Je donne aujourd'hui la parole à Virginie CALMELS, N°2 des Républicains.
Interview donnée à ATLANTICO.
ATLANTICO : La semaine dernière lors de votre discours au Conseil National des Républicains, une partie de votre intervention était consacrée à réfuter l’idée qui vous est souvent opposée selon laquelle Emmanuel Macron mènerait une politique de droite. Peut-être ne mène-t-il pas une politique de droite en effet si on s’en fie à ce qu’étaient les programmes des républicains pour la présidentielle et les législatives mais il fait et c’est ce que semblent lui reconnaître les Français dans les sondages.
Au regard des corporatismes, des archaïsmes et des rigidités françaises, en quoi considérez-vous que vous feriez mieux ?
VIRGINIE CALMELS : Cela dépend à quoi l’on s’attache. Est-ce qu’aujourd’hui on a le sentiment qu’Emmanuel Macron a œuvré contre ces corporatismes ? Lorsque l’on a des représentants syndicaux qui quittent l’Elysée avec le sourire c’est rarement l’exemple d’un immense bras de fer qui a été mené. J’aurais tendance à dire que bien sûr on ne peut pas reprocher à Emmanuel Macron de ne pas travailler ou de ne pas vouloir traiter un certain nombre de sujets, d’être passif ou d’être mou. Maintenant est-ce que vraiment en profondeur il s’attaque aux syndicats, aux statuts de la fonction publique, aux régimes spéciaux… Toutes ces choses-là pour moi aujourd’hui il n’y a pas touché. Si l’on parle vraiment des carcans français et du poids de l’administration ou de la lourdeur de la fiscalité on voit qu’il n’y touche pas. L’absence totale de réduction de la dépense publique est pour moi la continuité de ce que l’on a subi pendant des dizaines d’années et on en arrive à des chiffres de dette colossaux (2.200 milliards) avec une dépense publique gigantesque (57% du PIB). Au fond, si l’on creuse, il n’a pas tordu le cou à beaucoup de ce qui fait le fondement de l’Etat providence dans lequel nous sommes enfermés. Il faut avoir le courage de s’attaquer à tout ce que l’on vient de citer avec un accent mis sur la redéfinition du périmètre de la fonction d’Etat. Emmanuel Macron est lui dans la reconduction d’un modèle classique et l’on est loin de la révolution promise. Il faudrait avoir une approche beaucoup plus courageuse et quelque part beaucoup plus innovante de la gestion à la fois de la dépense publique et des missions de l’Etat.
ATLANTICO : Des affrontements violents ont eu lieu à Calais, vous souligniez la semaine dernière également que votre approche des questions migratoires étaient plus ferme que celle de gouvernement mais que feraient concrètement les républicains de différents s’ils étaient au pouvoir aujourd’hui ?
VIRGINIE CALMELS : Là encore l’habileté de Macron est de rependre un thème (généralement emprunté à la droite dans la perception du grand public) comme l’immigration et de faire semblant de le traiter alors qu’en fait il ne s’attaque qu’à un petit bout du problème.
Aujourd’hui le projet de loi ne touche qu’à l’asile politique (40 000 personnes par an) alors qu’il y a eu l’année dernière 262 000 titres de séjour délivrés soit un record depuis 40 ans. Cela veut dire qu’en fait on est en train de mettre en avant une action du gouvernement qui ne touche qu’une petite partie d’un problème bien plus grand. Nous, nous voulons la restauration des peines plancher, l’instauration de quotas d’immigration à l’instar de ce qu’a pu faire le Canada, un durcissement des conditions du regroupement familial, une réflexion sur le droit du sol en durcissant les règles sur ce dernier ou encore la révision totale de l’Aide Médicale d’Etat (AME) qui pèse directement un milliard d’euros par an… Ces six ou sept mesures n’apparaissent pas dans le projet de loi Macron ni dans ses propos. Comme toujours c’est beaucoup de communication, on donne l’impression de s’emparer de thèmes importants pour les Français mais en restant très parcellaires.
ATLANTICO : Autre point fort de votre discours de la semaine passée et vous avez même commencé par ça, vous rejetez en bloc les affirmations de ceux qui considèrent que les républicains sont proche du Front National : pour vous, le parti véritablement proche du FN en France, c’est la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. C’est certainement vrai si on raisonne en termes de programme économique mais n’est-ce pas appuyer là où ça fait mal aussi pour les républicains : certains, comme Guillaume Peltier l’un des deux autres vice-présidents du parti, ne semblent plus du tout être libéraux ? Laurent Wauquiez lui-même a attisé les inquiétudes avec ses propos sur le protectionnisme. Vous qui êtes libérale, quelle serait la ligne rouge que vous refuseriez dans les programmes à venir du parti ?
VIRGINIE CALMELS : La distinction par rapport au FN doit porter sur l’ensemble. Bien sûr sur la partie économique mais aussi sur la partie régalienne car nous n’avons résolument pas la même approche. Nous vivons dans un monde ouvert et nous refusons le repli sur nous-mêmes, nous ne sommes pas protectionnistes sur les frontières de la France. Nous considérons que c’est une chance d’être pro européens et de s’inscrire résolument dans une construction européenne. S’agissant en revanche du protectionnisme, je préfère la notion de défense des intérêts de nos acteurs économiques, qui doit se faire à mon sens au niveau européen et c’est donc bien à cette échelle qu’il faut définir notre ligne économique. Que l’on ne veuille pas être naïf par rapport aux grandes puissances qui elles-mêmes fixent un certain nombre de restrictions et que la puissance européenne doive en conséquence se doter d’actions réciproques me semble être la bonne direction.
La question de la ligne rouge n’est pas à poser au niveau des individualités selon moi mais plutôt au niveau du parti. Si ce dernier évoluait vers une ligne qui serait très souverainiste se recroquevillant sur ses frontières nationales ce serait effectivement s’éloigner de ma vision d’une France forte et ouverte dans une Europe forte à reconstruire. Je ne crois pas au protectionnisme français. De surcroît, au regard de notre balance commerciale ce serait une erreur totale.
ATLANTICO : Vous appeliez au rassemblement et à la reconstruction de la droite, Jean Pierre Raffarin a annoncé dans les Échos ce vendredi qu’il envisageait lui aussi de quitter les républicains. Alain Juppé pour sa part s’est posé ouvertement la question sur une chaîne de télévision Suisse de savoir s’il était encore de droite tout en reconnaissant trouver beaucoup de charme à Emmanuel Macron… Pensez-vous que ces départs affaiblissent la droite en la rétrécissant ou la consolident en lui permettant de ne plus être écartelée idéologiquement ?
VIRGINIE CALMELS : Il ne faut pas surjouer les différences et ce que vous appelez l’écartèlement idéologique. Lorsque l’on regarde les projets portés lors des primaires, l’on s’aperçoit qu’ils étaient très voisins entre Sarkozy, Fillon ou Juppé avec 90% de tronc commun. Evidemment les primaires se sont focalisés sur les différences mais nous avons dans les faits un socle de valeur qui est commun. Je réfute l’idée saugrenue que les pro-européens devraient se tourner vers Macron et que les antieuropéens se retrouveraient dans Les Républicains. C’est une imposture intellectuelle car la quasi-totalité des membres des Républicains aujourd’hui sont pro-européens. C’est la ligne de notre famille politique. A mon avis ce sont plus des affaires d’individus que d’idéologie. A titre personnel je pense qu’il faut garder les sensibilités politiques différentes au sein de ce parti et qu’une grande famille politique comme la nôtre ne peut pas être monochrome. Ce serait se rétrécir. Il faut cette pluralité de sensibilités mais sans être dans l’antagonisme. Il faut que le socle de valeur soit le même.
ATLANTICO : Certains murmurent qu’Alain Juppé se rapproche de la république en marche pour des considérations de politique personnelle afin de pouvoir garder sa mairie de Bordeaux grâce à LREM, vous qui connaissez et Bordeaux et Alain Juppé, qu’en pensez-vous ?
VIRGINIE CALMELS : A Bordeaux on constate certes que Macron et Mélenchon sont arrivés en tête au premier tour de la présidentielle mais j’observe que l’élection municipale est plus une élection de personnes que d’étiquettes. Compte-tenu de ce qu’Alain Juppé représente à Bordeaux, son historique et son excellent bilan, il peut se passer d’étiquettes.
ATLANTICO : Vous dites que la France est le parent pauvre de l’Europe en matière de chômage malgré le retour de la croissance ? Où en serions-nous de ce point de vue-là si Les Républicains nouvelle version étaient au pouvoir ?
VIRGINIE CALMELS : On aurait pris des mesures beaucoup plus fortes. Quelles sont celles qui permettraient d’inverser la courbe du chômage ? D’abord le doublement des seuils sociaux, cela ne coûte rien mais cela modifie le rapport avec la représentation syndicale. C’était d’ailleurs dans le projet Fillon. Autre point, nous pensons que le chômage ne sera endigué que par une baisse massive des charges. Pour cela, il fallait une baisse massive de la dépense publique et pour baisser cette dépense publique il y a plusieurs leviers mais un levier important (pour n’en citer qu’un) aurait été de s’attaquer aux retraites. On est dans une configuration aujourd’hui où Emmanuel Macron ne s’est pas attaqué à ce qui permettrait de réduire les charges des entreprises. C’est même l’inverse. Lorsqu’il transforme le CICE en baisse de charge, au passage il augmente le coût du travail de 9 milliards en 2018, ce qui pour moi est une hérésie dans le contexte qui est le nôtre où nous devrions faire du chômage une priorité. Nous sommes finalement à l’inverse de ce que nous aurions fait nous si nous avions gagné.
ATLANTICO : Plus d’Europe, moins d’Europe, une autre Europe ?
VIRGINIE CALMELS : L’Europe oui. Mais il faut surtout « mieux d’Europe ». Oui nous sommes résolument européens, oui nous voulons une Europe forte mais nous sommes capables de dire que cette Europe actuelle ne fonctionne pas en l’état. Elle ne fonctionne pas car il y a eu des vagues d’élargissement qui ont finalement diminué ce qu’était le pacte initial. Il faut se concentrer à renforcer une Europe qui protège, qui soit en mesure de protéger nos intérêts économiques et de peser sur la scène internationale. Mais l’Europe que nous voulons c’est un système qui n’est en rien une technocratie qui rajoute des normes à n’en plus finir qui sont au final autant de freins à l’émergence de champions européens.
ATLANTICO : Les Républicains ont appelé à la démission de Darmanin mais plusieurs personnalités du parti ont fait entendre une voix différente, ne redoutez-vous pas un effet boomerang comme celui vécu par François Fillon avec son évocation du général de Gaulle impossible à imaginer mis en examen ? Est-ce que nous ne sommes pas en train d’entrer dans une ère ou de simples dénonciations non traitées encore par la justice peuvent abattre une personnalité ?
VIRGINIE CALMELS : Ma position est de dire que si les faits étaient avérés ce serait très grave mais que de fausses allégations seraient également très graves. Je me méfie toujours des dénonciations, je fais confiance à la justice de mon pays et crois en la présomption d’innocence. Elle reste un axe indispensable à mettre en avant dans tout dossier quelle que soit l’appartenance politique de la personne incriminée.
Je ne commente pas un dossier que je ne connais pas. Mais au-delà du motif de l’ouverture de l’enquête préliminaire, sur lequel je laisse à la justice le soin de se prononcer, ce que j’ai trouvé extrêmement choquant dans le récit qui a été fait, et qui apparemment n’a pas été contesté, c’est qu’il y aurait eu « un accord » pour interférer dans l’effacement d’un casier judiciaire moyennant une contrepartie « en nature ».
Quant à l’effet boomerang, à titre personnel je ne me sens pas menacée (rires).
ATLANTICO : Vous qui venez du privé, que pensez-vous du projet de Big Bang annoncé par Edouard Philippe et Gerald Darmanin sur la fonction publique avec en particulier le recours à des méthodes venues de l’entreprise ?
VIRGINIE CALMELS : Je serais toujours favorable à essayer d’importer certaines méthodes managériales comme la mobilité, les primes au mérite. Je suis contre l’évolution à l’ancienneté. De ce point de vue là, je ne pourrais que saluer l’initiative si elle était mise en œuvre. Mais là encore on ne va pas assez loin. C’est intéressant de parler de plans de départ volontaires des fonctionnaires mais il faudrait s’attaquer au périmètre de la fonction publique et recourir à des contractuels dans les périmètres non régaliens. Et là encore ce n’est pas traité par Emmanuel Macron ou son gouvernement.
ATLANTICO : Emmanuel Macron doit se rendre en Corse pour le 20e anniversaire de l’assassinat du préfet Erignac. Des manifestations ns sont prévues ce week-end. La situation dans l’île de beauté vous inquiète-t-elle ?
VIRGINIE CALMELS : La République est Une et indivisible. On peut entendre des revendications sans pour autant les partager. La Corse a déjà un statut différent. Ce qui m’importe c’est plus de respecter les identités, les cultures, les bassins d’emploi et de raisonner au niveau régional. Je suis profondément décentralisatrice et je pense que le périmètre régional est le bon niveau. Je plaide même pour une autonomie fiscale pour donner aux régions de vrais moyens d’action et beaucoup plus de responsabilisation aussi. Mais les revendications des indépendantistes vont bien au-delà et cela pourrait rompre cette notion juste et nécessaire de République Une et indivisible.
ATLANTICO : Que vous inspirent les polémiques du moment sur les commémorations incluant Charles Maurras ou les suites du mouvement MeToo/ #BalanceTonPorc ? Laurent Wauquiez défend l’intérêt de la droite à ne plus céder aux intimidations idéologiques et au politiquement correct, jusqu’où faut-il aller pour ne pas prêter le flanc aux accusations qui vous réduisent à un parti réactionnaire ?
VIRGINIE CALMELS :
Je crois en la liberté d’expression et je m’inquiète toujours de protéger cette liberté sans tomber dans le caniveau de la dénonciation calomnieuse. On a la chance de vivre dans un pays qui normalement n’est pas répressif sur un certain nombre de choses et je ne pense pas qu’il faudrait que l’on s’enferme pas à pas dans un système un peu caricatural et oppressant. On était un pays qui avait trouvé cet équilibre entre les pays latins et les pays nordiques. C’est notre force et ce serait dommage de s’en éloigner.
Pour moi et à l’instar de Laurent Wauquiez, vouloir affirmer haut et fort ses convictions, ne pas vouloir plaire à tout le monde, ce n’est pas être réac. Dire que l’on ne va pas céder au politiquement correct et dire ce que l’on pense, partager nos valeurs y compris quand ça froisse, ce n’est pas être réac. C’est d’ailleurs le piège qui nous est souvent tendu et dans lequel il ne faut pas que l’on tombe. On peut être clair sur ses convictions, ne pas plier l’échine, sans tomber dans la caricature. C’est à nous de savoir livrer ce débat en répondant sur le fond à nos adversaires qui chercheront toujours à nous enfermer dans cette caricature de réactionnaires.
Demain : "LAURENT WAUQUIEZ : LA PASSE DE TROIS !"
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