ON A LES GREVES, MAIS OU EST LA REFORME ?
05 avril 2018
Des concessions majeures pour décourager les grévistes.
La ministre des Transports a reçu vendredi dernier les syndicats de cheminots. Elle a renoncé à passer par les ordonnances sur le volet « ouverture à la concurrence », qui passera par la procédure parlementaire classique. Elle a accepté la négociation sur les transferts de personnels dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, avec conservation de leur statut. L'ouverture du marché en Ile-de-France se déroulera entre 2023 et 2039, autrement dit, les « calendes grecques » ! La mise en concurrence pour les RER serait encore plus lointaine, à partir de 2033 et jusqu'à 2039 pour les RER A et B. Par ailleurs, les autres régions pourront elles aussi demander des exceptions à une mise en concurrence obligatoire à partir de 2023. La future loi leur offrira cette possibilité, comme le prévoient les textes européens. Enfin, en cas d'appel d'offres perdu par la SNCF, le transfert des salariés travaillant sur les lignes concernées vers le nouvel opérateur se fera « en priorité sur la base du volontariat » : une disposition dont les modalités et le volume font encore débat, mais qui représente une concession de taille aux syndicats. Il ne reste que l'extinction progressive du statut pour rester le principal casus belli pour les agents du groupe public, mais seuls les syndicats CGT et Sud-Rail contestent le principe même de la fin du monopole. Ces derniers sont en effet très préoccupés par l'arrivée programmée d'opérateurs privés, en particulier sur le marché des trains régionaux (TER). Plusieurs régions, à commencer par Provence-Alpes-Côte-d'Azur ou les Hauts-de-France, ont déjà clamé leur volonté de se passer des services de la SNCF, sur au moins une partie de leurs lignes.
Et c’est pas tout !
Les agents de la SNCF conserveront la garantie de l'emploi, leur régime de retraite et leur niveau de rémunération avec intégration des primes et des gratifications. Le maintien des facilités de circulations, et de l'accès au système de soin est renvoyé à la négociation d'un accord de branche. Elisabeth Borne A profité de l'occasion pour annoncer que les nouveaux opérateurs seront tenus de pratiquer eux aussi les tarifs sociaux imposés par l'Etat à la SNCF : billets congés payés, réductions handicapés et famille nombreuse. Une disposition qui vaut pour les TER comme pour les TGV. On se demande bien ce que la réforme va changer, en dehors de l’ouverture à la concurrence. Mais sur les bases fixées alignées sur les avantages actuels des cheminots, qui se risquera sur un tel marché aussi miné ? On a la grève, mais la réforme est vidée de son contenu.
Une grève politique et idéologique.
Dès lors, le principal motif de la grève est idéologique. L'expression "politique ultralibérale" (risible) a été prononcée du côté de la France insoumise. Les maladresses verbales successives du gouvernement et la jeunesse de sa majorité ont donné prise aux critiques de la gauche radicale et des syndicats les plus durs. Elles ont donné des arguments à la CGT. Julien Dray et d’autres, comme Besancenot, en profitent pour brouiller le message dans le débat public. On y confond allègrement les perspectives de concurrence avec un « risque de privatisation » pour entretenir le doute sur les vraies intentions du gouvernement. « Privatisation » : le gros mot est lâché. Or la réforme ne vise surtout pas à privatiser la SNCF, elle s'appuie sur la création d'une société à capitaux publics dont les titres seront incessibles ce qui garantit assurance et sécurité. La gauche dure voudrait bien profiter de cette épreuve pour se remettre en selle en faisant mordre la poussière au pouvoir sur ce dossier, sachant que la droite est encore plus dure que le gouvernement sur le sujet. Et pour cause, il ne reste pratiquement rien du projet initial.
Macron veut le beurre et l’argent du beurre.
Il y a un point sur lequel les syndicats n’ont pas tort. L'Etat ne peut pas demander des efforts aux cheminots s'il ne remplit pas ses propres obligations. Avant toute chose, le gouvernement aurait dû annoncer clairement que l'Etat actionnaire allait (enfin) jouer son rôle et désendetter le système ferroviaire des milliards d’euros qui pèsent sur son avenir. Un premier engagement de cette nature aurait peut-être évité la poussée de fièvre. Dans un premier temps Emanuel Macron avait donné l'impression de jouer vraiment le rôle de l'actionnaire, mais ces derniers jours, la voix de l'Etat se fait plus discrète. L’argent manquerait ? En l'état actuel, la SNCF n'est pas en mesure d'affronter sereinement la compétition. Le modèle du rail en France a accumulé un stock de dette de l'ordre de 50 milliards d'euros et continue de produire des déficits d'exploitation, 2 milliards par an, auxquels il faut intégrer les 13 milliards que la collectivité verse chaque année sous forme de subventions ou de soutien au régime spécial des retraites des cheminots. Il est urgent de mettre fin à la casse du service public, on veut bien, mais la casse, c'est d'abord le modèle actuel.
Enfin, l’amateurisme fait le reste.
Depuis le lancement de la réforme du rail, le pouvoir multiplie les maladresses et ne fait pas assez la pédagogie de la réforme. C'est d'abord la petite phrase lâchée au Salon de l'agriculture par le président de la République sur la retraite des cheminots comparée à celle des agriculteurs. C'est ensuite les déclarations de la ministre Elisabeth Borne qui estimait que la grève est inexplicable et qui ajoutait sur un plateau télé que le gouvernement réfléchissait à une écotaxe routière pour financer le rail. La même Borne qui travaillait auprès de Ségolène Royal quand celle-ci avait dû capituler en rase campagne sur les portiques et l'écotaxe après l'épisode des bonnets rouges, laissant au passage une ardoise d'un milliard d'euros à la collectivité ! On ne règle pas un problème en en créant un autre.
A l'issue, quand viendra l'heure des comptes, c'est toute l'économie française qui sera pénalisée, à commencer par les plus modestes souvent dépendants du train-train quotidien... on aura alors probablement oublié l’essentiel : la France doit transposer les directives européennes sur l'arrivée de la concurrence avant le 25 décembre 2018 et pour affronter la concurrence, la SNCF doit s'adapter !
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