LA SURINFORMATION CONDUIT A L’IGNORANCE
10 janvier 2018
Une farce qui en dit long.
Laurent Gerra déplore l’appauvrissement de notre belle langue et constate que « les gens lisent moins et s'attardent moins sur les choses ». « Il y a une pauvreté du vocabulaire qui est terrible. Dans le TGV, j'entends discuter les gens et je ne comprends plus ce qu'ils disent. Ils parlent à moitié anglais, en raccourci. La langue s'appauvrit alors qu'au contraire, elle doit s'aiguiser. Je constate qu'une forme de poésie dans le langage disparaît »… Plusieurs causes à ce phénomène, probablement, mais en premier vient le smartphone, ce qui l’a conduit un jour à faire une petite farce à tous les passagers d'une rame de TGV : « Un jour, on m'a procuré un brouilleur, et paf ! j'ai fait disjoncter les téléphones portables de toute une rame de TGV ! C'était très agréable ! »… raconte-t-il au Figaro Magazine. Mais il n’y a pas que l’appauvrissement de la langue français. C’est bien pire.
L’ignorance gagne du terrain en France.
Selon l’historien Dimitri Casali, la société bascule dans l'ignorance. Ce n’est pas le progrès scientifique qui ralentirait, au contraire, chaque jour la science nous apporte de nouvelles découvertes. Pourtant, il est facile de constater qu'à mesure que le progrès scientifique s'accumule vers un savoir de plus en plus exact, on peut mesurer à travers le monde une lente montée de l'ignorance. Par exemple, en France, aujourd’hui, nous comptons 6 % d'illettrés, c'est-à-dire environ 3 millions de personnes. Si on additionne les personnes analphabètes qui ont des difficultés à lire et à écrire le français, on arrive à près de 10 % de la population. C’est un comble dans un pays où l’instruction est gratuite et, en principe, obligatoire. Et loin de s’enrayer, le phénomène s’aggrave : jamais l'ignorance n'a gagné autant de terrain. Ce constat est à mettre en corrélation avec le piètre classement de notre école, au classement international PISA dans lequel nous sommes désormais au 27ème rang. Il y a vingt ans, notre pays était 10ème : en 17 ans, nous avons perdu 17 places. Si on se réfère aux années 80, nous étions dans les cinq premiers, et nous avions l'un des meilleurs systèmes scolaires au monde. On observe les mêmes constats en chute de compétence ne lecture et dans les disciplines scientifiques. Il faut prendre conscience du phénomène qui devient vraiment effrayant.
Le monde entier est touché.
Dans une étude, une récente projection de l'ONU montre que l'an prochain, le monde arabe comptera 25 % d'analphabètes. Le monde arabe a publié plus de livres entre le 8ème et le 12ème siècle qu'aujourd'hui, alors qu’actuellement, il publie moins de 1 % du marché mondial du livre. Et que penser de ces prédicateurs saoudiens qui apprennent à leurs étudiants que la terre est plate ? Et de cette chercheuse à l'Université de Sfax en Tunisie, l'un des pays arabes les plus avancés, qui voulait dernièrement démontrer aussi que la terre était plate et qu'elle ne tournait pas autour du soleil ! Le même mal touche aussi la grande puissance que sont les USA où 46 % des Américains pensent que la Terre a moins de 10 000 ans. Voilà ce que produisent les « créationnistes » qui commencent à prendre pied en France, en Angleterre, un peu partout en Europe… Il est difficile de ne pas constater que nous sommes en pleine régression intellectuelle dans le monde.
L’ignorance est le terreau de l’obscurantisme.
Le vide spirituel et culturel qui saisit nos sociétés est à mettre en relation avec la progression de l’islamisme, du djihadisme, du complotisme et du fanatisme. On assiste, en effet, parallèlement à cette montée de l'ignorance, à une montée de l'obscurantisme. Et notre époque, du même coup, plonge dans le relativisme culturel. Tout se vaut. On perd de vue la hiérarchie des valeurs qui favorise le communautarisme. Ce phénomène est particulièrement violent en France dont la culture est de longue tradition « universaliste ». Que valent les « droits de l’Homme » entre les mains de gens incultes ?
Un avatar de la révolution numérique.
L’historien voit un lien évident avec la révolution numérique. Cela a démarré dans les années 2000. C’est la surinformation qui a conduit à l'ignorance. Ainsi, les 15-29 ans ne lisent plus de livres, en revanche, ils lisent davantage sur les réseaux sociaux, les blogs... Et d'après une étude de l'Université de Yale, la lecture sur internet n'est pas la même : les informations se superposent les unes aux autres alors que la lecture d'un livre permet de pénétrer les pensées de l'auteur et de structurer les informations. Cela organise le cerveau. D'autres études sont à rapprocher de cette observation : les Français auraient perdu 4 points de QI entre 1989 et 2009, phénomène mesuré aussi en Angleterre ou aux États-Unis. Wikipédia, qui est le plus bel exemple des effets pervers d'internet, a donné la culture aux imbéciles. Si dans le domaine scientifique, les notices sont rédigées par des experts, dans le domaine de la littérature et en histoire, c'est un agrégat d'informations nivelées par le plus grand nombre. Il n'y a plus de hiérarchisation du savoir. Ainsi la page de Kim Kardashian sera bientôt plus longue que celle de Montaigne et le grand poète grec Homère a déjà moins d'articles que Homer Simpson…
La seule réponse : l’école !
Il faut replacer la culture générale et l'histoire au centre de nos préoccupations. Et d'abord à l'école. Or, depuis une trentaine d'années, la culture générale a été abandonnée. Les pédagogistes de la rue de Grenelle portent une lourde responsabilité, eux qui ont remplacé la transmission du savoir et des connaissances par de simples compétences techniques, et encore. L'idée est de fabriquer un homme nouveau, sans racines ni héritages. On se souvient que Mérieu et Bourdieu préconisaient d'apprendre à lire dans les notices d'appareil électroménager, pour éviter que les élèves s’ennuient, et non plus grâce aux textes de Hugo ou de Molière... Au lieu de corriger le mal de la surinformation apportée par l’omniprésent smartphone qui véhicule le vrai et le faux, le superfétatoire au détriment du sérieux, on l’a aggravé en supprimant les repères de la vraie culture et de l’esprit critique. Il faut revenir à la culture classique française, car c’est son rejet qui fait du mal aux esprits faibles. Et cesser de croire aux vertus de l’égalitarisme qui conduit à être tous être égaux dans la médiocrité.
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