CHRONIQUE DES JOURS QUI PASSENT
22 juillet 2015
« DIS BONJOUR A LA DAME ! »
Quand j’étais petit, c’était chaque fois une épreuve. Comme beaucoup de gamins j’avais horreur de dire bonjour aux personnes que ma mère rencontrait en faisant les courses, voisins pourtant familiers ou connaissances, et tout autant de quitter mes occupations pour répondre au comminatoire : « Viens dire bonjour ! » qui ne manquait pas de suivre l’entrée de quelqu’un à la maison. Mais impossible de se soustraire au devoir imposé par les bonnes manières sous peine de représailles qui suivraient inévitablement une mauvaise volonté. C’est donc avec une mine renfrognée, les sourcils froncés et le regard peu amène que je me présentais devant le visiteur ou la visiteuse. Dans ce dernier cas, il fallait se confronter à un visage badigeonné de poudre de riz et subir la marque infamante de transports non sollicités et qui se traduisait par une tartine de rouge à lèvre sur les joues assortie de bave, que j’essuyais aussitôt du revers de ma manche sous l’œil courroucé de ma mère.
C’est probablement comme cela que je suis devenu un garçon poli. La force de l’habitude, prise sans aucune possibilité de dérogation ! Vient ensuite l’âge de raison où les civilités vont de soi et participent à la convivialité des relations humaines. Dire « bonjour », c’est comme savoir dire « merci » : c’est gratuit et ça participe au « lien social » comme on dit aujourd’hui chez les « bobos ». Aussi, transmission oblige, c’est avec le même soin pointilleux auquel notre enfance fut confronté, que nous veillons à la politesse de nos petits-enfants. Non pas qu’ils soient mal éduqués, parce que leurs parents font le nécessaire. Mais nous vivons dans un monde où les contraintes ne sont pas les mêmes partout. Alors, nous aimons bien que lorsqu’ils arrivent, ils viennent « dire bonjour ». Excepté vers deux ou trois ans où cela a été parfois laborieux, encore que « Mamy Paulette » ait joui d’un privilège particulier qui rendait à certain les autres transparents, nous avons toujours eu droit à des manifestations d’affection à ce moment privilégié de l’arrivée, preuve que la maison ne doit pas être trop repoussante.
Sauf que chez nous aussi, il arrive qu’il y ait des visiteurs, parfois inconnus de nos pensionnaires, auxquels il faut malgré tout venir dire « bonjour ». C’est une règle intangible. Honnêtement, il faut avouer que, si nous n’avons pas de refus d’obstacle, les comportements sont divers en fonction des caractères. De l’extraverti qui ne fait aucune difficulté et qui vient lancer son tonitruant « bonjour monsieur ! » (ou madame), au timide qui s’annonce à reculons et murmure entre ses dents son « bonjour » à peine audible, nous avons connu toute la gamme. L’essentiel est que le devoir soit accompli. Ainsi demain ils seront (peut-être) des citoyens polis. L’apprentissage ne s’arrête pas là. L’exercice continue quand ils nous accompagnent : on dit bonjour en entrant dans un commerce et au revoir quand on en sort… Et j’en connais pour qui cela devient vite un jeu, histoire de se faire bien voir avec l’espoir d’une douceur à la clé, ou tout simplement envie de se montrer. Les egos se manifestent parfois plus tôt qu’on ne le souhaiterait.
Avec les ados, c’est un peu plus compliqué. J’ai eu du mal à me faire au « Salut Papy ! », mais il est prononcé avec tellement de chaleur que j’ai renoncé (après quelques tentatives tout de même) à rétorquer cet impitoyable « on dit bonjour, d’abord ! » qui casse l’ambiance, comme ils disent. Rien n’est parfait en ce bas monde.
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