quitter l’Europe en gardant les avantages du marché sans les inconvénients d’en respecter les règles. Le cirque aura duré dix mois pour se terminer au bout du bout, mettant à rude épreuve la patience des européens. Michel Barnier a des nefs d’acier et son talent aura permis aux 27 de former un bloc jusqu’au bout, ruinant les espoirs du britannique qui espérait diviser pour régner. Boris Johnson a multiplié les démarches latérales, appelant Merkel, ou Macron, pour à chaque fois se faire renvoyer à Ursula Von Der Leyen et Michel Barnier.
Finalement l’accord ne pouvait qu’aboutir, tant il est vrai qu’on ne se ferme pas à un marché de 400 millions d’Européens quand il est à sa porte. Chaque année, le commerce avec le continent représente en valeur 56 milliards d’euros de flux dans les deux sens, acheminé par près de 5 millions de camions … Le Royaume-Uni en avait fait déjà l’amère expérience avec la CEE, pour finalement la rejoindre, tant son industrie avait souffert d’en être exclue. Pour les observateurs avertis, l’accord est équilibré. Tout le monde avait à perdre en cas de « no-deal ». Mais le Royaume-Uni plus que l’Europe.
Les Britanniques constateront très vite, s’ils ne le savent déjà, que la souveraineté de leur pays dont ils ont fait l’argument essentiel de leur volonté de quitter l’Union européenne n’existe pas réellement, que leur économie est étroitement liée à l’UE et qu’elle le restera. Pour diverses raisons commerciales : en hiver, ils ont besoin de produits frais venus de l’étranger parce que les conditions climatiques à leur latitude ne favorisent pas la poussée de fruits et de légumes ; d’autres produits comme ceux de la pêche doivent être achetés sur le continent ; même leur industrie n’est ni souveraine ni suffisante pour leur marché intérieur. Le point d’achoppement qui aurait pu faire échouer toute la négociation est caricatural et montre bien ce jeu de poker menteur : la pêche qui représente 0,06% du Pib du RU. Les Européens ont lâché un peu de lest en renonçant à 25% de leurs quotas de pêche avec une période de transition raisonnable pour lever ce point de blocage plus populiste que réaliste.
Les points clés de l’accord.
Le Royaume-Uni n’aura plus les liens étroits qu’il entretenait avec l’UE, mais il pourra continuer à y exporter sans droits de douane, mais pas sans contrôle. Pour autant, les échanges ne pourront pas avoir la même fluidité. Le Brexit aura des conséquences très concrètes, du fait que Londres a quitté le marché unique : les marchandises issues d’un Etat tiers vont devoir se soumettre aux certifications européennes, au minimum des formulaires de douane. Et ce sera très contraignant dans le secteur agroalimentaire (tests phytosanitaires…). De même, il a fallu trouver un accord sur les règles de concurrence, notamment en matière de réglementation environnementale ou sociale et chacune des deux parties sera en mesure, en cas de divergence d’imposer des droits de douane. Même chose pour les aides d’Etat. La City est la grande absente de l’accord. L’ensemble des services financiers qui constituent l’un des atouts majeurs de l’économie britannique ne sont pas concernés. Londres perd donc ses certificats financiers. Mais des dérogations ont été négociées pour trouver des équivalences avec les places européennes. L’accès des banques et des assureurs est une question traitée en parallèle, avec de nombreux sujets à régler encore. L’objectif étant d’empêcher un dumping financier. Pour régler les litiges, si l’accord n’est pas respecté, un panel d’arbitrage indépendant sera mis en place.
Mais il est évident qu’en quittant le marché unique, Le Royaume-Uni perd de nombreux avantages pour ses entreprises comme l’espace aérien commun européen qui offre en son sein la liberté d’accès, de tarifs et d’établissement. Même chose pour les transports routiers, l’énergie et la finance. Et la participation à un certains nombres de programmes européens se fera sous réserve de la contribution financière correspondante. C’est ainsi que Boris Johnson a souhaité sortir du programme Erasmus pour les étudiants. L’accord prévoit néanmoins un cadre de coopération policière et judiciaire, indispensable pour lutter contre la criminalité et le terrorisme. Par contre rien n’est prévu sur la politique étrangère, la sécurité extérieure et la défense, ce que Michel Barnier a déploré. L’accord entre en vigueur dès le 1er janvier 2021, provisoirement en attendant qu’il soit ratifié par le Parlement européen.
Quelle suite attendre ?
Le principal défi que Boris Johnson doit maintenant relever, c’est de démontrer les avantages d’une souveraineté retrouvée. Cela fait des années qu’il tient un discours offensif, certes susceptible de plaire aux Brexiters, mais qui ne repose pas sur une impeccable logique. La notion de Brexit a introduit dans les relations européennes, fondées sur le compromis et le gagnant-gagnant, une forme de cynisme incompatible avec un traité garantissant des rapports sereins. À quoi cette souveraineté dont il nous a rebattu les oreilles sert-elle, sinon à affaiblir le Royaume-Uni économiquement, socialement et politiquement.
La vérité c’est que le divorce consiste essentiellement à nier le passé, l’histoire et la valeur des progrès accomplis en commun ; nier le renoncement définitif à la guerre ; nier la négociation au profit de la confrontation. L’accord signé a pu être accueilli en Grande-Bretagne et notamment à la Chambre des communes, par des cris de rage ou de victoire. Sur le continent il n’a soulevé aucune émotion. La réaction des 27 a été à la hauteur de l’enjeu. Ils ont riposté comme un seul homme, confiant aux négociateurs de Bruxelles le soin de préserver leurs intérêts communs, restant unis comme jamais ils ne l’ont été, démontrant tous les jours la force tranquille de l’UE. Il y a gros à parier que le Brexit soit une catastrophe pour les Britanniques tout simplement parce qu’il n’y a pas d’autre pays européen qui souhaite imiter l’exemple de Londres. D’autant plus que le risque grandit d’une implosion du Royaume, l’Ecosse ne cachant pas sa volonté de revenir rapidement dans l’Union… en tant que nation indépendante !
Il reste que l’accord est bénéfique pour l’économie française. L’hexagone a réalisé l’an dernier son premier excédent commercial bilatéral avec le Royaume-Uni, à 12 milliards d’euros. Les Britanniques restent un partenaire commercial de premier plan : près de 120 000 entreprises françaises exportent ou importent des services ou des biens de l’autre côté de la Manche. La France a exporté 34 milliards d’euros de biens en Grande-Bretagne en 2020 et en a importé un peu plus de 22 milliards. L’accord conclu aura un impact de 0,2 point de PIB pour l’économie hexagonale en 2021.
Commentaires