DEUX DESTINS SI DISTANTS L’UN DE l’AUTRE, ET POURTANT …
07 décembre 2017
Deux égarés à leur façon.
J’ai découvert Jean d’Ormesson tardivement, il y a quelques années. Je ne sais pas pourquoi, mais je n’avais jamais lu aucun de ses romans, même les plus connus. Peut-être parce qu’il n’était pas dans les œuvres susceptibles d’être étudiées au collège … Déformation professionnelle. Et puis, la curiosité m’a poussé à lire « C’est une chose étrange à la fin que le monde ». A cause du titre bizarre, et aussi et surtout, parce qu’à défaut de l’avoir lu, j’avais eu de multiples occasions d’apprécier l’esprit brillant de l’académicien lors de ses passages sur les plateaux télévisés. Et ce fut une révélation. D’ormesson avait l’art de rendre intelligents ceux qui le lisent autant que ceux qui l’écoutent. Du coup, j’ai pratiquement lu tous ses derniers ouvrages jusqu’au fameux « guide des égarés ». Mais voilà, l’écrivain, chroniqueur, journaliste Jean d’Ormesson est mort à 92 ans. Au-delà de l’auteur illustre qu’il était, il exprimait des idées qui méritaient d’être retenues par la classe politique. Ce qui frappait c’est que son engagement à droite ne l’a pas empêché d’être apprécié de tous à force de penser pour tous, y compris des adversaires qu’il séduisait par sa souplesse intellectuelle et sa grande tolérance. Sa grande capacité à pratiquer l’auto-dérision n’est pas pour rien dans la popularité qu’il avait acquise. Il a incarné un bonheur de vivre d’autant plus compréhensible qu’il avait de la chance : entourage bourgeois, existence cossue, carrière éblouissante, toutes choses qu’il devait en partie au fait d’être bien né mais surtout à ses dons éclatants, son talent, sa vivacité d’esprit incomparable, sa culture insondable qu’il ne mettait jamais en avant, son humour ravageur. Un « égaré » dans un pays où le pessimisme est promu en art de vivre, un chanceux conscient qui n’hésite jamais à se demander ce qu’il fait là.
Johnny Hallyday n’est pas entré dans mon répertoire tout de suite. Moi, j’étais plutôt « 3 B » : Bécaud, Brel et Brassens. J’ai pourtant le même âge que lui. Mais le style « yéyé », au début des années 60, je trouvais ça puéril. Et puis les « blousons noirs », c’était pas très bien vu dans mon environnement familial … Il faut dire que je sortais de « l’austère maison d’Instituteurs », autrement dit l’Ecole Normale. J’ai commencé à aimer Johnny Hallyday à partir de la période « Noir c’est noir ». Ensuite, comme tout le monde, j’ai goûté chaque fois un peu plus la voix et le spectacle, sans pour autant avoir jamais eu l’occasion d’assister à un de ses concerts, ce que je regrette aujourd’hui. Donc, Johnny Hallyday est mort dans la nuit de mardi à mercredi d’un cancer des poumons, à l’âge de 74 ans. Il est parti trop tôt, c’est une évidence. Sa disparition est accueillie à juste titre par un chagrin et un deuil national. Car il était, plus qu’un chanteur, plus qu’un rocker, il était un facteur d’unité du pays. Il ne cachait pas que sa préférence allait à la droite. Ce qui n’était pas évident quand on connait son parcours et d’où il vient. Il avait eu d’autant plus ma sympathie qu’il avait soutenu Giscard et je vois encore Jean-Pierre Raffarin imiter le rocker lors de nos « universités d’été » politiques. Il était un ami de Nicolas Sarkozy. Mais cela ne l’empêchait pas de se rendre à la fête de l’Huma. L’homme faisait ses choix, le chanteur s’adressait à tous, ce qui traduit générosité et liberté de sa part. Dans son genre, il pouvait se targuer de réunir autour de son art un immense consensus, tant il était incontestable. Il faisait partie de ces hommes très rares dont l’immense notoriété les rend indiscutables. Ce qu’il disait ou pensait n’enlevait rien à ce qu’il apportait à tous les Français, cette communion de sentiments, d’admiration, de bonheur collectif. Et pourtant, lui aussi est un « égaré » dans la chanson puisque son rêve était d’être comédien ou acteur, bref, de faire du cinéma. Certes, il en a fait, pourtant ce n’est pas ce qu’on retiendra de lui.
Une même communion nationale.
Entre celui dont la dextérité et l’abondance littéraires lui valait des millions de lecteurs, pour qui la curiosité et le partage culturel lissaient les différences, et qui passait parfois pour un amuseur public, et celui pour qui la liberté de vivre comme il l’entendait n’avait pas de prix, et qui de sa voix puissante a eu une carrière exceptionnelle, une existence de triomphes et de gloire, le même droit à la communion nationale s’est imposé. Jean d’Ormesson était dans la vie, c’est-à-dire avec un appétit inextinguible, comme il était dans le combat. Académicien, c’est lui qui a fait entrer dans la vénérable institution la première femme, Marguerite Yourcenar. C’est lui aussi qui a menacé de quitter l’Académie, qu’il aimait par-dessus tout, si Alain Finkielkraut, harcelé par une cabale qui n’honorait guère quelques-uns de ses futurs collègues, n’y était pas admis. Mais il n’est jamais tombé dans l’engagement aveugle. Comment ne pas penser, en même temps, au caractère de lutteur de Johnny Hallyday, prêt à tous les sacrifices pour sa scène et honorer un public. L’un a eu une vie peut-être plus courte, mais si chargée de moments magnifiques qu’elle lui aura probablement semblé plus pleine, et jusqu’au dernier moment, il aura chanté, puisqu’un dernier album était prêt et va sortir. L’autre a patienté longtemps pour aller vérifier ce qu’il y a de l’autre côté, comme il disait, continuant à produire ses écrits jusqu’au bout. Ultimes point communs de deux être exceptionnels à tous égards. Deux modestes aussi.
La postérité dira si Jean d’Ormesson est du niveau des écrivains que l’histoire et l’enseignement retiennent. Elle dira aussi, si Johnny existera encore dans les bacs des disquaires longtemps après sa disparition physique. A vrai dire, personne n’en sait rien. Ce que l’on peut simplement affirmer, c’est que la France vient de perdre deux monstres sacrés, qui contribuaient chacun à sa manière, à son identité culturelle. Et c’est toujours une perte. Nous sommes envahis par le regret d’avoir perdu deux hommes qui tenaient une si grande place dans la vie de presque tous leurs concitoyens, et donc dans la nôtre..
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