LA PÊCHE PLATE
17 août 2017
Naguère, elle apparaissait après la mi-août, voire début septembre. Plutôt petite, elle serait passée inaperçue au milieu de ses cousins, nectarines et autres brugnons, imposants par leur taille et leur couleur dorée plus ou moins carminée, mais son parfum incomparable suffisait à la faire remarquer : je veux parler de la petite « pêche de vigne ». Il faut dire qu’elle n’avait que ça pour elle. Son aspect verdâtre et rêche à peine rosi n’était pas des plus attirants. Seule sa forme aplatie attirait l’attention. Mais j’aimais sa saveur incomparable à l’égal de son parfum, surtout quand elle était mûre à point. Elle a aujourd’hui disparu, ou alors il faut bien chercher.
Pourtant un miracle s’est produit : la « pêche plate » est apparue. De la génétique, elle a gardé la forme de la pêche de vigne, mais en plus opulente. Elle s’est même affublée des attributs des stars de la place : couleur et dimension font qu’elle n’a rien à envier à ses concurrents du rayon fruits. Elle a perdu un peu du parfum de sa devancière, et c’est dommage, mais on ne peut pas tout avoir. Inévitablement, on a voulu y goûter : reconnaissons qu’elle n’a pas non plus tout-à-fait le même effet sur les papilles non plus, mais elle est quand même délicieuse.
Il faut la déguster quand elle atteint sa maturité optimale. C’est facile à savoir : la peau doit se décoller facilement. Mon moment préféré, c’est au milieu de l’après-midi, au plus chaud de la journée, ou le soir pour la pause après le « prime-time ». Manger une pêche plate doit s’accompagner d’un cérémonial. Il faut se munir d’un fin couteau de cuisine et d’une feuille de Sopalin, car la bête est juteuse et j’ai horreur d’avoir les doigts collants, même si ça participe au plaisir. Avec la pointe du couteau commence alors le pelage, en partant du point d’accroche au noyau et en allant vers la périphérie pour tirer de larges bandes de peau. Un travail minutieux qui fait saliver. L’attente, comme toujours démultiplie la tension. Mais le résultat en vaut la peine. La manger avec la peau n’offre pas le même bonheur au palais. Ce serait aussi se précipiter, bâcler le moment. La chair fine apparait enfin dans toute sa nudité humide, en prémices du plaisir qui approche. On peut croquer dedans, mais laissons cette méthode aux goinfres. Pour faire durer le moment, je préfère découper de petits quartiers et les savourer un par un. Ils se détachent bien du noyau. Alors c’est le bonheur de sentir fondre dans la bouche une chair ruisselante de jus sucré, frais et parfumé. Evidemment, toute cette abondance liquide finit par traverser le papier avec lequel vous la tenez. J’aurai quand même les doigts collants. La pêche plate est en plus généreuse, car elle a conservé de sa grand’mère le tout petit noyau. Du coup, on a le sentiment d’en avoir davantage à savourer. Le dernier quartier laisse un goût de « revenez-y », car elle enchante jusqu’au bout, la bougresse. Et sucer le noyau ne fait qu’accroître le regret. Il faut être raisonnable.
Reconnaissons que les spécialistes des variétés hybrides, avec leurs technologies modernes de « croisement dirigé », ont réussi là un exploit. Merci Mendel. Toutefois, on aimerait bien, de temps en temps trouver une « pêche de vigne », une vraie. Un peu pour le plaisir de retrouver un bonheur d’antan, comme on peut admirer une belle « DS » quand elle passe sur le boulevard. Ah oui, j’oubliais, les pêches plates viennent d’Espagne et sont, parait-il, bourrées de pesticides. Je m’en moque : d’abord je les pèle et c’est la peau qui contient le plus de ces agents nocifs, ensuite, les pesticides, à mon âge, je m’en tape un peu.
Rien ne gâchera mon plaisir de croquer une belle « pêche plate » bien mûre !
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