LA GUERRE DU PROTECTIONNISME
17 décembre 2019
Il ne suffit pas de tenir un discours qui plait politiquement, encore faut-il qu’il tienne ses promesses. Dans la guerre commerciale qu’il mène face aux Chinois et même à ses alliés européens, Trump a multiplié les mesures protectionnistes, par souci de plaire à ses électeurs : elles ne leur ont pour l’instant produit que des désagréments. La vérité, c’est que malgré l’apparente bonne tenue de l’économie américaine, Trump a perdu la bataille du protectionnisme.
Perte de pouvoir d’achat.
« L’ensemble des mesures protectionnistes décidées par Donald Trump depuis son élection ont provoqué une perte de pouvoir d’achat de 51 milliards de dollars pour les consommateurs américains », nous assure Eric Le Boucher dans les Echos, s’appuyant sur les calculs d’économistes éminents, ce qui correspond à une perte de 0,3% de PIB. En contrepartie, les barrières tarifaires n’ont produit que 7 milliards de gains pour les producteurs américains qu’elles sont censé protéger. Plus grave pour lui, ce sont les cultivateurs américains exportateurs qui ont été pénalisés par les mesures de rétorsions. Ainsi la Maison blanche a dû leur accorder un plan d’aide de 12 milliards … Bref, les consommateurs américains ont vu les prix augmenter et les producteurs n’ont rien gagné.
Perte de compétitivité.
Les géants américains ont perdu en compétitivité par l’importation de pièces détachées plus coûteuses. Dans le même temps, certaines firmes étrangères se sont implantées, suivant la nouvelle tendance de l’économie qui veut que l’on produise là où on vend pour éviter d’émettre du CO2 en transport et se mettre en concordance avec l’esprit écologique du moment. C’est bien parce que Trump est sur la défensive qu’il change constamment d’adversaire et cherche à paralyser l’OMC en bloquant le fonctionnement de l’ORD, l’instance d’appel du règlement des différends, contestant son caractère supranational. Une attitude d’autant plus incompréhensible qu’elle a rendu de nombreux arrêts favorables aux Etats-Unis. C’est aussi pour détourner l’attention qu’il fait une proposition jugée inacceptable en ce qui concerne la taxe mondiale sur le numérique qui se négocie à Riyad avec 134 pays : il s’agirait ni plus, ni moins, de rendre le nouveau régime fiscal mondial non obligatoire mais en option pour les entreprises, américaines en l’occurrence. « Inacceptable », a jugé Paris, à juste titre. En gros, pour « mes Bafa » tout est permis. Une position de Matamore.
L’arme politique factice.
La guerre commerciale est très difficile à gagner, mais elle reste une arme politique facile à manier. Le Président américain multiplie les allers-retours, imposant des droits de douane un jour, les suspendant le lendemain, change de front constamment en restant pro-actif, menaçant l’Europe quand les négociations avec la Chine s’enlisent… Mais en réalité les électeurs de Trump ne sont pas si contents. L’an passé, pour les élections du "mid term" les Républicains ont perdu 5 sièges dans les « comtés républicains » où les effets négatifs du protectionnisme frappent particulièrement les agriculteurs. 15 sièges supplémentaires ont été perdus avec la suppression de « l’Obamacare » qui a atteint nombre de « petits blancs » : la fidélité des électeurs ne dure que tant qu’ils ne sont pas touchés eux-mêmes. La politique populiste est bonne dans les discours électoraux, dans les faits elle n’obtient aucun des buts qu’elle affiche, et peut même blesser ceux qu’elle a séduits.
La trêve avec la Chine.
Pékin a toujours un temps d’avance dans le maniement du temps. Alors que Trump se débat à coup de tweets démagogiques exagérés pour se faire réélire l’an prochain, Xi Jinping a le temps d’attendre que les présidents passent, et il peut se contenter de négocier quelques broutilles. Sa stratégie de conquête des « routes de la soie » n’est même pas atteinte par la guerre commerciale. Néanmoins, les barrières douanières érigées par Trump ont eu des effets sur la croissance de l’empire du milieu. Les belligérants ont donc décidé de faire une pause. La Maison Blanche a crié victoire à son habitude. Les 160 milliards de dollars supplémentaires de produits chinois importés qui étaient menacés de droits de douane, seront épargnés, en échange d’achats de produits agricoles US, notamment de soja et de porcs ( en raison de la crise porcine chinoise) pour 40 milliards de dollars en 2020. Vu de Pékin, « l’accord de la phase 1 » conclu avec Washington est présenté comme une victoire, arrachée sans faire de concessions majeures, ce qui est réel. C’est vrai que les taxes, toujours maintenues, imposées sur 450 milliards de produits chinois ont fini par se faire sentir sur les flux commerciaux. Mais l’effet tangible des tarifs douaniers reste limité pour les entreprises chinoises qui se sont relocalisées ailleurs en Asie du Sud-Est. Le problème tient davantage dans la fragilité de l’économie chinoise et c’est ce constat lucide qui explique la volonté du régime chinois d’obtenir une trêve commerciale avec Washington. Les deux parties y avaient intérêt. Pour la suite, « la phase 2 », rien n’est assuré. Tout le monde sait bien que la rivalité géostratégique et technologique entre les deux premières puissances mondiales n’est pas prête de s’éteindre. Le match ne fait que commencer.
Une bonne santé artificielle.
Aux Etats-Unis, le marché de l’emploi est toujours dynamique : il a créé 266 000 postes en novembre contre 182 000 attendus. Le taux de chômage est tombé à 3,5%, un plus bas en 50 ans. Mais c’est peut-être l’arbre qui cache la forêt. C’est une croissance aux pieds d’argile. Elle repose sur un endettement massif des consommateurs profitant des taux bas. Les bulles financières se multiplient et rappellent de mauvais souvenirs. Les fondamentaux de l’économie américaine ne sont pas bons : l’endettement massif de l’Etat, le déficit abyssal du commerce extérieur, la difficulté de l’Etat fédéral à boucler ses fins de mois en sont les signes les plus visibles. Malgré la tentative de la Fed pour reprendre le contrôle, le laxisme budgétaire et le foisonnement des activités financières échappant à toute régulation se trouvent au cœur des dérèglements d’un capitalisme qui conjugue multiplication des rentes et des inégalités, surendettement et économie de bulles. En effet, c’est Trump qui a supprimé la règle « Volcker » qu’il trouvait trop contraignante, lui permettant ainsi d’engager une nouvelle phase de déréglementation à travers l’expansion de la finance de l’ombre et l’émergence anarchique des cryptomonnaies. Si Trump était réélu, les Américains pourraient ensuite le payer chèrement.
L’expérience nous a, en effet, enseigné que les épisodes d’argent gratuit s’achèvent toujours par des krachs dévastateurs !
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